Emplois non pourvus : les chiffres et les mythes

lundi 8 septembre 2014.
 

Le mythe des 350 000 emplois non pourvus en France a ressurgi mardi 2 septembre par la voix du ministre du travail et de l’emploi, François Rebsamen. Mais ce nombre grossier ne reflète aucunement la réalité du marché du travail. Il déplace sur les chômeurs la responsabilité de la crise de l’emploi. A mesure qu’on les décortique, ce nombre et ces mythes s’évaporent.

Le 20 juin 2013, lors de la conférence sociale, François Hollande évoquait « 200 000 à 300 000 recrutements qui sont entamés, puis abandonnés, parce qu’il n’y a pas de candidats suffisamment qualifiés par rapport aux emplois qui sont proposés ». Mardi 2 septembre 2014, François Rebsamen reprenait ce discours en rehaussant à 350 000 le nombre d’offres d’emploi non pourvues.

Face à un tel désintérêt des chômeurs pour les offres, il en déduisait la nécessité de « renforcer les contrôles » et d’accroître les sanctions le cas échéant, car « il n’est pas possible, dans un pays qui est en difficulté, qui veut se redresser (...), d’avoir des gens qui ne cherchent pas d’emploi ».

Mais le discours de François Rebsamen comporte plusieurs raccourcis. D’une part, 350 000 offres, même pourvues de force, n’apporteraient de réponse qu’à un dixième des chômeurs sans aucune activité (catégorie A), ou encore à 1 inscrit sur 20 à Pôle emploi (le nombre des inscrits excède ce mois-ci les 6 millions). Il s’agit de volumes incomparables.

1,7 % DES EMBAUCHES TOTALES

D’autre part, ce chiffre des offres non pourvues est fragile, tendancieux, et un peu trop rapidement monté en épingle.

Discours fragile, car cette estimation a connu bien des variations. En 2004, François Fillon annonçait 350 000 offres non pourvues. En 2008, Nicolas Sarkozy avançait 500 000 offres non satisfaites, avant que son ministre du travail, Xavier Bertrand, n’adopte le chiffrage de 250 000 en février 2011.

Considérant que l’ANPE gérait 35 % des offres totales en 2004, ce nombre de 350 000 venait originellement d’un simple triplement du nombre d’annonces de l’ANPE ne trouvant pas preneur. En oubliant que les employeurs confient régulièrement à l’ANPE leurs offres les plus compliquées à pourvoir auprès d’un public lui-même éloigné du marché du travail.

Ces proclamations sont d’ailleurs réduites en avril 2013 par les précisions d’Hélène Paris, directrice des statistiques et de l’évaluation à Pôle emploi, pour laquelle « parmi les 470 000 offres d’emploi retirées en 2012, environ 126 000 n’ont pas été pourvues faute de candidats ». Il s’agit en effet de distinguer entre les offres non pourvues faute de candidats, et celles non pourvues pour d’autres raisons.

Pourtant, le marché du travail français connaît chaque année un peu plus de 21 millions de recrutements (3 millions en CDI, 18 millions en contrats atypiques). Même en admettant le nombre de 350 000 offres non pourvues, celui-ci ne représenterait que 1,7 % des embauches totales – soit, à l’inverse, 98,3 % des offres d’emploi qui trouvent preneur.

126 000 OFFRES NON POURVUES FAUTE DE CANDIDATS EN 2012

Discours tendancieux, car la présence d’offres d’emploi non pourvues est tout à fait normale. Il s’agit de chômage frictionnel : tout emploi a une durée incompressible de recrutement, entre le dépôt de l’offre et la sélection d’un postulant.

Le chercheur Marc-Antoine Estrade a montré qu’un CDI ou un CDD de plus de six mois met en moyenne cinq semaines à trouver preneur, tandis que le recrutement d’un CDD de moins d’un mois s’opère en deux semaines (« Les emplois non pourvus : mythes et réalités », Regards croisés sur l’économie, n° 131/2013). Tout marché du travail connaît des offres d’emploi non pourvues… le temps qu’elles le soient ! Par ailleurs, la montée des contrats atypiques et précaires depuis les années 1980 augmente mécaniquement le nombre de procédures de recrutement et donc d’offres d’emploi temporairement non pourvues.

Lorsqu’un employeur remplace un salarié en contrat court par un autre Hadrien Clouet est doctorant au Centre de sociologie des organisations (CSO / CNRS-Sciences Po). Il est spécialiste des marchés du travail français et allemand. salarié en contrat court, par exemple, deux offres auront été proposées dans la même année, avec plusieurs semaines de « non-pourvoi ».

Enfin, à côté des 126 000 offres non pourvues à Pôle emploi faute de candidats en 2012, n’oublions pas que 274000, soit plus du double, ne l’ont pas non plus été, mais pour divers motifs : inexpérience des recruteurs dans les petites entreprises, déconnexion entre l’annonce et les compétences réelles nécessaires pour le poste, pourvoi en interne, recrutement extérieur à Pôle emploi (relations personnelles ou familiales, candidature spontanée, etc.), simple publicité sans véritable poste offert, offre trop sélective, salaire inacceptable pour la qualification requise, abandon du recrutement parce que le carnet de commandes ne s’est pas rempli ou que le besoin a disparu, voire constitution illégale d’une base de CV à travers les candidatures à des offres fantômes, vers laquelle revenir ultérieurement.

LISSAGES STATISTIQUES DE COURT TERME

Lire l’absence de pourvoi des offres d’emploi sous l’angle de la seule motivation des chômeurs est donc éminemment réducteur. Discours monté en épingle, car il permet d’affirmer que le taux de chômage est un enjeu de coercition vis-à-vis des chômeurs, et que la formation constitue la solution permettant l’adéquation entre une offre de travail et des chômeurs peu ou mal qualifiés.

Ces deux affirmations permettent des lissages statistiques de court terme : la radiation pour le premier, la mise en formation (et la sortie subséquente des statistiques du chômage) pour le second, malgré l’introuvable lien formation-emploi – seul un tiers des emplois français sont sujets à une formation spécifique, et les entreprises s’appuient en priorité, lors du recrutement, sur la motivation du candidat et les connaissances interpersonnelles.

Les offres non pourvues constituent un flux normal sur tout marché du travail, dont l’estimation est gonflée, dont la lecture en termes de motivation des chômeurs n’est pas pertinente, et dont la compression hypothétique ne réglerait pas grand-chose au chômage.

La question fondamentale d’une politique d’emploi – et l’angle mort du discours sur les « offres non pourvues » – demeure l’accroissement de ce volume d’offres, et non son pourvoi intégral.

par Hadrien Clouet, Science Politique


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