La lutte des intermittents est une lutte d’intérêt général

mardi 1er juillet 2014.
 

Pour Sandro Poli, Hadrien Toucel et Michel Lamboley, membres de la commission économie du Parti de Gauche, la question financière qui justifierait une réforme du statut des intermittents est « inventée de toute pièce ». « Cette lutte devrait plutôt nous inciter à innover » pour « dessiner un avenir collectif » et mieux accompagner l’irrégularité du travail, si elle est choisie dans le cadre de certaines professions.

En 2006, déjà, un homme avait très bien compris l’esprit des récentes réformes successives du statut des intermittents. Denis Gautier-Sauvagnac, alors négociateur du Medef, avait doctement expliqué que « la question n’est pas le déficit, mais le nombre d’intermittents ». Ce qui est en jeu, effectivement, n’est pas une question financière inventée de toute pièce, mais l’idée d’une culture libre et d’un statut émancipateur, protégés tant bien que mal depuis 1936 et l’extension successive de ce statut.

Démontons pour commencer quelques mensonges récurrents. Les intermittents ne « coûtent » pas cher à la Sécurité sociale : ils représentent 3,5% des allocataires, mais 3,4% des bénéficiaires de prestation ! Le reste n’est que tambouille comptable. Le rapport d’information des députés Jean-Patrick Gille (PS) et Christian Kert (UMP) établit à 320 millions d’euros les dépenses annuelles (contre 800 millions d’euros en cas de basculement dans le régime général…) du régime des intermittents.

Or l’argument du coût n’a de sens que comparé aux bénéfices. D’une part, la culture génère en France plus de 58 milliards d’euros directs de valeur ajoutée chaque année : 180 fois le « coût » présumé du régime. D’autre part, ce régime sécurise le travail de 100 000 personnes, pour 3 200 euros par salarié en moyenne. Comparé au CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) qui subventionnera les grandes entreprises pour un coût estimé entre 65 000 et 133 000 euros par emploi créé, le régime d’intermittence est davantage créateur d’emploi. Le principal syndicat patronal du secteur, le Syndeac, ne soutient d’ailleurs pas la réforme. Il s’agit bien d’une absurdité pilotée par des grands employeurs ignorants des réalités du secteur, lesquels se désintéressent de l’avenir économique du pays.

Les intermittents du spectacle font pourtant face à de réels problèmes. Ainsi, l’absence quasi systématique de paiements facturés lors des répétitions ou des préparations des spectacles implique l’absence de cotisations sociales salariale et patronale. Or la transformation d’un régime encore basé sur les fonctions vers un régime de plus en plus basé sur les salaires implique un accroissement de la pression exercée sur leur revenu, sans forcément permettre une prise en compte du temps non payé par les employeurs. Comment faire un spectacle sans répétition ? C’est cette question essentielle qui n’est pas abordée par ce projet régressif socialement. Cet aspect du problème explique en grande partie les déficits structurels du régime des intermittents puisque les employeurs, qui gèrent le système rappelons le, utilisent l’indemnisation comme un mode permanent de rémunération au travers des « permittents », ce qui explique les 15% de fraude évoqués par la cour des comptes. Ce ne sont donc pas les indemnités des intermittents qui expliquent le déficit mais son utilisation par les employeurs qui baissent les salaires en s’appuyant sur les allocations.

Leur régime d’assurance retraite et maladie entre pourtant dans le régime général. Cette absence de paiement grève donc particulièrement le salaire socialisé des intermittents, interdisant par là même une construction de droits à la maladie et à la retraite pour ces personnels. Rappelons que le déficit de la Sécurité sociale (13 milliards) provient d’abord des exonérations patronales non compensées, du chômage et du travail au noir ! Bref, de l’action diverse et variée du gouvernement et du Medef !

Enfin cette augmentation des cotisations viendra grever le salaire net des intermittents sans accroître pour autant leurs heures officiellement payées. Ces millions sont autant de pouvoir d’achat en moins pour les professionnels impactés par les politiques d’austérité et les restrictions successives des budgets attribués à la culture. Rappelons que sans intermittents, il n’existe pas de spectacle ni de festival alors qu’il s’agit d’un élément essentiel du tourisme et de l’attractivité de notre économie.

Plus grave, les liquidateurs successifs ont presque réussi à faire du système mutualisé de l’intermittence un système capitalisé, où les salariés sont indemnisés non plus selon leur statut, mais selon leur revenu, avec de fortes inégalités. La réforme frappe les intermittents les plus précaires, afin d’assurer les revenus exorbitants d’une frange rapace. Réduire les disparités de revenus au sein du secteur est pourtant possible. L’essentiel consisterait à réduire l’écart entre le plancher et le plafond par un nouveau calcul de l’allocation, comme le proposent les acteurs du mouvement. Le gouvernement actuel entend bien établir un plafond au cumul entre salaire et allocations… mais à 4 380 euros brut par mois, ce qui ne touchera presque personne !

Mais si le problème pour les « réformateurs » néolibéraux est le retour régulier des intermittents vers l’Unedic, une solution simple existe : mettre fin à l’instabilité de l’emploi en proposant davantage de contrats longs et typiques dans des institutions culturelles publiques ! En réalité, cette protection exceptionnelle d’un statut de travailleur intermittent, loin d’être une charge sociale, dessine au contraire un avenir collectif dans lequel l’irrégularité du travail, si elle est choisie dans le cadre de certaines professions, pourrait être accompagnée, et prise en charge par une Sécurité sociale professionnelle universelle. Et ce, afin d’octroyer le droit à des individus de travailler tout en demeurant assurés, de manière mutualiste, de la continuité de leurs revenus. Cette lutte devrait donc plutôt nous inciter à rêver et à innover. C’est une lutte d’intérêt général.

Sandro Poli, doctorant en économie, Hadrien Toucel, doctorant en sociologie, et Michel Lamboley, syndicaliste, tous membres de la commission économie du Parti de Gauche (PG)


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