La France ne respecte pas la Convention internationale des droits de l’enfant

dimanche 4 janvier 2015.
 

La convention internationale des droits de l’enfant (Cide) stipule dans son article 27 la nécessité d’un «  niveau de vie suffisant pour permettre leur développement physique, mental, spirituel, moral et social  ». Or, près de 440 000 enfants de l’Hexagone ont sombré dans la pauvreté depuis la récession de 2008, a alerté l’Unicef, fin octobre 2014. Un rapport accablant qui décrypte comment la crise financière, dans les pays les plus riches, s’est transformée en crise pour de plus en plus d’enfants, plongés «  dans les limbes d’attentes non satisfaites et dans une vulnérabilité durable  ». Dans ce tableau, la France figure parmi les plus mauvais élèves. Elle est classée au 30e rang, sur 41 pays étudiés, au regard de l’évolution du taux de pauvreté chez les moins de dix-huit ans, passé de 15,6 % à 18,4 %, entre 2008 et 2012. Et ce, malgré un système de protection sociale parmi les plus efficaces d’Europe…

Une violence invisible

«  Les enfants paient le prix fort  », résume Sonia Serra, effarée de voir les rapports se succéder sans le moindre effet. Engagée depuis vingt-huit ans au Secours populaire français, cette responsable fédérale des Bouches-du-Rhône voit de plus en plus de mères de famille – « ce sont rarement les pères qui ont le courage de demander de l’aide » – franchir le seuil des permanences du SPF, où 58 % des familles accueillies ont des enfants. La moitié d’entre elles sont des familles monoparentales, catégorie la plus touchée par la récession. De fait, les associations ont depuis longtemps pris la mesure de ces évolutions. Les Restos bébés du cœur ont vu le jour il y a cinq ans. Quant à la Fondation Abbé-Pierre, elle a déjà réorganisé les espaces et les horaires de ses centres d’accueil de jour, pour permettre aux mères et aux enfants de prendre des douches. «  Quand on parle de pauvreté, on a tendance à penser aux enfants qui dorment dehors, qui souffrent de problèmes d’alimentation, reprend Sonia Serra. Mais, à côté des privations matérielles, il y a une violence de la pauvreté qui n’est pas visible  : ce sont tous les efforts des enfants pour cacher ces situations. Ils encaissent la honte, l’injustice des inégalités, qu’ils masquent derrière une pudeur extrême. C’est moralement très dur.  »

Fabienne Quiriau se souvient précisément de la première fois qu’elle a lu, dans la presse, un article annonçant 2 millions d’enfants pauvres en France. «  C’était en 2005  », rappelle cette responsable de la Cnape, fédération nationale des associations de protection de l’enfant. Moins de dix ans plus tard, on en compte 3 millions… Au-delà du simple aspect quantitatif, cette responsable associative insiste sur l’intensification de la précarité. «  Autrefois, les familles flirtaient avec le seuil de pauvreté, évalué à 50 % ou 60 % du revenu médian. Elles pouvaient en sortir quand un des deux parents retrouvait un travail. C’est de moins en moins le cas, et l’on voit de plus en plus des situations de pauvreté qui durent et perdurent.  » Grandir dans cette insécurité matérielle «  accentue l’insécurité psychique des enfants, qui, bien souvent, se mettent eux-mêmes en retrait de cette société qui ne leur offre aucun projet d’avenir  ». Dans quel état seront ces «  enfants de la récession  » une fois adultes  ? «  La pauvreté est un véritable cercle vicieux  », pointe le rapport de l’Unicef. En plus de subir «  la modification de leur régime alimentaire, d’abandonner le sport ou de manquer d’argent pour acheter des fournitures scolaires  », un enfant échappe «  rarement au stress et à la souffrance de parents qui perdent un emploi ou connaissent une baisse de leurs revenus. (…) Il peut voir ses résultats scolaires baisser, ce qui génère un stress supplémentaire à la maison, et ainsi de suite  ».

Le mal-logement, qui concerne 600 000 enfants dans l’Hexagone, aggrave aussi les difficultés d’apprentissage, raconte Pascale Manzoni. Enseignante au sein d’un réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) de Saint-Denis, en banlieue parisienne, elle voit passer nombre d’enfants «  relogés à l’hôtel, hébergés chez des proches ou vivant dans des logements insalubres  ». Des élèves qui ont tendance à développer des difficultés de construction spatiale. «  Écrire sur une feuille blanche, de droite à gauche, ne pas dépasser les lignes ou reproduire des formes géométriques va être plus difficile pour ces élèves qui ne parviennent pas à se construire un espace propre, à avoir des repères fixes.  » En lecture, il sera plus complexe de repérer le début et la fin d’un texte. «  Dormir à deux dans un lit enfant ou partager un deux-pièces à six compromet l’organisation matérielle des élèves, et aggrave les difficultés pour retrouver ses affaires, les ranger, ou même ne pas déborder sur le bureau de son voisin de classe.  » Leur état de fatigue, leur manque de concentration ou d’attention peut aussi découler de la précarité des emplois de leurs parents. «  Quand des mères d’élèves partent à 5 heures du matin faire des ménages à la Défense, Bercy ou Roissy, les enfants doivent bien souvent se lever seuls, et parfois s’occuper des plus petits. Résultat, ces enfants vont développer une plus grande autonomie dans la vie quotidienne mais aussi un sentiment d’insécurité intérieure.  » Et cela se traduit, bien souvent, par des agitations comportementales… « Génération perdue »

Ces difficultés scolaires, qui se forment dès le plus jeune âge, vont se manifester à l’adolescence. Les minots de la misère d’aujourd’hui formeront le gros des bataillons des futurs «  décrocheurs  », ces 150 000 jeunes qui chaque année en France sortent du système scolaire sans qualification. En Europe, on dénombre 7,5 millions de jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, soit l’équivalent de la population de la Suisse. «  Le chômage des adolescents et jeunes adultes est un effet à long terme de la récession  », déplore l’Unicef, qui parle de «  génération perdue  ».

Conscientes de l’enjeu, les équipes du SPF des Bouches-du-Rhône ont récemment développé des activités d’aide aux devoirs et de soutien scolaire, raconte Sonia Serra. «  Cela fait longtemps que l’on se préoccupe des enfants, avec les Oubliés des vacances ou le projet Copain du monde, mais nous n’avons pas assez pensé aux adolescents.  » C’est dans le même esprit que la fédération du Puy-de-Dôme a lancé son premier camp d’ado, l’été dernier. «  C’est à cet âge que la pauvreté devient le plus difficile à vivre. Plus jeune, on reçoit l’amour de ses parents et l’on ne se rend pas compte de sa situation  », 
raconte Nicole Rouvet, du SPF 63, qui voit de plus en plus d’enfants quitter l’école en 3e sans projet. «  Il faut absolument combler les failles du système scolaire, en instillant plus de solidarité dans les écoles  », suggère cette grande militante du Secours populaire, qui a elle-même grandi dans le plus grand dénuement, après guerre. Elle s’indigne de voir, dans ce contexte, le gouvernement réduire les allocations familiales. «  Il aurait fallu au contraire les étendre dès le premier enfant  !  » Au lieu de cela, «  la société recule  », regrette la militante, en faisant croire que certains abusent de la solidarité et en «  diminuant les droits sociaux destinés aux enfants  ». La société aurait tout à gagner à s’inspirer des enfants pauvres, plaide aussi Sonia Serra. «  On devrait imiter leur capacité à aller de l’avant, à résister, à vouloir changer le monde, et à espérer.  »

Pierre Duquesne, L’Humanité

B) « Les choix budgétaires doivent respecter l’intérêt de l’enfant »

Entretien avec Sophie Graillat, présidente de la section française de Défense 
des enfants International, DEI-France, qui coordonne avec Solidarité Laïque le projet de rapport du collectif AEDE (Agir ensemble pour les droits de l’enfant) remis le 1er mars aux Nations Unies sur l’application par la France de la convention internationale des droits de l’enfant

Quelles protections offre la convention internationale des droits de l’enfant face à la précarité  ?

Sophie Graillat L’article 2, d’abord, impose que tous les droits contenus dans la convention soient garantis à tout enfant sans aucune discrimination, notamment liée à la situation de fortune de ses parents. D’autres articles garantissent l’accès à tous les droits sociaux (art. 4) ou à la protection sociale (art. 26). Mais le plus important est assurément l’article 27, qui reconnaît le droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement sur tous les plans (physique, mental…). Et, là encore, l’État doit prendre des mesures appropriées pour mettre en œuvre ce droit et offrir une assistance matérielle (alimentation, vêtements, logement).

La France remplit-elle ses obligations en la matière  ?

Sophie Graillat Avant même l’adoption de la convention, en 1989, la France avait une avance assez confortable en matière de droits des enfants. Celle-ci est quelque peu remise en cause aujourd’hui, du fait de la crise et des restrictions budgétaires. La Cide stipule certes que les États doivent agir dans les limites de leurs ressources. Mais cela ne devait concerner que les pays pauvres et en voie de développement. Rappelons qu’aujourd’hui, malgré la crise, la France reste un pays riche. Il faut donc refuser l’idée que l’on ne peut plus faire autant qu’avant pour les enfants. Il s’agit de choix politiques.

Par quels biais les enfants sont-ils touchés  ?

Sophie Graillat Il y a récemment eu un fort débat budgétaire sur la modulation des allocations familiales en fonction des revenus. Cette modulation n’est, a priori, pas contraire à la CIDE. Sans rentrer dans le fond du débat, la question essentielle c’est aussi de savoir s’il y avait d’autres choix dans le budget global qui permettait de conserver des prestations universelles et égales pour tous… Autre difficulté  : de nombreux services sociaux ont été transférés aux conseils généraux, ce qui crée de grosses disparités selon les départements. C’est le cas de l’aide sociale à l’enfance, qui assure la protection des enfants maltraités mais apporte aussi une aide financière aux familles. Enfin, de plus en plus d’associations soulignent combien le fait d’être pauvre, d’habiter dans certains quartiers ou de porter certains habits devient, en France, une source de discrimination.

Au total, où en est la France dans le respect de la Cide  ?

Sophie Graillat Souvent, la loi française n’est pas mauvaise. Le problème, c’est son application. Outre la montée de la pauvreté, le sort des 150 000 enfants qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme est très préoccupant. Comme celui des mineurs isolés étrangers ou des enfants qui vivent dans des bidonvilles. Ils cumulent les violations des droits les plus fondamentaux  : ils n’ont pas accès à l’eau, à l’hygiène, à la scolarisation, aux soins. Et les évacuations permanentes de campements ne résolvent rien. Il y a en fait une volonté politique de ne pas intégrer ces populations. Plus largement, la France doit enfin considérer l’enfant comme une personne à part entière, qui a des droits, des points de vue, des aspirations, et cesser de toujours penser à sa place.


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