« L’élite du PS est prête aux conversions, pas son électorat »

samedi 12 juillet 2014.
 

Pour le sociologue Christian Laval, Manuel Valls fait le "pari très risqué d’achever le PS à l’ancienne en comptant sur la désertion pour en faire renaître un nouveau, authentiquement néolibéral".

Manuel Valls déclare que pour sauver la gauche il faut la transformer. Quelle transformation appelle-t-il ??

Christian Laval : Il souhaite accélérer la transformation néolibérale du Parti socialiste et y entraîner le plus de monde possible. Valls n’a jamais fait mystère de la direction qu’il entendait donner au PS, notamment au moment des primaires, contrairement à François Hollande, qui s’est avancé masqué. Lors de la campagne de 2012, la ligne néolibérale du futur président était recouverte d’un voile. Je pense au discours du Bourget où quelques gages fragiles laissaient penser qu’il ne serait pas complètement asservi à la logique des marchés et à la logique autoritaire de Bruxelles. Valls, lui, a toujours eu cette prétention franche et directe. Il ne fait que confirmer dans les actes ce qu’il dit depuis longtemps.

Reprend-il le manifeste de Blair et Schröder, dont Jospin n’avait pas voulu en 1999 ??

Christian Laval : Oui, c’est une manière d’aligner le PS sur la voix dominante de la social-démocratie européenne. Cet axe s’est consolidé avant la crise systémique du capitalisme et du néolibéralisme financier. Donc, d’une certaine façon, il s’agit d’un rattrapage, mais c’est historiquement absurde, puisque c’est aller dans le sens de la ­catastrophe assurée.

Alors que le premier ministre ne représentait que 5% aux dernières primaires, compte-t-il sur une recomposition de la base militante du parti ??

Christian Laval : Valls veut, de manière très explicite, refaçonner le PS à sa main. Il souhaite en faire un nouveau parti, qui n’aura plus rien de socialiste, et qui perdra même le mot de socialiste comme il l’a déjà sous-entendu. Il tranche avec le néolibéralisme honteux de Jospin, de Hollande, et de la majorité des cadres du PS, avant l’actuel quinquennat. Cela fera sans doute fuir un certain nombre de militants, mais cela pourra aussi en attirer d’autres. C’est en tout cas le pari de Valls ? : celui de proposer un New ­Labour à la française. Mais c’est un pari très risqué que d’achever le PS à l’ancienne en comptant sur la désertion pour en faire renaître un nouveau, authentiquement néolibéral. Nous aurions alors un paysage politique inédit, avec un parti dit de gauche néolibéral et un parti de droite néolibéral, avec des différences morales et sociétales, mais avec un noyau politique identique.

Est-ce que le PS est mûr pour mourir et renaître comme le souhaite Manuel Valls ??

Christian Laval : Il faut faire la différence entre l’élite gouvernante du PS, qui a montré qu’elle était prête à toutes les conversions, et une base militante résiduelle qui pourra essayer de freiner ce virage. Mais la véritable question, c’est de savoir si les électeurs traditionnels du PS, son cœur, suivront aussi. Or on a des raisons de douter ? : les dernières élections montrent qu’ils font la grève du vote et l’état de désespoir, de désarroi et de colère de cet électorat laisse présager une sanction plus sévère encore. La déconnexion entre le sommet du PS et son électorat n’a jamais été aussi forte. Le calcul du PS aujourd’hui, s’il existe, c’est que son candidat de 2017 se retrouvera face à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. La crainte du Front national rassemblerait son électorat dispersé. C’est un pari monstrueux. S’ils l’ont en tête, c’est comme jouer à la roulette russe avec la démocratie et la ­République. Hélas, leur cynisme est tel qu’ils en sont capables.


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