Faut-il abandonner l’étendard de la gauche aux socio-libéraux

vendredi 27 mars 2015.
 

Faut-il abandonner l’étendard de la gauche aux socio-libéraux qui s’en réclament ? A un moment où le glissement vers la droite du parti socialiste s’est tellement accentué qu’il n’est plus faux de parler à son sujet de « droite socialiste », la question posée par notre lecteur est d’une cruelle actualité.

Certes, ce débat n’est pas simple. S’il faut partir d’un constat, celui-ci est encore contradictoire : d’un côté, pour des millions de gens, notamment dans la jeunesse, la référence à la gauche ne veut plus rien dire de positif, quand elle n’est pas un repoussoir. Jugeant sur les actes et non sur les étiquettes, ceux- ci, comme l’a écrit Michéa ne veulent plus se courber sous la bannière identitaire d’une gauche qui semble parfaitement installée dans le monde capitaliste tel qu’il va. D’un autre côté, on doit aussi tenir compte que la gauche, pour des centaines de milliers de personnes, c’est encore le nom que porte l’envie de combattre la droite pour engager une transformation sociale plus profonde des rapports économiques et sociaux, c’est la mémoire des

Notons au passage que s’il s’agit d’abandonner un terme parce qu’il serait définitivement pollué par les pratiques du parti dominant (jusqu’à quand ?) de la gauche, la logique devrait être poussée jusqu’à son terme et rapidement il faudra aussi abandonner au PS le terme de « socialiste ».

Rappelons ensuite que la gauche aujourd’hui, ce n’est pas le PS seulement, c’est aussi le « Front de Gauche », cartel de plusieurs forces qui se réclament avec vigueur de la gauche, dans la difficulté actuellement, mais avec un certain succès électoral encore il y a 3 ans à peine, et qui peut encore rebondir en 2017. Plus de 11% des suffrages exprimés au 1er tour de l’élection présidentielle de 2012 se portaient sur Jean-Luc Mélenchon : au moins en 2012, des dizaines de milliers de militants et quelques quatre millions d’électeurs continuaient de se réclamer de la gauche, sans se rallier à l’économie libérale et à la « rigueur » professée par le PS, tout en accusant souvent celui-ci de ne plus être vraiment de gauche. A n’en pas douter, si le FG venait à abandonner le deuxième mot de son nom, il ne manquerait pas de désorienter une bonne part de ceux qui se sont reconnus en lui, surtout dans un contexte politique par le développement d’une force d’extrême-droite qui a fait du « ni droite ni gauche » son slogan central.

Et puis quand même ! La gauche, ce n’est pas que Cahuzac, DSK, Guérini, Macron, Moscovici, les arrivistes-incultes-tirés-à-quatre-épingles-le-smartphone-à-la-main, les petits fours dans les cocktails de nouvelle année organisés à grands frais par les grands manitous des collectivités territoriales, le ralliement au nucléaire, le travail du dimanche, les cadeaux aux entreprises. C’est aussi le nom dont se réclament de nombreux syndicalistes, des militants associatifs et pas mal d’écologistes, parfaitement intègres et dégoûtés par les créatures dites de gauche qui s’emplissent les poches en imposant l’austérité aux gens de peu. Beaucoup de ceux là se vivent encore comme des « hommes ou des femmes de gauche » tout en étant parfaitement capables de lire, de comprendre et d’apprécier un texte de Michéa, en dépit des invectives dont celui-ci est abreuvé par les chasseurs de sorcières de la gauche autorisée.

Dans ses glissements progressifs vers la droite et le centre droit, le PS ne manquera pas d’essayer d’embarquer le terme « gauche » avec lui, pour essayer d’obtenir le suffrage de ces électeurs, en jouant sur le danger de l’extrême droite. Bien entendu, il s’agit d’une sorte d’escroquerie politique, dont on peut prévoir qu’elle fonctionnera de moins en moins – on le verra encore aux départementales – mais renoncer à disputer au PS le terme de gauche ne reviendrait-il pas à lui faciliter ce holdup sémantique ? La contradiction entre la référence au socialisme et des pratiques économiques et sociales de plus en plus éloignées de l’idéal proclamé saute aux yeux. Le moment est-il bien choisi pour renoncer à jouer sur cette contradiction ?

Certes, cette gauche, il faut la changer vigoureusement, la tourner vers l’extérieur, vers le peuple tel qu’il est, la refonder de la base au sommet, la moraliser, la républicaniser, la laïciser, ce qui n’est pas une mince affaire. Et on n’est pas obligé de continuer, à toutes les élections, de finir par voter pour la droite socialiste au deuxième tour des élections.Au vu de ce qu’est devenu le PS, cet automatisme-là n’a plus aucun sens. Mais la gauche, c’est encore le nom que porte depuis des dizaines d’années en France l’envie de combattre la droite, pour engager une transformation sociale plus profonde des rapports économiques et sociaux.C’est aussi un combat pour la République, plus que jamais d’actualité, à l’heure du multiculturalisme discret, des entorses à la laïcité, et face à l’ouragan totaliterroriste des fous d’Allah. Elle est encore la mémoire de luttes, nationales et internationales menées par plusieurs générations. On doit inventer, mais pas sur les décombres et le mépris des traditions. Il faut jeter des passerelles entre l’ancien et le nouveau, pas trancher sèchement le fil des continuités, au risque d’y perdre nos propres boussoles.

Abandonner le terme de gauche, c’est renoncer à jouer sur une tension qui est à l’œuvre au sein de la gauche. On peut soutenir que dans la période actuelle, même sans fétichiser quoi que ce soit, et en pleine conscience que références et étiquettes ne sont pas des absolus intangibles, qu’elle peuvent toutes être « salies » par des imposteurs (Sarkozy s’apprête scandaleusement à préempter le nom de « République », Badiou se déclare « communiste », Marine Le Pen se déclare « laïque » et se réclame du « peuple », etc.), il y aurait beaucoup d’inconvénients et peu d’avantages politiques à laisser la gauche captive de ceux qui font tout leur possible… pour la détruire.

Didier Hanne


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