En Irak, sous l’Etat islamique : les chrétiens de Mossoul racontent leur expulsion, froide et implacable

jeudi 31 juillet 2014.
 

Ils ont tout perdu, sauf la vie. Dans cet Irak transformé en enfer sur terre depuis onze ans, les chrétiens de Mossoul sont vivants, presque soulagés d’être condamnés à l’errance et à l’exil. A l’église syriaque orthodoxe Oum Nour (« Mère de lumière ») d’Erbil, dix-huit familles s’entassent dans le sous-sol, aménagé en camp de réfugiés.

Tous racontent, à propos de l’Etat islamique, qui a proclamé un « califat » sur les territoires conquis en Irak et en Syrie, la même histoire. Ce n’est pas du chaos. C’est le récit d’une organisation froide et implacable.

« Pendant trois semaines, les hommes de Da’ech ne se sont pas préoccupés de nous. Ils ne s’attaquaient qu’aux soldats, policiers et fonctionnaires chiites. Nous vivions discrètement », raconte un homme.

« Nous n’avions pas de liberté, mais ça allait. Nous, les femmes, portions des robes longues et des hijabs pour passer inaperçues », poursuit son épouse. « Certains disaient que nous étions protégés, témoigne Reham, une mère de famille. Ils paraissaient presque pacifiques. »

« UN “N” À LA PEINTURE ROUGE, SUR CHAQUE MAISON »

Avant de tomber entre les mains des djihadistes, Mossoul abritait entre 5 000 et 25 000 chrétiens. Beaucoup s’enfuient dès sa conquête par l’Etat islamique, le 10 juin. La route vers le Kurdistan reste étonnamment ouverte, malgré des combats sporadiques entre djihadistes et peshmergas kurdes. Même le bus Mossoul-Erbil reste en service.

La situation change le 16 juillet. Le soir, les djihadistes rendent visite à chaque famille chrétienne. « Ils ont dessiné un “N” dans un cercle, à la peinture rouge, sur chaque maison », témoignent les réfugiés. « N » pour « nassarah », nom utilisé pour désigner les chrétiens dans le Coran. « Ils ont demandé les numéros de téléphone de chaque famille et dit qu’il ne fallait pas hésiter à les appeler en cas de problème, raconte un vieil homme. J’ai cru qu’ils allaient nous protéger. »

Le clergé sait, de son côté, à quoi s’en tenir. L’évêché de Mossoul refuse une convocation à une réunion avec l’Etat islamique, ne voulant pas collaborer à un transfert forcé de population. « Nous avons su que les chrétiens allaient être expulsés, confirme l’évêque d’Erbil, Mgr Bachar Warda. Il n’y a eu aucune négociation. De toute façon, ces gens de Da’esh ne négocient pas. Ils donnent des ordres et vous devez obéir. »

La nuit suivante, les combattants repassent devant chaque maison. A leur réveil, les chrétiens découvrent, à côté du « N » rouge, l’inscription « Propriété de l’Etat islamique » peinte en noir.

C’est juste après la prière de l’aube du vendredi que l’annonce est transmise à la population, par des tracts et par les haut-parleurs des mosquées. Les chrétiens ont jusqu’au samedi 19 juillet à midi pour choisir entre se convertir à l’islam, payer un impôt spécial pour non-musulmans, ou partir. L’ultime option, en cas de désobéissance, étant de périr « par le glaive ».

« ILS ONT MÊME PRIS LE BIBERON DE MON FILS »

« Nous avons entassé nos affaires dans les voitures, raconte Reham. Je suis partie avec mon mari et nos deux fils. Contrairement à d’autres qui sont passés au checkpoint plus tard, ils n’ont pas pris notre voiture, mais ils ont pris l’argent, les bagages. Ils ont même pris le biberon de mon fils cadet. »

Le vol est systématique. Les combattants ont des ordres. Absolument rien, à part les vêtements qu’ils portent, n’est laissé aux exilés. « Ils ont pris l’argent, les bijoux, les téléphones, et même les sacs de vêtements et de nourriture », raconte un homme. Le seul objet qui semble échapper à une logique est la voiture, parfois volée, parfois pas. Des familles ont marché un kilomètre pour atteindre le checkpoint des forces kurdes.

« Nous sommes partis parmi les derniers, à bord d’un minibus, témoigne Samir. Nous étions douze chrétiens, et dix musulmans. Au checkpoint, un combattant a ordonné aux chrétiens de lui donner, argent, téléphones et sacs. Les musulmans aussi avaient peur. Le type qui est entré dans le bus nous a dit que nous devrions être contents qu’ils nous laissent partir comme ça… »

Les chrétiens de Mossoul affirment qu’ils n’ont aucun espoir de rentrer chez eux. Les autorités kurdes les aident à s’installer à Antawa, le quartier chrétien d’Erbil, et dans les villages chrétiens de la région. Beaucoup songent à l’exil à l’étranger, à l’instar de 400 000 chrétiens déjà partis d’Irak depuis dix ans.

« Pourtant, nous vivions bien ensemble, chrétiens et musulmans », raconte un homme qui se choisit le pseudonyme d’« El-Mosoli », « l’homme de Mossoul ». « Retourner un jour à Mossoul ? » Il lève les yeux au ciel… La question paraît tellement incongrue, à l’heure du califat. Pourtant, le fait que chacun exige l’anonymat est peut-être le signe que l’espoir d’un retour n’est pas mort. « El Mosoli », qui s’apprête à sortir de l’église, se retourne et murmure : « Quel homme n’a pas envie de retrouver un jour sa terre et d’y vivre ? »

Rémy Ourdan (Erbil, Kurdistan irakien, envoyé spécial)


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