Lecture : Question de méthode (par Jean José Buisine)

mercredi 15 mars 2006.
 

Après Gilles de ROBIEN, actuellement ministre de l’Education Nationale, voilà qu’à son tour, le sénateur de l’Aveyron, Bernard SEILLIER (L’Hebdo n° 926) s’en prend aux « méthodes globales d’apprentissage de la lecture ». Il y a des élèves qui arrivent au collège en ne sachant pas bien lire, ou même pas lire du tout, et d’après lui, c’est la faute « aux méthodes globales (ou semi-globales) » ! Et tout s’éclaire : il y a échec scolaire, c’est la faute « aux défaillances du système d’apprentissage de la lecture ! ».

Selon M. SEILLIER, il suffirait d’imposer « la bonne méthode pour un bon apprentissage ! ». Alors, aux futurs Professeurs des Ecoles, on enseignerait une méthode unique, « la méthode syllabique » dont l’efficacité incontestable serait, actuellement, démontrée par les dernières découvertes et « études scientifiques rigoureuses quant au fonctionnement du cerveau ». Ces études (lesquelles ?) feraient « comprendre comment le cerveau accède à la langue écrite ». Pour M. SEILLIER, qui ne cite pas ses sources, tout est dit : la lecture ne serait qu’affaire de mécanique, il suffirait d’appuyer sur le bon bouton et le cerveau de l’élève du Cours Préparatoire (on n’ose plus employer le terme officiel de Cycle...) accéderait à la langue écrite !!! Pareil scénario ouvre, dès lors, de vastes perspectives : formation des maîtres réduite à la connaissance de la seule mécanique du cerveau, car, si c’est vrai pour l’apprentissage de la lecture, pourquoi ne le serait-ce pas aussi pour la production d’écrits, pour les mathématiques ... ?

Foin de la réflexion pédagogique, celle qui s’intéresse à l’ ELEVE, et à ce savoir-faire unique et irremplaçable des maîtres, dans leur effort à prendre en compte chacun dans sa spécificité !

Exploitons alors quelques conséquences satisfaisantes : économies sur la formation des maîtres, mise au placard des recherches pédagogiques devenues inutiles, accroissement des effectifs dans les classes où l’on apprend à lire au cerveau des élèves et, inévitablement, diminution du nombre des Professeurs des Ecoles en raison de la redoutable efficacité de la méthode d’apprentissage de la lecture ! Un bon ordinateur pourra bientôt faire l’affaire !!!

Y aura-t-il encore des élèves en difficulté ? Sûrement pas, si l’on suit le raisonnement du sénateur SEILLIER : les « jeunes des milieux favorisés » n’auraient plus « besoin de leurs parents présents pour pallier des défaillances du système d’apprentissage de la lecture » et les « jeunes en situation sociale et familiale défavorisée (ceux des banlieues ...) bénéficiant d’un bon apprentissage de la lecture » parviendraient « à structurer leur pensée, facteur essentiel pour ne pas s’exprimer par la violence ».

Il n’y aura plus besoin d’enseignement individualisé ni adapté, ni même d’enseignement spécialisé, le formatage de l’apprentissage de la lecture produisant des élèves sachant lire pareillement ...

Au fait, aux yeux des « scientifiques » dont se réclame le sénateur SEILLIER et pour qui seule compte la « méthode », ça ne compte pas, le temps passé devant la télévision ? Pourtant des études déjà anciennes, réalisées par Liliane LURCAT*, révèlent une durée annuelle de fréquentation de la « télé » bien souvent supérieure à celle de l’école, qui installe chez l’enfant la passivité et l’absence de concentration, comportements néfastes aux apprentissages du savoir-lire (à l’école, impossible de « zapper » comme devant la télé)... Est-ce que ça ne compte pas, qu’on lise, ou non, à la maison ? Est-ce que ça ne compte pas qu’un enfant n’ait pas un endroit tranquille pour lire à la maison ? Est-ce que ça ne compte pas, l’importance accordée, ou non, par les parents à la scolarité de leur enfant, au projet qu’ils ont pour lui ?

A suivre le sénateur SEILLIER, rien des conditions socio-économiques, rien de l’environnement familial, rien des habitudes sociales actuelles, n’aurait d’effet sur l’apprentissage de la lecture d’abord, ni sur les autres apprentissages, par ricochet ? Les sociologues ont donc tout faux, BOURDIEU* en tête et ses « Héritiers » !

Les « praticiens », les vrais, les maîtres dans les classes, savent depuis bien longtemps de quel poids pèse la dimension humaine dans l’apprentissage. Au grand dam des tenants de la méthode unique tant révérée par le sénateur SEILLIER, cette dimension, la science ne saurait « la réduire en une simple équation (Axel KAHN*) ».

En revanche, Alain LOURDEL (L’Hebdo n° 925), ancien directeur d’école, a bien raison de rappeler ses souvenirs d’enfant, puis d’enseignant, en évoquant ces élèves quasi réfractaires à l’apprentissage de la lecture, pourtant mené selon la fameuse méthode syllabique, et qu’il n’était même pas question de présenter au certificat d’études ! Comme l’on comprend leur étonnement amusé, à lui et ses pairs, devant la dénonciation des ravages causés par ces fameuses méthodes « globales » : jamais, elles n’ont été instituées en France, encore moins pratiquées de manière exclusive ! Ce n’est pas parce que les méthodes de lecture actuelles, recommandent, pour démarrer les apprentissages en lecture, de prendre appui sur des mots familiers aux enfants de 6 ans, qu’il faut parler de méthode globale. Il suffit de mettre le nez dans les manuels en usage dans les classes d’aujourd’hui pour se rendre compte qu’on y aborde, très vite, après la présentation globale de ces mots familiers, l’analyse et la synthèse des sons et des syllabes.

Pour Alain LOURDEL et tous les maîtres, « l’efficacité de leur enseignement dépend plus des multiples choix microscopiques qu’ils opèrent quotidiennement en classe, et de l’attention qu’ils portent à leurs élèves ... bricoleurs éclectiques, ils n’hésitent pas à emprunter aux différentes méthodes ce qui leur semble le plus pertinent ... pour lutter contre l’échec précoce et cumulatif des élèves qui sont les moins sollicités et les moins instruits en dehors de l’école (Roland GOIGOUX*) ».

Et qu’on cesse donc de mettre sur le dos de la seule école et de ses maîtres ce fameux « échec scolaire », cette espèce de fourre-tout auquel se plaisent à puiser les détracteurs de l’institution scolaire dans son ensemble. Ils se contentent de sélectionner les seuls éléments alimentant leur querelle. La vérité, c’est que les évaluations nationales d’octobre 2004 font état, selon, les données ministérielles elles-mêmes, de « 4% des élèves en grande difficulté terminant leurs scolarité primaire sans savoir lire, et de 12% des élèves présentant des compétences insuffisantes en lecture pour leur permettre d’envisager des études secondaires avec confiance (Roland GOIGOUX*) ». Il n’est pas question, ici, de dire que tous les maîtres, partout, font tout bien ! Oserait-on dire que tout commerçant est toujours honnête ? qu’ une infirmière n’est jamais négligente ? qu’un médecin ne fait jamais d’erreur ? qu’un ouvrier est toujours assidu, et qu’un parlementaire est toujours intègre ? Chez les enseignants, comme chez tous les humains, il y a aussi des défaillances, qui doivent être combattues par ailleurs.

Mais, s’autoriser, en amalgamant des chiffres, à dénoncer l’école et ses maîtres, relève d’une toute autre intention. On n’arrivera pas à la masquer en déplaçant le débat sur le choix des méthodes de lecture.

Il y a beau temps, déjà, qu’un autre médecin, grand écrivain aussi, Georges DUHAMEL, auteur des « Plaisirs et les jeux », remarquait avec pertinence : « ... avec les enfants, on fait comme on peut. Je ne connais pas de méthode qui empêche un enfant d’apprendre à lire ... ». Jean-José BUISINE Ancien Inspecteur de l’Education nationale Commission Education-Formation du Parti Socialiste de l’Aveyron Collectif d’animation de PRS 12

*Liliane LURCAT, chercheur au CNRS, ancienne élève de Henri WALLON. *Roland GOIGOUX, professeur des universités, directeur de laboratoire de recherche, Clermont-Ferrand. *Axel KAHN, chercheur, généticien.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message