Le bouddhisme birman poursuit le nettoyage ethnique des Rohingyas

vendredi 9 décembre 2016.
 

B) Aung San Suu Kyi silencieuce face aux massacres de l’armée (novembre 2016)

Depuis trois semaines, la minorité apatride rohingya est la cible d’exactions d’une rare intensité. 18 000 personnes seraient déplacées.

Quel est le pouvoir réel du gouvernement civil élu il y a un an en Birmanie et dont la figure de proue, Aung San Suu Kyi, promettait un pays apaisé et réconcilié ? La question est plus que jamais d’actualité alors que l’armée multiplie les exactions dans l’État de l’Arakan (nord-ouest) à l’encontre de la minorité apatride rohingya. Après la mort de neuf policiers, il y a trois semaines, dans des attaques coordonnées menées par des hommes armés non identifiés, se revendiquant d’un groupe inconnu le Aqa Lul Mujahidin, contre des postes-frontières birmans proches du Bangladesh, l’armée birmane est engagée dans un « ratissage sécuritaire » qui rappelle les pires heures du nettoyage ethnique de 2012, lors duquel 140 000 personnes avaient été déplacées.

Aux villages incendiés répondent les viols en masse et les exécutions sommaires. Selon un témoignage rapporté par l’association Info Birmanie, les militaires tirent « sur tout ce qui bouge, notamment sur les pêcheurs osant se risquer à sortir de leur hameau  ». Le blocage total de la zone nord aux autorités civiles, aux ONG et aux médias, empêche d’obtenir des informations précises et chiffrées. « On parle aujourd’hui de 18 000 personnes déplacées, dont 13 000 seraient rohingyas, mais les organisations rohingyas estiment qu’il s’agit de chiffres sous-estimés. Plus de 50 000 personnes ciblées par l’assistance alimentaire du Programme alimentaire mondial ne la reçoivent plus depuis près de trois semaines », indique Info Birmanie.

Depuis les violences de 2012, plus de 100 000 Rohingyas survivent toujours dans des camps de déplacés de l’Arakan. Alors que les Nations unies exigent une enquête indépendante, le gouvernement ménage les militaires et se contente d’expliquer que l’exécutif n’a « rien fait d’illégal ». Un silence qui pèse sur la transition démocratique elle-même.

A) Pogroms, tortures, viols systématiques, déplacements forcés contre les rohingyas (novembre 2014)

Se sont-ils retrouvés réduits en esclavage, capturés puis vendus pour une poignée d’euros sur des bateaux de pêche à la crevette thaïlandais  ? Ont-ils été cédés comme du bétail à des entrepreneurs du bâtiment ou à des exploitants agricoles malaisiens  ? Se sont-ils retrouvés parqués dans des camps du Bangladesh  ? Le mystère règne toujours autour du destin des 10 000  Rohingyas qui ont fui, ces deux dernières semaines, les persécutions en Birmanie. Cet exode massif est d’autant plus inquiétant que la police thaïlandaise a découvert, les 11 et 12 octobre derniers, 53 Rohingyas et Bangladais, détenus dans une plantation d’une île du Sud, probablement destinés au trafic d’être humains. Depuis la reprise des violences en juin 2012, 100 000 membres de cette minorité musulmane ont ainsi quitté le pays, mais cet exil est inédit par son ampleur.

Apatrides depuis 1982, les Rohingyas sont régulièrement soumis aux pogroms planifiés par les régimes successifs qui travaillent la fibre identitaire bamar (bouddhiste). De 1942 à 1991, les opérations «  Conquérant  », «  Davantage de pureté  », «  Millions de succès  » ou «  Belle Nation immaculée  » ponctuent un quotidien fait de tortures, de viols, d’arrestations, de travaux et déplacements forcés. Mais les tensions ont été ravivées au printemps dernier, alors que des milliers d’agents du recensement s’étaient déployés sur le territoire. Trente ans que la population de la Birmanie n’était pas comptée. Les fonctionnaires ont sciemment omis des zones de l’état rakhine. En l’espace de quelques semaines, le pays a ainsi effacé 1,2 million de Rohingyas afin de «  ne pas menacer la stabilité  », a cru bon de préciser la ministre de l’Immigration. Du point de vue des autorités, inutile en effet de recenser les Rohingyas, considérés par la propagande comme des ouvriers illégaux venus du Bangladesh, malgré une présence pluriséculaire dans le pays.

Une minorité considérée comme
la plus «  persécutée au monde  »

Et les anciens généraux ont de la suite dans les idées. En septembre dernier, le ministre des Affaires étrangères, Wunna Maung Lwin, a annoncé devant l’assemblée générale des Nations unies la préparation d’un «  plan d’action  » visant à assurer «  la paix, la stabilité, l’harmonie et le développement  ». Lorsqu’on connaît les méthodes de l’ancienne junte, il y a de quoi s’inquiéter.
 Le chef de la diplomatie a ainsi appelé la «  communauté  » internationale à «  contribuer de manière pragmatique et objective  » à trouver une «  solution durable  » pour l’État rakhine. Le document présenté prévoit que les Rohingyas recouvrent leurs droits s’ils se déclarent comme «  Bengalis  » auprès des autorités. C’est ce que la Birmanie appelle froidement un «  exercice de vérification de la citoyenneté  ». Les réfractaires, ou ceux qui ne peuvent fournir la preuve de leur présence dans le pays depuis plusieurs générations, seront déportés dans un pays tiers ou détenus dans un camp de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR). En soi, l’idée n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été évoquée par le président birman, Thein Sein, déterminé à en finir avec les Rohingyas, considérés comme la minorité la plus «  persécutée au monde  » par l’ONU. Thein Sein s’inscrit dans la droite ligne du racisme d’État mis en place par le dictateur Ne Win qui, à compter du coup d’État de 1962, s’est employé à «  purifier  » la Birmanie. Privés du statut de citoyens, les Rohingyas ne peuvent quitter les communes de l’Arakan légalement et, depuis 1994, ils doivent se procurer des autorisations spéciales en échange de pots-de-vin pour se marier. En 2013, le gouvernement les empêchait d’avoir plus de deux enfants et des moines bouddhistes radicaux tentent toujours de faire interdire les mariages mixtes avec ceux qui sont considérés comme des «  chiens  », des «  cafards  », des «  sous-hommes  ». Cette terminologie est d’ailleurs sciemment reprise par la presse birmane, dont on célèbre ici la liberté retrouvée depuis la dissolution de la junte et l’instauration d’un processus de transition démocratique.

Le gouvernement a mis sur pied 
un véritable plan de colonisation

« Un nouvel apartheid  » se profile ainsi, à en croire Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie de Human Rights Watch (HRW). Selon ce plan, la minorité rohingya serait «  verrouillée dans les camps, dépourvue de moyens de subsistance, d’éducation, de santé et d’espoirs  » et menacée de voir ses terres spoliées. Car le gouvernement a mis sur pied un véritable plan de colonisation. Partout, des villages modèles sortent de terre et d’anciens généraux et d’anciens prisonniers sont chargés de «  bouddhiser  » l’État rakhine. Les autorités birmanes se sont aussi appuyées sur une annonce d’al-Qaida pour relancer ses opérations dans l’État rakhine. Début septembre, le numéro un de l’organisation terroriste, Ayman
Al-Zawahiri, affirmait vouloir étendre l’influence de son mouvement sur tout le sous-continent, en Inde, au Bangladesh et en Birmanie, afin d’établir un califat. Une occasion en or pour la Birmanie de faire passer le nettoyage ethnique pour des actions antiterroristes. Les arrestations se sont ainsi multipliées, ces dernières semaines  : «  C’est vraiment une campagne pour essayer de créer la panique dans la population, pour qu’ils partent d’eux-mêmes  », explique Chris Lewa, directrice de l’ONG The Arakan Project.

Lina Sankari, L’Humanité


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