Extreme-droite : Alain Soral, national-socialiste décomplexé

vendredi 27 juin 2014.
 

On trouve aux marges du FN nombre de fascistes et nazis fiers de l’être… L’exemple le plus connu est sans doute celui d’Alain Soral, idéologue et parrain politique de Dieudonné.

« En tant que national-socialiste français, ça m’agace d’être rangé à l’extrême droite, qualificatif qui désigne pour moi les néoconservateurs, les impérialistes américano-sionistes et le pouvoir bancaire international… Donc, ma réponse, c’est que je ne suis pas d’extrême droite, je suis national-socialiste, mais tu peux considérer que c’est pire  !  » [1].

«  National-socialiste  »  ?

«  National-socialiste  »  : énième «  provocation  » ou expression décomplexée de l’idéologie d’Alain Soral  ? A en croire le principal intéressé, nul dérapage, mais bel et bien une position politique assumée, que le président d’Égalité et Réconciliation s’est même empressé de justifier dans une édifiante vidéo [2]. Soral y expose, images de propagande d’époque à l’appui, les bienfaits de la politique économique hitlérienne  : «  l’Allemagne, après des tâtonnements, de façon empirique, par une synthèse, un mélange de nationalisme et de socialisme, d’économie national-socialiste, a trouvé tous les remèdes à la crise économique dont sont responsables à l’époque la City et Wall Street  » [3]. Avant d’ajouter que c’est pour cette raison que «  l’Empire (…) a décidé de la mise à mort de l’Allemagne hitlérienne  », et de conclure que «  la solution de demain à la crise actuelle (…) avait été toute trouvée par les économistes et les planificateurs nationaux-socialistes allemands  » [4].

Il ne s’agit donc pas d’une provocation, mais d’un héritage revendiqué, qui semble faire écho à la «  devise  » d’Egalité et Réconciliation  : «  Gauche du travail, droite des valeurs, pour une réconciliation nationale  !  » Ce slogan résume l’enfumage idéologique dont fait preuve Soral, qui prétend réconcilier «  droite  » et «  gauche  » par un nationalisme qui se voudrait englobant et protecteur alors qu’il participe de la division du camp des exploités, que cela soit sur des bases nationales, ethniques ou religieuses. La «  réconciliation  » dont parle Soral est une entreprise de fragmentation et d’affaiblissement des classes opprimées, dont le pseudo-marxiste [5] entend détourner la colère en désignant des boucs-émissaires. A ce titre, Soral s’inscrit dans une filiation avec l’extrême-droite française traditionnelle, celle qui vantait elle aussi les mérites du régime hitlérien, en désignant comme principal ennemi «  le Juif  ».

Les thèses classiques de l’extrême droite

Soral se défend de tout antisémitisme, et affirme que l’ennemi des «  nations  » est «  l’Empire  ». Mais il suffit de le lire dans le texte pour comprendre que «  l’Empire  » a «  quelque chose à voir  » avec les Juifs. En témoigne la définition qu’il en donne  : «  Pilotés de New York, habités d’une idéologie faite de volonté de puissance, de violence destructrice et de 
mépris social puisé à l’Ancien testament, c’est cette vision du monde et ce processus que nous appelons  : Empire  » [6]. L’Ancien testament serait donc la source des maux des peuples du globe, une vieille thèse antisémite à peine réchauffée que Soral complète par une dénonciation récurrente de la franc-maçonnerie, comme lorsqu’il blâme «  [la] démocratie parlementaire où une assemblée de professionnels de la politique, formés et encadrés par la maçonnerie, stipendiés ou tenu en respect par l’Argent, joue devant le peuple le spectacle du débat démocratique  » [7].

Soral brouille par ailleurs les repères de classe, dénonçant «  l’opposition abstraite prolétariat/bourgeoisie  » et prônant «  l’union du prolétariat et de la classe moyenne vers la classe moyenne généralisée  » [8]. Il distingue le «  grand bourgeois spéculateur apatride  » du «  petit bourgeois entrepreneur enraciné  » [9], entretenant le mythe d’un «  bon  » capitalisme, industriel, familial et national, opposé à un «  mauvais capitalisme  », financier, anonyme et transnational. Et les chômeurs d’être qualifiés par Soral de «  parasites  » au même titre que les spéculateurs, «  les rentiers du haut (l’hyperclasse au pouvoir) finançant les rentiers du bas (la sous-classe des chômeurs et des précaires vivant des aides sociales), sur le dos de la classe moyenne productive, la plus ponctionnée par l’État  » [10]. Et d’ajouter, avec un mépris social qui n’a pas grand chose à voir avec l’Ancien testament, que l’assurance chômage favorise «  [l’]alcoolisme, grâce au RMI puis au RSA payés par le monde du travail  » [11].

Le temps béni des colonies

En réalité, Soral instrumentalise, galvaude les termes «  gauche  » et «  socialisme  », afin de construire un positionnement politique soi-disant au-dessus des partis et de prôner une alliance entre petits patrons et ouvriers nationaux, contre les «  parasites  », qu’ils soient chômeurs, syndicalistes ou spéculateurs. Une rhétorique typique des courants fascistes, qui prône de fausses alliances de classes en faisant fi d’évidentes contradictions, entre autres sur les questions de couverture sociale, de droit du travail ou de fiscalité.

Dans la tradition de l’extrême droite, le discours de Soral est un patchwork idéologique qui ne touche pas aux fondements du capitalisme, qui prône d’impossibles alliances au nom d’un «  intérêt national  » gommant les contradictions de classes, et qui désigne de faux ennemis, de «  l’intérieur  » ou de «  l’extérieur  ». Les Juifs et les francs-maçons ne sont en effet pas les seuls responsables du «  déclin de la France  », comme on l’apprend dans une saillie dont certains qui croient trouver en Soral un allié devraient se souvenir  : «  la maghrébisation, l’africanisation, la tiers-mondisation de la France ont fait baisser vertigineusement le niveau de civisme et de civilité de la population française  » [12]. Rien d’étonnant, finalement, chez ce nationaliste nostalgique de l’Algérie française  : «  Plus je vois la merde noire (…) dans laquelle l’Algérie s’enfonce un peu plus chaque jour, plus je découvre en images que les seules choses qui tiennent encore debout là-bas (...) sont celles que la France coloniale y a construites, plus je me dis que leur seul espoir, c’est qu’on y retourne  » [13].

Le paravent de l’antisionisme

Et pourtant… Malgré leurs contradictions et leur parenté avec la rhétorique de l’extrême droite classique, les thèses de Soral connaissent aujourd’hui un écho sans précédent, qui peut se mesurer à l’aune de la fréquentation du site et des vidéos d’Égalité et Réconciliation. Trois facteurs permettent de comprendre ce phénomène  : le travestissement de l’antisémitisme en antisionisme, à l’heure où la politique israélienne fait l’objet d’une indignation sans cesse grandissante  ; la rhétorique délibérément complotiste de Soral, qui bénéficie d’un important écho à une époque où les populations se sentent, à juste titre, dépossédées de leur souveraineté politique  ; la faiblesse de la gauche radicale et du mouvement ouvrier.

Soral entretient ainsi une confusion permanente entre dénonciation du «  sionisme  » et dénonciation du «  judaïsme  », comme dans ces déclarations faites à France 2 en 2004  : «  en gros, c’est à peu près ça leur histoire, tu vois. Ça fait quand même 2500 ans que chaque fois qu’ils mettent les pieds quelque part, au bout de 50 ans ils se font dérouiller  » [14]. Soral surfe sur l’hostilité à Israël et dénonce un «  sionisme  » imaginaire, qui serait inhérent au judaïsme et qui n’aurait, en définitive, pas grand chose à voir avec ce qu’est le véritable sionisme, à savoir le projet d’établissement d’un Etat juif et la défense inconditionnelle de sa légitimité.

En effet, le «  sionisme  » dénoncé par Soral est une entité transnationale, aux contours mal définis, qui dicterait sa politique aux banques, aux gouvernements des pays occidentaux et aux médias, et qui serait ainsi la source de la crise économique, politique et sociale. On est très loin d’Israël et des Palestiniens, et beaucoup plus près de «  l’Ancien testament  » qui inspirerait «  Wall Street  »... On comprend dès lors pourquoi Soral, en bon nationaliste, avalise en réalité le fond du projet sioniste, quand il déclare sans sourciller  : «  si on était resté au projet de Herzl, de faire un Etat juif où les Juifs pourraient vivre en tant que nation comme les autres nations, sans renouer avec le projet biblique qui n’est pas un projet nationaliste – c’est un projet de domination mondiale et mondialiste au nom d’une élection divine, ce n’est pas du tout la même chose –, (...) je serais le premier des sionistes, bien évidemment  » [15].

Complotisme et renoncements de la gauche

Le pseudo-antisionisme de Soral s’inscrit dans une rhétorique antisémite et complotiste («  projet de domination mondiale et mondialiste au nom d’une élection divine  »), qui entend fournir une «  explication  » à des phénomènes politiques, économiques et sociaux bien réels par la dénonciation d’une oligarchie invisible, mouvante, faite de réseaux, de structures secrètes… au-dessus des Etats et des cadres officiels d’exercice du pouvoir, qu’il soit politique ou économique. Une «  explication  » commode, qui évite à son auteur de s’encombrer de raisonnements et de démonstrations précises, et qui peut rencontrer un écho chez celles et ceux qui, révoltés par les dégâts du capitalisme, peuvent être tentés par des thèses séduisantes qui, en définitive, n’expliquent rien et sont un appel à l’inaction et à la résignation, dans la mesure où «  l’ennemi  » est insaisissable et, dès lors, inattaquable. L’audience de ces thèses fait malheureusement écho à un sentiment d’impuissance de plus en plus diffus, produit de décennies de renoncements de la gauche et du mouvement ouvrier. Combattre Soral, c’est aussi réhabiliter la politique, redonner un sens à l’action collective, lutter au quotidien contre toutes les tentatives de division chez les opprimés, au premier rang desquelles le racisme et l’islamophobie, et ne pas se contenter d’une dénonciation idéologique du néo-fascisme soralien. Dans un pays où le FN peut arriver largement en tête d’un scrutin national, il serait illusoire de penser que seul un contre-discours pourrait réduire l’influence des extrêmes droites. Le succès d’un Soral est le miroir déformant de nos propres échecs, et ce n’est que par une activité politique concrète redonnant sa crédibilité à l’internationalisme, à l’idée de solidarité entre les opprimés et aux projets de transformation sociale, qu’il pourra être combattu.

Julien Salingue

Notes

[1] rice Naulleau et Alain Soral, «  Dialogues désaccordés  », Paris, Éditions Blanche/Hugo & Cie, 2013, p. 64.

[2] «  National-socialiste  ? Alain Soral répond  !  », site d’Égalité et Réconciliation, 30 mars 2014.

[3] Idem (l’extrait est en réalité une reprise d’une vidéo de février 2013).

[4] Idem (même remarque).

[5] Sur le pseudo-marxisme de Soral, voir entre autres Jean-Paul Gautier, «  Extrême droite – Alain Soral, enfumeur idéologique : de « Pif gadget » à « Comprendre l’empire »  », disponible sur ESSF (article 32248).

[6] Alain Soral, «  Comprendre l’Empire. Demain la gouvernance globale ou la révolte des Nations  ?  », Paris, Editions Blanche, 2011, p. 72.

[7] Idem, p. 149.

[8] Idem, p. 132.

[9] Idem, p. 133.

[10] Idem, p. 142.

[11] Idem.

[12] Alain Soral, «  Jusqu’où va-t-on descendre  ? (Abécédaire de la bêtise ambiante)  », Paris, Éditions Blanche, 2002, p. 39.

[13] Idem, p. 7.

[14] Alain Soral dans «  Complément d’enquête  », France 2, 20 septembre 2004.

[15] «  Alain Soral, entretien de janvier 2012 (partie 2)  », site d’Égalité et Réconciliation, 26 janvier 2012.

* Paru dans la revue l’Anticapitaliste n°55, juin 2014.


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