À quelle entreprise aspirons-nous  ?

jeudi 23 octobre 2014.
 

•"Une transition vers un au-delà du capitalisme actionnarial " par Daniel Bachet, professeur 
à l’université d’Évry

•"Oser le rêve d’une entreprise sous maîtrise citoyenne" par Danielle Montel et Thierry Bodin, syndicalistes CGT Sanofi

•"Pour les infusions Éléphant, une Scop afin de se débarrasser du fléau des actionnaires" par Olivier Leberquier, délégué syndical CGT de Fralib

•"Une transition vers un au-delà du capitalisme actionnarial " par Daniel Bachet, professeur 
à l’université d’Évry et chercheur 
au centre Pierre-Naville

Le récent plaidoyer du premier ministre en faveur de l’entreprise n’a aucun sens. Il souligne surtout la méconnaissance de l’homme politique qui n’a jamais vraiment réfléchi sur ce sujet et qui reprend à son compte les clichés les plus superficiels. Comme beaucoup, Manuel Valls, croyant faire référence à l’«  entreprise  » en tant que structure productive, ne valorise en fait que la seule entité juridique portée par les propriétaires ou les actionnaires, c’est-à-dire la «  société  ». Il admet donc implicitement que la recherche du «  profit  » (résultat net, rentabilité des capitaux propres…) est la finalité première de l’entreprise. Pourtant, si l’on reste dans ce cadre institutionnel imposé par la représentation juridique et comptable dominante des détenteurs de capitaux, aucune solution opératoire susceptible de valoriser le travail et l’emploi n’est concevable.

Dans le cadre de nouvelles règles du jeu, la finalité institutionnelle qui doit être assignée à l’entreprise est de produire des biens et des services. La contrepartie de la richesse créée se mesure alors par la «  valeur ajoutée  », et non par le profit, qui n’est qu’un solde ou un résultat. Dès lors que cette nouvelle finalité est reconnue comme légitime et opératoire, le travail est appréhendé comme une source de valeur et de développement, et non comme un simple coût à réduire. C’est déjà le cas dans un certain nombre d’entreprises familiales, pour l’essentiel des PME, qui sont parvenues à se repositionner sur des sentiers de développement en refondant leur comptabilité de gestion et en y associant l’ensemble du personnel.

Dans les sociétés cotées en Bourse, les représentants des salariés au conseil d’administration et les syndicats seraient alors en mesure de faire connaître «  l’intérêt social  » de l’entreprise, qui se mesure d’abord par la création de son véritable revenu, la valeur ajoutée.

Pour fixer les étapes d’une transition vers un au-delà du capitalisme actionnarial, il s’agit tout d’abord de mettre l’accent sur une véritable ouverture du conseil d’administration (CA) de la société, qui est un lieu de décision stratégique et qui devrait être composé des apporteurs de capitaux et des apporteurs de travail selon des proportions à définir collectivement. La démocratie ne peut pas s’arrêter à la porte de l’entreprise si l’on veut faire en sorte que les producteurs associés deviennent collectivement responsables de leur destin commun.

L’apport financier n’est qu’un des facteurs parmi beaucoup d’autres permettant le fonctionnement de l’entreprise.

Les représentants élus des salariés doivent disposer de voix délibératives au sein du conseil d’administration. Dans ce conseil, qui est une instance stratégique, la présence de représentants de salariés permettra de mieux définir l’intérêt général en évaluant la justesse des décisions prises par les directions.

Le comité d’entreprise peut être quant à lui un organe de proposition et de surveillance des droits et des devoirs des salariés, de choix du type d’organisation des moyens retenus par le conseil d’administration.

Cette refondation des entreprises donnera aux parties prenantes la capacité de négocier le poids relatif d’objectifs économiques diversifiés  : niveau de rentabilité, durabilité des produits et des procédés, organisation du travail, conditions sociales et écologiques de la production.

De nouvelles clefs de répartition pourront permettre d’opérer des arbitrages entre des objectifs parfois contradictoires  : accroissement de la rémunération des salariés ou des détenteurs de capitaux, réduction des émissions de polluants ou de gaz à effet de serre, rythme d’utilisation des consommations de matières premières non renouvelables, durée du travail, etc.

•"Oser le rêve d’une entreprise sous maîtrise citoyenne" par Danielle Montel et Thierry Bodin, syndicalistes CGT Sanofi

J’aime l’entreprise  », déclare le premier ministre en justifiant la multiplication des cadeaux du gouvernement aux patrons. Quelle entreprise  ? Celle rêvée par le Medef, dont les objectifs et le management nous font souffrir  ? Celle que nous ambitionnons, porteuse d’activités utiles dans une société où chacun vit sereinement  ? Quelle entreprise voulons-nous  ? L’entreprise d’aujourd’hui, qui la connaît mieux que chacun d’entre nous, nous qui la vivons, nous les salariés ? Chez Sanofi, nous sommes fiers de notre mission, de notre métier, de notre travail d’équipe, de nos expériences acquises ensemble. Notre travail à tous, notre implication ont permis de construire des activités, des sites, des médicaments, des vaccins, qui ont démontré toute leur efficacité. Des dizaines de milliers de salariés y ont participé et y contribuent encore malgré les difficultés. Nous voulons que ce potentiel scientifique et industriel perdure et reste une force d’avenir, transmissible aux jeunes, pour répondre aux besoins en santé des populations.Chez Sanofi, nous sommes en colère, chaque jour davantage, nous sommes catastrophés de ce que quelques prédateurs financiers, boursicoteurs font de cette entreprise, obnubilés par des objectifs mercantiles, égoïstes, et leurs obsessions de pouvoirs. Quatre mille emplois supprimés en France en cinq ans pour assurer une explosion des dividendes, voilà leur seule logique.

Leur obsession de la rentabilité les a conduits à supprimer des activités indispensables moins lucratives mais essentielles comme la recherche de nouveaux antibiotiques ou la production de principes actifs. Aujourd’hui, ce sont les sites de formulation pharmaceutique (conditionnement) qui sont visés. En premier, Quetigny (Côte-d’Or), et derrière combien d’autres ? C’est inacceptable.

Pour l’entreprise que nous souhaitons, nous voulons un avenir ambitieux, innovant, éthique, porteur de progrès et de démocratie.

Chez Sanofi, tout au long de son histoire, les salarié(e)s ont impulsé des propositions, des luttes pour que vivent  :

– des projets de recherches notamment en utilisant des compétences fortes en anti-infectieux, en endocrinologie, en cardio-vasculaire, en oncologie, en biotechnologie  ;

– des projets alternatifs aux destructions et cessions de site (Toulouse, Montpellier, Porcheville, Romainville, Neuville,.. ), avec le souci du maintien du potentiel  ;

– des développements pour les économies locales, départementales, régionales, nationales et internationales.

Dans l’entreprise que nous voulons, la question des pouvoirs est importante et récurrente. Nombreux sont les dirigeants de grands groupes industriels qui ont collaboré et failli pendant la guerre. Aujourd’hui, nombreux sont les géants de l’industrie pharmaceutique qui font parler d’eux pour leur abandon de leurs responsabilités citoyennes, leurs destructions d’emplois alimentant le chômage, leurs réorganisations continues, leur management par la contrainte, leur rejet des jeunes qui ne connaissent que la précarité, leurs «  économies  » nuisant à l’efficacité, affaiblissant la qualité… Leur pouvoir est illégitime. Ces dirigeants-prédateurs-usuriers sont dangereux, sont coûteux, sont nuisibles.

Cette question doit être posée publiquement. Il faut oser. Oser le rêve d’une entreprise sous maîtrise citoyenne, sous contrôle citoyen, où les choix, les financements (nos impôts) seront utiles à chacun et à tous, et où les jeunes pourront prendre leur place et décider d’un avenir meilleur. Le médicament constitue à nos yeux un bien commun à l’humanité. Notre action s’inscrit dans cette perspective.

(*) Coauteurs, avec Daniel Vergnaud et Danielle Sanchez, 
de Sanofi Big Pharma. L’urgence de la maîtrise sociale. 
Éditions Syllepse, 2014, 142 pages, 8 euros.

•"Pour les infusions Éléphant, une Scop afin de se débarrasser du fléau des actionnaires" par Olivier Leberquier, délégué syndical CGT de Fralib

Nous avons mené pendant près de quatre ans une lutte pour le maintien de notre activité industrielle et nos emplois, nous avons construit pour cela un projet alternatif à la fermeture. Celui-ci consiste à poursuivre notre activité sous la forme d’une coopérative ouvrière avec d’autres valeurs que celles que nous avons subies pendant des décennies avec Unilever. Notre objectif  : une entreprise qui s’appuie sur de bonnes conditions de travail, des revenus suffisants pour répondre aux besoins de nos familles, des produits de qualité et respectueux de l’environnement, un travail avec les producteurs locaux… Et, fondamentalement, être maîtres de l’outil de production, ce qui est la condition sine qua non pour que cet objectif soit atteignable.

Autrefois, 400 tonnes de notre tilleul Éléphant étaient récoltées et conditionnées en Provence. Aujourd’hui, la production n’est plus que de 10 tonnes pour un tilleul qui vient d’Amérique latine ou d’Europe de l’Est, puis fait près de 3 000 km pour son conditionnement, pour finalement être consommé en France  ! Pour mettre en œuvre l’approvisionnement local, nous nous sommes d’ores et déjà engagés à créer des partenariats permanents avec les acteurs agricoles du territoire. Nous l’avons déjà fait.

Par exemple, en septembre 2013, pour la Fête de l’Huma, en conditionnant 5 000 boîtes de tilleul de Buis-les-Baronnies, dans la Drôme, récolté par un producteur certifié bio réputé pour sa qualité supérieure. Nous revenons cette année avec le même tilleul mais aussi du tilleul menthe, de l’infusion menthe et un excellent thé vert venant d’arbres centenaires du Vietnam. En buvant nos thés et infusions, fabriqués par des salariés devenus coopérateurs, vous êtes socialement, humainement, écologiquement, et économiquement responsables. Vous devenez des consom’acteurs  !

Sur les cinq dernières années, avec Unilever, le point d’équilibre financier se situait à une production de 1 000 tonnes par an, alors que nous en produisions 3 000. Donc, les quatre premiers mois de l’année nous travaillions pour amortir la totalité des coûts, comme ils disent, et les huit autres mois pour enrichir les actionnaires. C’est bien la preuve que ce qui freine l’économie aujourd’hui, c’est le fléau des actionnaires. Dans notre Scop, nous avons décidé de le supprimer et nous avons tout pour repartir, les bâtiments et les terrains, l’outil industriel, les hommes et femmes qualifiés et déterminés, des partenaires prêts à partir dans l’aventure avec nous. Si nos engagements veulent aider au développement des luttes, ils participent aussi du débat sur les perspectives politiques, et notamment l’appropriation sociale et publique, puisque les créateurs de richesses de toute entreprise sont les travailleuses et travailleurs qui la composent, et la nationalisation de nombre de secteurs et groupes stratégiques pour notre pays. Questions fondamentales pour nous, car elles sont au cœur du projet des 58 coopérateurs qui le mettent en œuvre.

On ne tient pas une lutte aussi longue que la nôtre uniquement sur la haine des décisions prises par un employeur au nom du profit. On tient parce que l’on a pris la décision de construire notre solution pour maîtriser notre avenir.

Notre lutte en rejoint d’autres. Ainsi nos camarades ex-Pilpa qui ont, eux aussi, gagné la lutte pour le maintien de leur activité industrielle et de leurs emplois. En s’appuyant, entre autres, sur notre expérience, ils ont créé leur coopérative ouvrière la Fabrique du Sud à Carcassonne et fabriquent leur propre (et délicieuse) glace méthode artisanale la Belle Aude.

Nous construisons également des liens à l’international, et notamment avec les peuples d’Amérique latine, mais aussi européens, puisque nous avons coorganisé, dans notre usine occupée, les 1res Rencontres régionales européennes de l’économie des travailleurs, fin janvier dernier (200 participants et 12 nationalités), qui ont démontré qu’il n’y a pas de fatalité à subir les méfaits du système capitaliste, mais qu’au contraire un réel changement de société est plus que jamais possible et nécessaire.

L’entreprise… ça n’existe pas  !

Contrairement à la perception dominante, l’entreprise, au sens de la structure produisant des biens et/ou des services, de la communauté des salariés qui y travaillent, n’a pas d’existence légale. Seule la société commerciale – et ses détenteurs, les actionnaires – est juridiquement reconnue. La confusion entre les deux, au bénéfice des actionnaires, est lourde de conséquences sur la finalité et le ode de gestion de l’entreprise.


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