À ceux qui persistent à cultiver le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam d’une façon fanatique ou obscurantiste, comme à ceux qui leur déclarent la guerre avec autant de cécité et d’ignorance, il convient de rappeler quelques pages d’histoire de la pensée.
Notre univers mental quotidien est sans cesse fracturé par des mots et des images où Dieu est convoqué pour les folies les plus délirantes mais qui, par la vertu de la répétition, revêtent l’apparence sournoise des évidences. Un jour un chouchou des médias envisage la déportation de cinq millions de musulmans de France, un autre jour c’est au nom de l’Islam que des assassins massacrent les enfants d’une école au Pakistan, un autre encore des élus d’extrême droite interdisent l’ouverture d’une mosquée... On finirait par croire que cette religion réussit à commettre plus de crimes encore que le christianisme lui-même dans son histoire, et on en vient à se demander qui, des islamophobes ou des islamistes, fait le plus de mal à la religion musulmane. Après tout, ceux qui caricaturaient Marx au sommet de leurs États oppressifs ont plus fait contre l’idée de révolution sociale que tous les anticommunistes de la planète, et certains Pape contre leur religion plus que tous les antireligieux du monde.
A ceux qui, en guerre contre l’Islam, brandissent les racines chrétiennes de la France, il faut sans doute demander à quelles racines ils invitent à s’accrocher, car il en est une diversité que l’on aurait tort d’ignorer. Entre les croyants et prêtres qui cachaient des juifs au péril de leur vie et le Pape Pie XII qui félicita Franco d’avoir massacré les républicains espagnols avec l’aide d’Hitler, la communauté de foi ne saurait cacher les antagonismes politiques et moraux. De même qu’entre d’un côté les théologiens médiévaux Abélard, Adélard de Bath ou Thomas d’Aquin qui invitaient à libérer la Raison et l’allier à la foi comme à l’étude des philosophies antiques, et d’un autre côté les Papes qui firent massacrer et torturer par centaines de milliers les Béguines, les Protestants ou les soi-disant « sorcières », torturer et brûler des savants comme Vanini, Servet ou Bruno, brûler et interdire les livres de Galilée, Descartes et Spinoza, Rousseau ou Diderot, il y eut des façons contradictoires de vivre la foi dans son rapport à la liberté de penser et de vivre.
Or, à ceux qui persistent à cultiver le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam d’une façon fanatique ou obscurantiste, comme à ceux qui leur déclarent la guerre avec autant de cécité et d’ignorance, il convient de rappeler quelques pages d’histoire de la pensée. Les religions du Livre, selon l’expression consacrée, ont connu de fastes périodes culturelles et fraternelles, comme à Tolède au XIIe siècle, où Juifs, Chrétiens et Musulmans, et grâce à ces derniers, partagent, discutent, traduisent les penseurs grecs antiques, des Pythagoriciens à Euclide, en passant par Platon et Aristote. En ces XIIe et XIIIe siècles, à Bologne par exemple, alors la plus prestigieuse Université européenne, à côté de la Bible on enseigne les Arabes Avicenne, Rhazès et Averroès. La pensée grecque antique viendra aussi irriguer la Renaissance italienne lorsqu’à l’initiative de Côme de Médicis, qui régna sur Florence de 1434 et 1464 entreprit de fonder à Florence une grande Académie platonicienne et permi d’accueillir les Byzantins chassés par les Turcs en 1453, avec leur connaissance incomparable des Pythagore et de Platon. On y enseigna donc le pythagorisme et le néo-platonisme, le goût de la mesure et l’occultisme, le rôle des nombres et le Créateur géomètre, au point que cet enseignement influença aussi bien Nicolas de Cues que Copernic, Giordano Bruno et Galilée lui-même. Avec Galilée et Descartes, nourris de cet héritage, c’est la philosophie des Lumières elle-même qui put prendre son essor et porter des coups à des siècles d’obscurantisme et d’oppression religieuse. On continua de croire en Dieu, mais une conception laïque du savoir et de la vie sociale fraya le chemin que l’on sait. Des intellectuels juifs, chrétiens et musulmans ont ainsi contribué à libérer l’humanité des dogmes et autoritarismes anciens.
En ce sens, nous sommes tous des enfants de la Grèce et du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam, de la Renaissance italienne et des Lumières, comme des pensées anglaise et allemande, de l’Amérique et de l’Afrique, de Tocqueville et de Marx, de tous les peuples qui ont fait surgir les nouveautés émancipatrices dont nous nous félicitons aujourd’hui et qu’il nous faut défendre sans cesse et enrichir parfois.
Religieux ou athées, le monde est le même pour tous, les problèmes sont communs, comme les ressources pour les dépasser. Depuis Rousseau et Diderot, depuis Hegel et Marx, on sait que les croyances religieuses sont une approche du monde qui par essence ne peut entrer en contradiction avec les savoirs et les formes d’épanouissement humain, sauf à être falsifiées et instrumentalisées à d’autres fins.
Quant aux hallucinés qui prêchent l’exclusion des musulmans, l’antisémitisme ou un Christianisme régressif d’un autre âge, il serait temps que tous les humains qui se considèrent avant tout comme habitants de la planète les dénoncent et les isolent. Après tout, leur Dieu mérite mieux que ces folles guerres d’un autre âge.
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