Ménard, la guerre d’Algérie et l’« apologie du terrorisme »

mardi 7 avril 2015.
 

Le 14 mars, R. Ménard, maire apparenté FN de Béziers, a débaptisé dans sa ville la « rue du 19 mars 1962 » pour la nommer « rue Commandant Denoix de Saint Marc ». L’événement a été largement commenté et analysé : l’action de Ménard fait partie de la stratégie de repentance inversée de l’extrême-droite, qui cultive une nostalgie de l’Algérie française, nie les violences et les inégalités du système colonial, et qui sous prétexte de fidélité aux harkis attise la haine et la violence, en refusant de célébrer une date de paix, le cessez-le-feu du 19 mars. Un autre maire FN, celui de Beaucaire, Julien Sanchez se prépare à faire de même.

Cependant, au-delà de la négociation du symbole de paix du 19 mars 1962, on peut s’interroger sur le choix du commandant honoré officiellement par R. Ménard : le commandant Denoix de Saint Marc. Ce commandant, présenté comme un « héros français », ancien résistant, déporté, parachutiste durant la guerre d’Indochine et d’Algérie est une figure complexe. Cependant, il est impossible de s’y tromper : c’est précisément ses actions durant la guerre d’Algérie qui sont honorées par Ménard. Or quelles furent ses actions ? Au-delà d’avoir été impliqué comme beaucoup d’officiers de l’époque dans la pratique de la torture durant la guerre d’Algérie, De Saint-Marc est un proche de l’OAS qui a participé au putsch des généraux d’Alger. Or c’est bien cet officier putschiste qui est célébré. Comme le dit Alexis Corbière dans son analyse de la « nostalgérie coloniale » de Ménard : « Dans « Le Journal de Béziers » on arbore en pleine demi page sur la même photo le Commandant Denoix de Saint Marc et le Général Maurice Challe, principal organisateur du putsch des généraux d’Alger du 22 avril 1961. Pour celui qui connaît la guerre d’Algérie le message est ainsi clair : célébrer l’un, c’est honorer l’autre et le Denoix de Saint Marc qui est célébré est bien celui qui fut aux côtés des officiers putschistes d’Alger[1]. » Si De Saint-Marc n’était pas lui-même militant de l’OAS, il a toujours refusé de condamner leurs crimes. Son nom a d’ailleurs été fréquemment invoqué et mis en avant (sans que le principal intéressé n’émette des réticences contre cette utilisation) par les jusqu’au-boutistes de l’Algérie française.

Ne peut-on alors voir, dans le choix assumé de R. Ménard, lui-même fils d’un des responsables de l’OAS d’Oran, de célébrer, de manière officielle et publique, un homme ayant participé à un putsch, un homme dont le nom est revendiqué par une organisation terroriste (l’OAS), une « apologie du terrorisme », ce nouveau délit contre lequel C. Taubira et M. Valls ont appelé à la plus grande sévérité ? Pourquoi alors le parquet ne se saisit-il pas de cette affaire ? Pourquoi alors que les juges n’ont pas hésité à infliger des peines de prison ferme pour des actions qu’il était bien plus douteux de qualifier d’ « apologies du terrorisme », R. Ménard peut-il célébrer l’OAS en toute impunité ? La notion bien vague « d’apologie du terrorisme » n’est pas la même pour tous : elle est facilement invoquée quand il s’agit de punir des indésirables, notamment ces jeunes de banlieue que honnit R. Ménard, et qu’il s’agit de l’islamisme, qui serait bien entendu le seul mal de la société française ! Beaucoup moins quand il s’agit de s’attaquer à un maire et à l’idéologie haineuse et raciste de l’extrême-droite. De fait, à Béziers, on a entendu des anciens militaires revendiquer fièrement et en toute impunité des actions pouvant être qualifiées de terroristes : placement de bombes, enlèvements, attentats, tortures[2].

On répondra qu’il est difficile pour le parquet de se saisir, puisque Denoix de Saint-Marc a été amnistié comme les autres officiers putschistes par diverses lois, notamment la dernière votée sous Mitterrand en 1982, qui a permis notamment aux officiers putschistes de toucher leurs retraites d’officiers , d’être réintégrés dans leurs décorations, qui a même permis à certains de mener une carrière politique traditionnelle et qui efface le caractère délictueux des faits reprochés, sans effacer les faits eux-mêmes. C’est cette même loi qui empêche quiconque de rappeler les sanctions amnistiées sous peine d’amende. Cette loi, qui a soulevé bon nombre de polémiques était cependant, selon ses défenseurs, nécessaire à la paix et à l’unité du pays. Il ne faudrait pas qu’elle devienne une caution d’impunité des célébrations de violences et de haine du Front National.

Laélia Véron, Commission justice du Parti de Gauche

[1] http://blogs.mediapart.fr/blog/alex...

[2] http://la-bas.org/la-bas-magazine/l...


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