Uruguay : La gauche encore, après Pepe Mujica ?

mardi 28 octobre 2014.
 

2) Résultats pour la gauche bons aux présidentielles, plus difficiles aux législatives

L’ancien président de gauche Tabaré Vazquez affrontera le candidat de centre-droit Luis Lacalle Pou au second tour de la présidentielle en Uruguay, le 30 novembre, selon des sondages sortie des urnes diffusés dimanche soir.

Candidat pour le Frente Amplio (gauche) du président actuel, José Mujica, M. Vazquez, obtiendrait 44% à 46% des votes, suivi de Luis Lacalle Pou (Parti national), avec 31% à 34%, selon ces sondages réalisés par les sociétés Equipos Mori, Factum et Cifra.

Pedro Bordaberry, candidat du Parti Colorado (conservateur), arriverait troisième avec 14% des suffrages, tandis que le petit Parti indépendant (gauche) récolterait 3% des suffrages.

Selon la loi, le président actuel, l’ex-guérillero "Pepe" Mujica, célèbre dans le monde entier pour son style de vie austère et son discours anti-consumériste, ne pouvait pas se présenter à un second mandat consécutif.

Alors que le scrutin de dimanche visait aussi à désigner les 30 sénateurs et 99 députés du Parlement, le Frente Amplio, coalition de gauche au pouvoir depuis 2005, perdrait la majorité parlementaire qui lui a permis durant la dernière décennie d’approuver des lois novatrices comme la légalisation de l’avortement, le mariage homosexuel ou la régulation de la production et de la vente du cannabis.

1) Uruguay : « Pepe », Tabaré et les autres

« Pepe  » va passer la main. Les Uruguayens s’étaient pourtant habitués à la bonhomie de leur président au point de l’appeler par son diminutif. Figure tranquille et de bonté de 79 ans, José Mujica est entré dans la vie de ses concitoyens en 2009. Sans fracas. Lui qui fut l’un des visages de la guérilla des Tupamaros. Pour ses activités subversives, il sera emprisonné treize années durant et torturé, s’il fallait le préciser, avant d’être libéré en 1985. «  Pepe  » a incarné pendant cinq ans le bon sens populaire. «  Un monsieur Tout-le-monde  », en somme. «  Ce n’est pas une lutte des superhéros ou des phénomènes. C’est la cause d’un peuple, une cause collective, d’engagement. Aucun type ne peut offrir la prospérité à une société. (…) La prospérité, nous allons tous la gagner  », a-t-il déclaré le soir de sa victoire. Sa première mesure a été de réduire de 90 % son salaire de président. «  Cet argent me suffit, et doit me suffire parce qu’il y a des Uruguayens qui vivent avec moins. (…) Je ne suis pas pauvre. Les pauvres ce sont ceux qui croient que je le suis  », a-t-il précisé un jour. Son geste n’est pas étranger à celui d’autres chefs d’État de gauche parvenus aux plus hautes fonctions en Amérique latine à l’aune des années 2000. Mais il est suffisamment rare de ce côté-ci de l’Atlantique pour ne pas le relever.

Un homme simple, proche des gens

Peu à peu, José Mujica s’est imposé, s’attirant la sympathie des médias. De droite comme de gauche. On le voit sur un cliché dans une salle d’attente d’un hôpital public, refusant tout passe-droit. Là encore, il est au volant d’une voiture modeste à l’image de sa maison, «  sa chacra  », où il réside avec son épouse, la sénatrice et elle aussi ancienne guérillera, Lucia Topolansky. Loin des fastes de la République. Pepe est un homme simple, proche des gens.

Dimanche, lors du premier tour des élections générales, il sera candidat au Sénat «  pour aider  » son Mouvement pour la participation populaire, la Constitution lui interdisant de briguer un second mandat présidentiel. Il reviendra au socialiste Tabaré Vazquez de défendre les couleurs du Front ample (Frente amplio, Fa), cette large coalition de vingt et un partis, créée en 1971, et reliant le centre gauche à l’extrême gauche radicale. La chose n’est pas nouvelle pour l’ancien maire de Montevideo et cardiologue de profession. C’est lui qui a ouvert en 2005 les portes du pouvoir à la gauche. À l’époque, ce succès n’avait pas autant réveillé la curiosité qu’un «  Pepe  » en jean et en basket. Ce fut pourtant une victoire historique. Pour la première fois depuis 168 ans, les Uruguayens avaient refusé de sacrer l’une des formations libérales traditionnelles, le Parti national (Blanco) ou le Parti colorado. Ces partis de droite, qui ont scellé une alliance historique d’alternance, avaient jusqu’alors vampirisé les institutions du pays, à l’exception de la sinistre période de la dictature (1973-1985), lorsque l’Uruguay avait activement participé au plan «  Condor  » d’extermination des démocrates et des opposants de la région.

Tabaré Vazquez va creuser une politique différente après les années sombres des plans d’austérité. Lorsqu’il quitte le pouvoir en 2010, il laisse à son successeur «  Pepe  » Mujica un bilan plutôt flatteur. Le PIB est en hausse de 35,4 %, tandis que les exportations ont cru de 100 %. Le taux de chômage a été ramené à 7 % contre 13 % en 2004. Les salaires ont été augmentés en moyenne de 30 %. Ces quatre dernières années, l’ex-rebelle en armes a suivi le sillon de son prédécesseur. La pauvreté a continué de reculer, passant de 40 % à 11 %. Cette dernière décennie, le salaire minimum a été rehaussé de 250 %. L’éducation est devenue une priorité, même s’il reste beaucoup à faire, au même titre que l’accès à la santé, relevant ainsi l’espérance de vie à 80 ans pour les femmes et à 73 ans pour les hommes. De manière générale, près de 44 % de la population reçoit une aide sociale contre 15,4 % en 2004. Mais on est loin des réformes structurelles radicales espérées et attendues au sein du FA.

En une décennie, la gauche au pouvoir a augmenté le salaire minimum de 250 %.

La dépénalisation du cannabis, la légalisation de l’IVG ou encore la reconnaissance officielle du mariage homosexuel sont autant de réformes qui ont constitué des ruptures dans une région encore à la traîne en matière de droits sociétaux. «  J’aurais voulu faire plus de choses  », a récemment reconnu Pepe Mujica à l’agence EFE, notamment concernant l’enseignement ou encore l’insécurité, thème récurrent de cette campagne électorale. L’autre grande dette laissée en suspens par la gauche uruguayenne sont les lois dites de «  caducidad  ». Elles garantissent jusqu’à présent une totale impunité aux auteurs des crimes perpétrés durant la dictature. Une aberration aux yeux des démocrates et des familles des victimes, et que Tabaré Vazquez ne semble pas vouloir corriger. Si l’Uruguay a changé, le poids dont jouissent les militaires reste, lui, quasi intact. Statu quo aussi du côté de l’opposition. À droite, Luis Alberto Lacalle défendra le Parti national. À droite encore, Pedro Bordaberry, du Parti colorado, retentera sa chance. Les deux hommes – fils de président impopulaire pour le premier et rejeton d’un dictateur pour le second – avaient été éconduits il y a quatre ans, face à un «  Pepe  », symbole du dirigeant politique proche du peuple.

Cathy Ceïbe, L’Humanité


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