Quand Le Pen veut récupérer le vote du 29 mai

mardi 6 mars 2007.
 

Le Front National a réuni sa Convention présidentielle à Lille les 23 et 24 février. La présence de ce parti raciste semble presque banalisée aujourd’hui dans la vie politique, alors qu’il représente toujours une grave menace. En cette période de confusion idéologique et de perte de repères politiques entre droite et gauche pour beaucoup de citoyens, son discours aux lourds accents populaires et sociaux peut troubler certains. La gauche doit expliquer les dangers qu’incarnent les propositions du FN pour des millions de salariés, et répondre politiquement au résultat du 29 mai. Sans quoi, c’est la République qui est menacée. La particularité pour 2007 est en effet que Le Pen prétend s’adresser particulièrement aux électeurs ayant voté Non, déçus par la gauche. Pour cela, il prétend incarner le vote de mai 2005 et travestit les positions de la principale candidate de gauche.

Derrière les gesticulations : la voiture-balai de Sarkozy ?

Pour le 22 avril 2007, Jean-Marie Le Pen se voit comme la seule incarnation du Non au TCE. Il se présente comme « le seul candidat sérieux » en phase avec ce vote, le seul à en porter la cohérence. Ignorant l’existence d’autres candidats de gauche ayant défendu le Non, il pourfend le « système UMPS » dont il renvoie les deux candidats dos à dos. Pour lui : « le Président élu sera au cœur de tous les problèmes en suspens depuis le 29 mai 2005. Voilà pourquoi il doit être le Président de la majorité du 29 mai. Car si l’Europe de 2008 était présidée par M. Sarkozy et Mme Royal, champions du Oui, on recommencerait comme si de rien n’était et ils seraient capables de nous la remettre, mais cette fois-ci sans nous faire voter. » Surprenant propos, car la réalité n’est pas du tout celle-ci. D’ores et déjà, Nicolas Sarkozy a clairement annoncé à plusieurs reprises et récemment encore, le 21 février lors d’un meeting à Strasbourg, qu’une fois élu il proposerait « un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de Traité constitutionnel nécessaires (...) qui n’ont pas suscité de désaccord majeur ( ?). Ce traité simplifié, de nature institutionnelle sera soumis pour ratification au Parlement. » Le propos du candidat UMP est donc clair, nul besoin d’utiliser le conditionnel comme le fait Le Pen : il ne veut plus faire voter les Français ! Point final. Mais, à la lecture du discours du leader frontiste, on ne trouvera nulle réelle dénonciation de la proposition scandaleuse de Sarkozy.

À l’inverse, il ment ouvertement concernant Ségolène Royal. Car, dans le Pacte Présidentiel, cette dernière s’engage à « négocier un traité institutionnel soumis à référendum pour que l’Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace » (proposition n° 91). La candidate du Parti Socialiste ne peut donc être comparée à la droite.

Cet amalgame n’est pas une étourderie. En mettant un signe égal entre les deux candidats, et en ne dénonçant pas clairement le candidat UMP, non seulement Le Pen entretient une confusion droite/gauche qui est son fond de commerce, mais de ce fait, rend possible un appel à voter pour Sarkozy au second tour. En échange de signatures d’élus UMP ?

Un non majoritairement de gauche

Le 29 mai, les 55 % de Français qui ont voté Non se disaient majoritairement de gauche, à près de 56 % selon plusieurs instituts de sondage. Selon ces mêmes sources, 97 % de l’électorat d’extrême gauche et communistes, et 55 % de l’électorat socialiste avaient voté Non. Sociologiquement aussi ce vote était clair : 67 % des employés et 79 % des ouvriers avaient voté Non. Pour mémoire, lors des élections européennes du 16 juin 2004, 17 millions d’électeurs s’étaient rendus aux urnes. Moins d’un an plus tard, le 29 mai 2005, ce sont 28 millions d’électeurs qui se sont exprimés. Soit 11 millions de personnes supplémentaires ! Pourquoi ? Parce que les défenseurs d’un Non de gauche ont organisé un débat dans tout le pays. Ce sont leurs arguments qui ont été principalement entendus. Le FN n’a quasiment pas fait campagne. Ses arguments nationalistes et xénophobes étaient largement minoritaires dans le débat public. La gauche doit donc arracher des mains des dirigeants frontistes toute prévention à incarner un débouché au vote du 29 mai. Le FN et son programme nationaliste et libéral n’expriment pas les aspirations des électeurs du Non le 29 mai, ils en sont la parfaite négation.

Leur nation et la nôtre

« Le salut pourrait-il venir de l’Europe de Bruxelles (...) ? Je ne le pense pas (...). La Nation apparaît ainsi comme l’ensemble le plus performant pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. » (Le Pen, in Programme présidentiel 2007). La gauche doit répondre à cette affirmation, car parfois le doute s’est installé jusque dans nos propres rangs. Pour un républicain de gauche, ce n’est pas le repli sur le cadre des Etats-Nations existants qui sera garant de nos acquis sociaux. Nous aimons la France et nous ne voulons pas la « défaire », mais notre vraie Nation, c’est la République lorsqu’elle est sociale. La mondialisation libérale se développe et la France est un cadre trop étroit pour y résister seule. L’idéal républicain ne souffre pas l’autarcie. Surtout que ce dernier s’affaiblit quand sa vocation universaliste n’est plus revendiquée. On ne peut pas faire la République sociale dans un seul pays. N’opposons donc pas la Nation à l’Europe. Il n’y aura pas de France sociale dans une Europe libérale. Sur cette voie de repli on ne trouverait qu’un Etat national réduit à ses fonctions sécuritaires, pour « passer au Karcher » les « racailles » produites par le désordre libéral. À l’inverse, nous proposons le meilleur de notre République en partage à l’Europe. Nous voulons républicaniser l’Europe, et non défaire les acquis de la République française. C’est aussi cela qui s’est exprimé majoritairement le 29 mai.

Une menace toujours bien présente

Depuis 1988, à chaque élection présidentielle, le FN progresse en voix. En 2002, il fut présent au second tour et obtint près de 5.5 millions de voix. Alors que le chômage et la pauvreté n’ont cessé d’augmenter, que la crise politique n’a cessé de s’approfondir, qui peut penser qu’il ne va pas continuer sa progression électorale ? Beaucoup de médias s’interrogent sur le « troisième homme » de l’élection qui vient, mais la politique ce n’est pas le PMU. Qu’importe qui sera troisième ou quatrième. Une chose est certaine : un parti antirépublicain va sans doute obtenir près de 6 millions de voix lors de ce scrutin. Cette simple réalité est en soi un problème majeur. L’existence du FN est une menace pour tous. Ainsi, patiemment depuis une vingtaine d’années, le poison du discours raciste et libéral se répand. Par exemple, qui aurait pu imaginer par le passé que le brutal slogan du FN « La France, aimez-la ou quittez-la » serait repris avec aisance par le candidat du premier parti de droite ?

En 2007, quels que soient les nouveaux slogans, les ralliements déroutants, les postures inattendues du vieux chef et demain peut-être du nouveau candidat qui portera ses couleurs, le FN continue la même mission commencée depuis plus de trente ans. Bruno Mégret la définissait on ne peut plus clairement en mai 1996 : « Beaucoup de valeurs sacrées, morales, identitaires et nationales défendues par le mouvement national ont été prônées dans le passé par des mouvements ou des penseurs contre-révolutionnaires, antidémocrates ou antirépublicains. La mission du Front National consiste précisément à rendre possible la renaissance de ces valeurs à l’aube du XXIe siècle dans le cadre de la République ».

Alexis Corbière dans A Gauche le 2 mars 2007.


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