M6r.fr, Nous le peuple : objectifs politiques et méthode militante

mardi 31 juillet 2018.
 

Interview de Jean-Luc Mélenchon par le quotidien Le Monde : cyberespace, 6ème république, formules à l’emporte-pièce, Front de gauche et Podemos, Front de Gauche et écologistes d’EELV, rapport au PS, élections départementales et régionales, élections présidentielles 2017. Face au libéralisme, le point d’arrêt, c’est le point Macron.

Député européen et candidat du Front de gauche à la présidentielle de 2012, où il a engrangé 11,13 % des suffrages, Jean-Luc Mélenchon se consacre désormais à son mouvement pour la VIe République. Il souhaite un « large rassemblement » contre la loi Macron afin d’obtenir « une victoire contre le libéralisme ».

Vous lancez un réseau citoyen, « Nous le peuple », pour mobiliser sur Internet en faveur de votre mouvement pour la VIe République. Vous ne croyez plus au pouvoir de la rue ?

Les deux ne s’opposent pas mais se complètent. Le cyberespace est la nouvelle dimension du réel. Dans quinze ans, la forme traditionnelle des partis aura disparu du fait de ses opportunités techniques. Une large part de la vie militante va muter par Internet. C’est pourquoi le mouvement pour la VIe République, M6r.fr, est à la fois un objectif politique et une méthode militante nouvelle. Tous les candidats à la présidentielle seront contraints de se prononcer sur les institutions.

Est-ce que parler des institutions est à même de fédérer le peuple ?

C’est nécessaire. La Ve République est obsolète et l’Europe kafkaïenne. Jamais la prise de décision politique n’a été aussi éloignée des citoyens. Le verrou économique est total, quelle que soit l’équipe au pouvoir. Alors la politique est vécue comme une gesticulation carriériste. Le peuple est absent de la scène. Il fait la grève du vote. Ce système politique va s’écrouler. C’est une priorité de changer la règle du jeu.

Pensez-vous réconcilier les citoyens avec la politique en usant de formules à l’emporte-pièce, comme vous l’avez fait dimanche 7 décembre contre Mme Merkel ou le lendemain contre une eurodéputée CDU ?

Mille fois oui ! En parlant comme ça, je défoule la France, j’incarne son humiliation et j’adresse un message aux gouvernants allemands. N’oubliez jamais : c’est sur les vieilles cicatrices que se rouvrent les nouvelles blessures. La condition de la paix, c’est la stricte égalité entre Français et Allemands. En laissant libre court à l’arrogance de Merkel, Hollande l’encourage. L’Europe ne doit pas être le nouvel empire des rentiers allemands. L’Allemagne vieillissante, ses pauvres et ses équipements publics en ruine, n’est pas un modèle pour nous.

Pourquoi en France le Front de gauche ne rencontre-t-il pas un succès similaire à celui de Podemos en Espagne ?

Nous sommes plus forts que la gauche radicale du nord de l’Europe mais moins que celle du sud. Ici, les mouvements sociaux et la prise de conscience ont été moins avancés. Là-bas, les dictatures d’extrême droite sont encore proches. Ici, la promotion médiatique de Le Pen est un sérieux obstacle. J’entends parler d’échec du Front de gauche depuis la première élection en 2009. Pareil en 2012, alors que nous sommes passés de 2 % en 2007 à 11 %, avec 4 millions de voix.

Dès lors, quelle alternative pouvez-vous porter ?

Il n’y a pas d’alternative si nous ne parvenons pas à remettre le peuple en mouvement. Il faut donc tracer une ligne d’arrêt sur laquelle nous pourrions remporter une victoire contre le libéralisme. Ce point d’arrêt, c’est le point Macron. Cette loi qui prévoit le travail du dimanche et la nuit, l’abaissement des normes protégeant les apprentis, tous ces marqueurs de la gauche… Les « frondeurs » sont flous. Il n’y aura pas d’opposition de gauche audacieuse au Parlement s’il n’y en a pas une dans la rue.

Vous appelez à une grande manifestation ?

Ce serait aux syndicats de porter cette mobilisation. Soit ils se mettent d’accord pour nous rassembler un week-end, où la disponibilité est la plus grande, soit il faut en prendre l’initiative ailleurs. Car nous avons besoin d’un front du peuple très large. On a vu comment un cadre collectif, comme le « 3A » [Alternative à l’austérité], qui a convoqué la manifestation du 15 novembre contre l’austérité, a prouvé une plus grande capacité de mobilisation que les syndicats. Il réunit des associations, des syndicats et des partis. C’est la bonne alchimie pour le succès.

Vous associez les Verts dans cette mobilisation ?

Ils seraient à coup sûr partie prenante. Le travail du dimanche, c’est le productivisme avec un P majuscule, la sacralisation de la société de consommation. La logique écologique est hostile à ce mode de société.

De manière plus générale, pensez-vous qu’une alliance avec les écologistes puisse aboutir ?

Oui. C’est la logique depuis leur sortie du gouvernement et la mort de Rémi Fraisse. Au Front de gauche aussi, nous avons atteint une limite, notamment aux municipales. Donc, créons une nouvelle dynamique en faisant la jonction avec le courant écologiste. Nous avons un modèle : la victoire lors des municipales à Grenoble. La preuve est faite qu’il est possible de gagner avec un accord entre Europe Ecologie et le Parti de gauche – qui ne demande qu’à s’élargir au reste du Front de Gauche – contrôlé par un rassemblement citoyen à la base. La situation bouge chez les Verts. Cécile Duflot met des choses en mouvement, elle leur montre une issue possible. Je fais tout ce que je peux pour favoriser ce mouvement. La gauche est en train de se reformater. Mais la clé reste dans l’implication des citoyens.

Quelle forme cette nouvelle alliance peut-elle prendre en 2015 aux élections départementales et régionales ?

Tombons d’accord sur une charte, un label national et la remise du pouvoir aux assemblées citoyennes. Mais pas d’alliance avec le PS. Si des socialistes sont prêts à nous rejoindre, ils doivent rompre clairement et publiquement avec le gouvernement. La référence, c’est le peuple, pas la gauche officielle.

Etes-vous favorable à un front républicain face au FN ?

Cela ne sert à rien. L’annoncer, c’est installer la centralité du Front national dans la vie politique. Si j’étais électeur à Troyes [où le FN et l’UMP s’affrontent dans une législative partielle], je voterais blanc dimanche prochain.

Serez-vous candidat en 2017 ?

2017 doit être une insurrection pour la VIe République plutôt qu’une simple élection. Les sondages me situent à 10 %. J’arrive juste derrière Aubry à gauche. Les circonstances diront si je suis le mieux placé. Mon livre, le projet d’économie de la mer sont mes apports à l’invention d’un autre futur. Pas de crainte. Nous ne manquons pas de talents.

Yves Bordenave Journaliste au Monde


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