Renseignement : Cazeneuve défend les écoutes de mouvements sociaux

mercredi 8 avril 2015.
 

Pour une fois, le gouvernement ne s’est pas caché derrière la menace terroriste pour justifier des écoutes et interceptions très intrusives qui pourraient viser les mouvements sociaux. Mais il a invoqué les groupuscules identitaires d’extrême droite, autre forme de point Godwin de l’argumentaire politique.

C’était pourtant un député de la majorité qui réclamait, sous forme d’un amendement, la suppression du motif de "prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique". Point qui inquiétait fortement les militants syndicaux, politiques comme associatifs.

Mais le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve persiste. Il veut du contrôle social par le renseignement. « Prévenir » de potentiels actes violents, « de groupes identitaires », ce qui est politiquement correct lorsqu’on s’adresse à un parlementaire socialiste, mais rien ne dit qu’il nne concernera pas toute forme de mobilisation contestataire.

Plutôt que de se restreindre à la commission des lois, le champ d’applocation de ce projet de loi sur le renseignement s’est à l’inverse étendu. Et c’est Jean-Jacques Urvoas, déjà rapporteur du texte, qui a placé plusieurs amendements pour autoriser les services à utiliser ces techniques très intrusives pour défendre et même "promouvoir" les "intérêts économiques, scientifiques et industriels majeurs" de la France ainsi que les "intérêts majeurs de sa politique étrangère" plutôt que les seuls "intérêts essentiels". Toujours plus larges, toujours plus flous.

B) Le gouvernement légalise la surveillance de masse

Examiné à partir d’aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur le renseignement, censé être une arme antiterroriste, confère à l’exécutif des pouvoirs de surveillance exorbitants, 
sans contrôle judiciaire. Décryptage.

Un Patriot Act à la française ? Sous couvert de lutter contre le terrorisme, le projet de loi sur le renseignement, présenté à partir d’aujourd’hui en commission à l’Assemblée nationale, et examiné en séance le 13 avril, risque d’entraîner la France dans une véritable dérive sécuritaire. C’est en tout cas la crainte de multiples associations et syndicats qui dénoncent depuis plusieurs semaines ce texte, initié dans la foulée des attentats de Paris et pour lequel le gouvernement a décrété la procédure d’urgence, gage d’un examen à grande vitesse et d’un débat public sacrifi é. Une précipitation coupable, tant les mesures imaginées par le député PS Jean- Jacques Urvoas, rapporteur du projet, marquent un véritable tournant dans le droit français. Il off re l’impunité aux agents du renseignement, légalise la surveillance de masse, ou encore confère au premier ministre un pouvoir de contrôle exorbitant.

Le champ d’action de cette loi, tout comme la nature des outils intrusifs désormais autorisés nécessiteraient une large consultation de la société civile. Le ministre de l’Intérieur, lui-même, en avait, semble-t-il, conscience en septembre dernier lorsqu’il s’était fermement opposé à la légalisation des nombreuses technologies que le gouvernement veut, pourtant, mettre désormais en place…

1. Des outils intrusifs 
qui menacent les libertés

En légalisant la surveillance de masse en France, ce projet de loi met à mal plusieurs droits fondamentaux. Ne serait-ce, s’il fallait en citer qu’un, que l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme  : «  Nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance…  » Or, ce texte prévoit de doter les services de renseignements de dispositifs techniques très intrusifs. Ils pourront scruter et analyser en temps réel le trafic Internet en plaçant des «  boîtes noires  » directement chez les fournisseurs d’accès (FAI), sonoriser des espaces privés, voitures ou domiciles, capter des images, géolocaliser des objets ou véhicules, pirater des ordinateurs ou téléphones portables…

Jusqu’ici, filant sa métaphore, le renseignement français expliquait qu’il pêchait au harpon tandis que la NSA (l’agence de renseignement américaine), elle, pêchait à large filet. Avec cette loi, la technique du harponnage est bel et bien révolue. Preuve en est, les agents pourront utiliser des IMSI catchers, sortes d’antennes téléphoniques qui permettent d’«  aspirer  » autour d’elles l’intégralité du trafic mobile (conversations, SMS, trafic Internet…) comme de suivre les mouvements des propriétaires de ces téléphones. En septembre dernier, un projet de loi entendait autoriser l’administration pénitentiaire à utiliser des IMSI catchers pour surveiller les conversations de certains détenus. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, s’y était… opposé. «  Il ne faudrait pas que les technologies prévues pour intercepter les communications d’individus que l’on a intérêt à surveiller permettent, du même coup, d’écouter d’autres personnes qui ne devraient pas l’être.  » Belle intention aujourd’hui oubliée. Ce projet de loi balaye toute protection du citoyen contre les abus de la puissance publique, son droit à la vie privée, l’inviolabilité du domicile, le secret des correspondances… «  Dans le droit français, on peut priver quelqu’un de certains de ses droits, comme de son droit à la liberté, si on le met en prison. Mais cela se fait sous l’autorité indépendante d’un juge, en cas d’infraction pénale, et on a droit à un recours. Là, on n’est même pas en cas d’infraction pénale, on devrait prendre encore plus de précaution…  », estime Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature (SM).

Il faut également penser à l’effet produit sur les citoyens. Pour Maryse Artiguelong, coordinatrice de l’Observatoire des libertés et du numérique (OLN), «  il est évident que si vous pensez être surveillé, vous allez vous-même vous autocensurer. Cela reste une atteinte énorme à la liberté d’expression, à la vie privé  ». Ce projet de loi ne garantit pas, non plus, que le secret des sources des journalistes sera préservé. Pire  : révéler qu’une personne ou une organisation est surveillée par le renseignement sera puni par le droit  ! Et tant pis pour les Edward Snowden et autres lanceurs d’alerte. «  Nous exigeons que cette loi protège le droit des journalistes à travailler sans être espionnés, faute de quoi, elle constituerait une grave violation de la liberté de la presse et des médias. Le gouvernement doit rétablir la protection de la confidentialité des sources des journalistes  », s’insurge ainsi Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

2. Un champ d’application 
très large

Les ministères qui pourront ordonner de telles écoutes sont la Défense, l’Intérieur, mais aussi l’Économie et les Finances, avec l’accord du premier ministre. Le champ d’application de la loi prévoit notamment la «  prévention de la criminalité et de la délinquance organisée  » et la «  prévention des violences collectives de nature à porter gravement atteinte à la paix publique  ». Un périmètre bien trop flou et susceptible de dérives. «  Qui va décider de ce qu’on doit considérer comme “violences collectives” ? interroge la CGT police. Une simple manifestation ne pourrait-elle pas être classée dans cette catégorie, vu le “risque” inhérent de ce genre de rassemblement  ? Toute personne y participant pourrait être mise sur écoute  ?  » Pour les associations et syndicats, on ne peut pas parler d’une loi antiterroriste. «  En incluant les violences collectives dans ce texte, on autorise l’utilisation de pouvoirs intrusifs dans le champ politique et des mobilisations collectives, dénonce Laurence Blisson, du SM. Les centrales syndicales, les organisations politiques devraient vraiment s’en inquiéter. L’autre dérive possible de ce texte consisterait à renforcer les pouvoirs des agents de renseignement dans les quartiers populaires pour surveiller les initiatives politiques qui y naissent, au nom de la prévention des émeutes de banlieues.  » Le périmètre d’action s’étend également pour préserver les «  intérêts économiques et scientifiques majeurs  ». «  On voit se nicher des mesures de surveillance touchant des personnes qui remettraient en cause les intérêts du patronat, comme dénoncer des pratiques illégales d’entreprises nationales de l’armement ou de l’énergie  », souligne Laurence Blisson. Autant de points susceptibles d’entraîner des dérives.

3. Peu de contrôles
 et aucune garantie

Le projet de loi supprime la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) et la remplace par une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Cette dernière est composée de seulement neuf membres dont quatre parlementaires, deux magistrats de la Cour de cassation, deux magistrats du Conseil d’État et une personne recrutée pour ses compétences techniques. «  Cette composition n’est pas satisfaisante, mais ce qui nous préoccupe surtout ce sont ses pouvoirs  », estime Laurence Blisson. La CNCTR devra étudier les requêtes d’interception et d’écoutes émises par le premier ministre – au minimum 3 000 par an – mais n’aura qu’un pouvoir consultatif. Matignon enverra à la commission chaque demande et celle-ci aura vingt-quatre heures pour décider si elle se saisit, un silence équivalant à une approbation. Si la commission décide de débattre, elle aura trois jours pour émettre un avis… que Matignon ne sera pas obligé de suivre. En dernier recours, et à condition qu’elle le vote à la majorité absolue, la CNCTR pourra saisir le Conseil d’État. Ce dernier pourra alors ordonner la fin de la surveillance et la suppression des informations recueillies. «  C’est la seule avancée du texte, estime Laurence Blisson. Les personnes qui se pensent surveillées pourront également saisir le Conseil d’État, mais elles n’auront accès à aucun document, ne pourront pas être défendues par un avocat, ni ne sauront pourquoi ni comment elles ont été placées sur surveillance. Ni ce qui a été récolté.  » Pour Pierre Tartakowsky président de la Ligue des droits de l’homme, c’est un projet de loi qui organise l’impunité des agents de l’État, inscrit dans une logique purement sécuritaire. «  On veut bien d’une loi sur le renseignement, mais une loi qui donne des garanties, que les agents aient des comptes à rendre. Pour cela, il faut une mobilisation de la société civile, comme il y en a eu pour le tristement célèbre fichier Edvige.  »

4. Une surveillance 
sous-traitée au privé

Ce projet de loi entend placer chez les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) des «  boîtes noires  », des dispositifs de traitement automatisé et en temps réel des données, dans le but de «  révéler une menace terroriste  ». Un algorithme sera chargé de scruter en profondeur le trafic Internet des Français et des étrangers en contact avec notre pays, et de déterminer, selon les comportements, si une personne est suspecte, avant de transmettre son identité à l’exécutif. L’État pratiquera ainsi des interceptions massives comparables à celles de la NSA, mais en s’appuyant sur les opérateurs privés. Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, dénonçait pourtant, en septembre dernier, cette pratique dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale  : «  Cette technique est très onéreuse – son coût pour les fournisseurs d’accès serait de l’ordre de 140 millions d’euros – et peut considérablement perturber le trafic. Très intrusive, elle peut présenter des risques importants  ; nous ne souhaitons donc pas l’utiliser.  » Le rappellera-t-il au cours des débats  ? Pour Sylvain Steer, du Centre d’études sur la citoyenneté, l’informatisation et les libertés (Cecil), les opérateurs ne seront pas en mesure de refuser ces dispositifs et cela permettra de surveiller intégralement toutes les communications. «  On est vraiment dans de la surveillance algorithmique, relève-t-il. On délègue à la technique le fait d’analyser les pratiques de nos concitoyens. La machine va repérer des signaux faibles, comme des recherches, des connexions à un site identifié, le fait de ne faire que des brouillons dans une boîte mail… Autant de choses qui pourraient être analysées comme des comportements déviants.  » Toutes ces données, il va falloir les traiter. Pour Maryse Artiguelong de l’OLN, l’État va certainement déléguer beaucoup de compétences au privé, dès l’installation de ces boîtes noires. «  L’État en a l’habitude. Par exemple, la plate-forme nationale des interceptions administratives, qui s’occupe des écoutes téléphoniques, a été directement installée chez Thales. Forcément, des intervenants privés, même habilités secret défense, vont intervenir.  » Des dispositifs seront également envisagés chez les moteurs de recherche et les hébergeurs de contenus. «  Un des porteurs du projet a clairement évoqué son souhait d’avoir une personne habilitée secret défense chez Google  », raconte Sylvain Steer.

Pierric Marissal

C) Valls en Big Brother

La fibre sécuritaire de Manuel Valls est connue. Ami intime de l’ex-conseiller de Sarkozy, le criminologue Alain Bauer, qu’il continue de fréquenter assidûment comme au bon temps de leurs études à la fac de Tolbiac...

Les plus grands dangers pour une démocratie surgissent parfois sournoisement. À la faveur d’un projet de loi relatif au renseignement, qui arrive en commission au Parlement, magistrats, juristes et responsables d’associations expriment leurs plus grandes inquiétudes devant ce qu’ils considèrent comme potentiellement une machine à museler et à bâillonner les citoyens, une surveillance de masse. La peur, ce puissant ressort. Profitant de l’émotion légitime suscitée par les attentats de janvier, le gouvernement veut imposer les mesures les plus liberticides jamais votées depuis l’état d’urgence. Moderniser les services de renseignements est une chose, une autre serait d’élargir la «  surveillance  » bien au-delà du seul terrorisme. Que viennent faire là-dedans la «  défense nationale  », la «  lutte contre le banditisme  », les «  intérêts économiques et scientifiques  » ou encore les «  violences collectives  » et la «  paix publique  »  ? Tout serait dès lors permis, y compris la mise sur écoute d’un syndicaliste en amont d’une manifestation ou de toute personne ayant participé à un rassemblement. Tous soupçonnés  !

La nature intrusive de ces outils permettrait à la police de frapper où elle veut, comme elle le veut, sans aucun contrôle judiciaire. Frémissons à cette idée. Car ce serait accepter que des moyens d’exception annihilent le devoir républicain de protection des libertés et des droits. Il n’y a pas de hasard, la fibre sécuritaire de Manuel Valls est connue. Ami intime de l’ex-conseiller de Sarkozy, le criminologue Alain Bauer, qu’il continue de fréquenter assidûment comme au bon temps de leurs études à la fac de Tolbiac, le premier ministre procède à un durcissement du régime par tous les bouts. À force de vouloir liquider le socialisme et le parti qui porte son nom, Manuel Valls en Big Brother liquidera bientôt certaines de nos libertés en installant un dispositif pérenne de contrôle occulte des citoyens, octroyant à l’exécutif un pouvoir quasi illimité. Un Patriot Act à la française – n’ayons pas peur des mots –, qui met en péril l’État de droit et les libertés publiques. Que Valls relise ses classiques. «  Sauvons la liberté, la liberté sauve le reste.  » C’est du Victor Hugo.

Jean-Emmanuel Ducoin


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