"La gauche n’a pas été élue pour faire une politique... qui ne va pas du tout dans le sens de l’histoire de la gauche" (Pierre Joxe)

mardi 30 décembre 2014.
 

Dans un débat sur Médiapart http://blogs.mediapart.fr/blog/la-r...

Pierre Joxe s’exprime dans une excellente vidéo de 36′

extraits par http://antennerelais.canalblog.com/...

Pierre Joxe contre la déconstruction du code du travail

à 8’02 de la vidéo :

Pierre Joxe : « Le mouvement qui a lieu en ce moment en France (pas seulement en France, pas seulement depuis deux ans) est un mouvement je dirais de déconstruction du droit du travail. Le droit du travail est un droit d’exception, c’est un droit qui dit « non » au code du civil, qui dit « non » au droit classique, au droit du libéralisme, qui dit « non la liberté n’est pas complète » : on ne peut pas embaucher des enfants dans les usines (1834), on ne peut pas embaucher des femmes dans les mines, etc. C’est un droit d’exception qui repose sur une action collective, on l’a vu depuis un siècle : tout le droit du travail a progressé sous la pression d’actions syndicales. »

à 9’25 :

Pierre Joxe : « Aujourd’hui depuis quelques années, en France, on assiste à une déconstruction. Pas un recul, pas une démolition c’est un mot exagéré : déconstruction, effritement du droit du travail. C’est plus avancé dans d’autres pays (en Angleterre c’est très avancé), mais en France il y a une espèce d’accélération récente – on va je pense en parler de cette loi qui concerne souvent le droit du travail et qui n’associe même pas le ministre du Travail. »

à 9’55 :

Pierre Joxe : « Le droit du travail est un droit qui ne met pas la priorité au contrat, mais qui dit : la loi s’impose au contrat. C’est la loi qui protège, car le contrat peut asservir (dans le Code civil il était dit que le patron était cru sur sa parole alors que l’ouvrier devait apporter la preuve, ça a duré un demi-siècle comme ça). Le droit du travail est un droit qui dit : non le contrat n’est pas la loi des parties, sauf si ce contrat respecte la loi. Quelle loi ? La loi qui limite la durée du travail ; les enfants, le repos hebdomadaire etc. On assiste à un mouvement inverse, voulant rendre au contrat (de travail ou collectif) la fonction qui a été conquise par le droit du travail, par la loi. Et ça c’est un phénomène étrange ! »

La « loi Macron »

à 10’50 :

Pierre Joxe : « On parle d’une loi sous son nom (« loi Aubry », « loi Auroux ») lorsqu’elle a été votée et promulguée. Pour l’instant on a un projet de loi [...]. »

à 12’24 :

Pierre Joxe : « [...] Il y a eu des éléments précurseurs. On aurait du s’alarmer lorsqu’on a lu dans un journal il y a un an, signé par un certain nombre de députés socialistes (3) – dont Le Guen qui est devenu ministre des Relations avec le Parlement -, je cite : « Il faudra que Hollande s’attaque à un redoutable tabou national, celui des rigidités d’un code du travail qui est devenu un puissant répulsif de l’emploi ». Qu’une dizaine de députés socialistes puisse signer – un siècle après la création par Clémenceau du premier ministère du Travail, un siècle après le premier code du travail, un siècle après les premières grandes lois sur le repos hebdomadaire, sur la durée du travail – puisse signer un document disant que le code du travail est un « puissant répulsif » et que c’est un « tabou national » qu’il faut démolir, c’est stupéfiant. »

(3) Pacte : dix parlementaires PS saluent le « pari audacieux » de Hollande (AFP)

à 13’34 :

Pierre Joxe : « Quelques années auparavant, Madame Parisot alors présidente du MEDEF disait : « Nous préconisons une réforme de la Constitution afin de reconnaitre le droit à la négociation, et de permettre aux représentants des employeurs et des salariés de fixer les modalités d’application des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. » ça c’était il y a une dizaine d’années. Donc cette idée qu’il faut retirer au règne de la loi, aux représentants de la souveraineté nationale, la responsabilité, le devoir de fixer les règles dans le domaine du droit du travail, c’est une idée qui chemine lentement en France depuis quelque temps. »

à 14’18 :

Pierre Joxe : « [...] avec cette nouvelle loi ["Macron"] on est d’autant plus stupéfait qu’on y trouve des choses ahurissantes [...]. Par exemple concernant la pénalisation de l’entrave. Le délit d’entrave [c’est] empêcher des délégués syndicaux, des représentants du personnel, de remplir leur mission, c’est un délit – le droit du travail c’est aussi en partie un droit pénal : le patron qui fait entrave au fonctionnement du droit du travail, en particulier aux institutions représentatives qui ont été développées depuis la Libération, il peut être condamné à des peines, y compris de prison (c’est très rare). L’article 85 du projet de loi ["Macron"] prévoit que par ordonnance (donc évitant le débat public), le gouvernement pourrait réviser la nature et le montant des peines et des sanctions applicables en cas d’entrave. C’est à dire qu’on envisage de réduire le système des pénalités d’entrave, alors que ni la loi d’amnistie de 1981, ni la loi d’amnistie de la droite en 1995, ni la loi d’amnisite de 2002, n’ont porté atteinte à cette espèce de règle un peu mythique mais qui quand même dit que si un employeur viole le droit du travail dans certaines conditions, en particulier en faisant entrave au fonctionnement des institutions, il peut être condamné. ça va être retiré. Moi je ne comprends pas. Je pense que le débat aura lieu, mais là comme c’est prévu par ordonnances, on voit bien que ça veut fuir le débat. Je pense que ce débat doit être porté très largement [...]. »

Le travail le dimanche

à 19’22 :

Pierre Joxe : « [...] L’existence du travail le dimanche est nécessaire ; parce qu’il y a les hôpitaux, les transports en commun, sans parler de la police etc. Mais le développement du travail du dimanche, dans le commerce (le commerce est la grande activité principale dans laquelle il y a les salariés les plus faibles, les moins qualifiés, les plus nombreux, les plus « remplaçables »), le développement du travail du dimanche est exclusivement destiné aux intérêts des groupes de la grande distribution. Exclusivement ! Pas principalement : exclusivement ! [...] Là aussi on ne comprend pas très bien. [...] »

Manuel Valls Premier ministre

à 21’13 :

Pierre Joxe : « [...] les conditions dans lesquelles fonctionne le gouvernement actuel sont aussi surprenantes, puisque le Parti Socialiste avait choisi un candidat (pas parmi trois), un seul avait eu un résultat très faible dans l’investiture primaire, c’était Valls, avec 5%. Evidemment deux ans après quand il gouverne la France, beaucoup de gens sont surpris. C’est comme ça, ça fait partie du jeu institutionnel et des surprises que l’on peut avoir. Mais la gauche dans son programme n’a jamais envisagé des réformes du droit du travail [comme celles] envisagées aujourd’hui. »

« à contre-emploi de notre histoire »

à 22’05 :

Pierre Joxe : « Les problèmes fondamentaux du droit français sont très anciens, c’est les droits de l’Homme. Mais les droits de l’Homme ont été considérablement transformés au cours du 19ème et du 20ème siècle avec l’introduction du droit social. La démocratie libérale n’aime pas le droit social. La France a progressé dans la voie du droit social avec Jaurès, avec Clémenceau, avec les assurances sociales, avec le Front Populaire, avec la Libération etc. C’est une construction continue, par étapes, par palliers, qui va dans le sens d’un progrès – à tel point que quand on va à l’étranger, les manuels français du droit du travail, l’histoire du droit du travail, elle est connue. Là on est à contre-emploi de notre histoire, on est dans une phase qui héberlue n’importe qui. On est à contre-emploi car la gauche n’a pas été élue pour faire une politique aussi surprenante. Surprenante parce que elle ne va pas du tout dans le sens de l’histoire de la gauche. Je pense que c’est quelque chose qui va se débattre dans les semaines qui viennent [...]. Je n’ai pas d’explication sur ce qui se passe en ce moment. Une grande partie des français, même pas seulement de gauche, ne comprend pas très bien ce qui se passe. [...] Je pense qu’il va y avoir une profonde réflexion [...] qui commence seulement maintenant, en particulier avec ces lois qui sont tellement à contre-courant de l’histoire de notre droit social. »


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