Marine Le Pen peut-elle être inéligible ?

dimanche 12 avril 2015.
 

Vous vous souvenez que Marine Le Pen a été condamnée en première instance pour avoir fait diffuser un faux tract à mon nom lors de la campagne législative d’Hénin-Beaumont en 2012. Sur ce tract figurait un faux appel à voter pour moi en arabe écrit en vert, avec ma photo et une citation sortie de son contexte de mon discours de Marseille de la présidentielle. L’an passé, le 3 avril 2014, le tribunal correctionnel de Béthune a, en effet, doublement condamné Mme Le Pen pour montage portant atteinte à ma personnalité et pour manœuvre électorale frauduleuse. Elle a écopé de 10 000 euros d’amende. Le tribunal reconnaissait ainsi qu’en étant à l’initiative de faux tracts me concernant, Mme Le Pen avait troublé la sincérité du scrutin. Une atteinte au fonctionnement démocratique très grave. Si rares que très peu de condamnations pénales ont déjà été prononcées sur la base de l’article concerné du code électoral (L90).

Marine Le Pen a donc fait appel. L’affaire venait ce mardi. Je n’ai pu me rendre devant la Cour d’appel car je siégeais au même moment en Commission des affaires étrangères du Parlement européen à Bruxelles, où un vote avait lieu à propos du traité transatlantique. Je m’étais cependant rendu aux audiences de première instance, alors que Marine Le Pen n’a jamais daigné se présenter devant la justice depuis le début de cette affaire. Cette fois-ci non plus ! Et pourtant, c’est elle qui est demandeuse en appel ! Cet appel c’est une étape supplémentaire dans la stratégie judiciaire d’évitement systématique qu’elle a appliquée depuis 3 ans sur ce dossier. Elle et ses gorilles d’Hénin-Beaumont ont d’abord nié toute responsabilité dans l’affaire. Mais les militants du Front de Gauche les avaient pris la main dans le sac en train de distribuer ce torchon, avec l’appui d’une camionnette du siège national du FN et de membres de leur service d’ordre, le « DPS ». Marine Le Pen avait donc fini par avouer, à la télévision, être à l’initiative de ce faux tract. Lourde erreur ! Une fois redescendue de son nuage d’arrogance elle a réalisé l’énormité de l’aveu. Elle donc employé ensuite toutes les manœuvres dilatoires possibles pour échapper à la justice. D’abord de multiples demandes de renvoi des audiences. Puis l’invention d’une "question prioritaire de constitutionnalité" pour faire croire que l’article du code électoral qu’elle a violé serait contraire à la Constitution. Puis des requêtes en suspicion contre le tribunal lui-même ! Toutes ces manœuvres furent systématiquement mises en échec par la Justice. Mais elles nous firent perdre de longs mois avant que justice puisse enfin être rendue en avril dernier.

Mardi, lors du procès en appel auquel j’étais représenté par l’avocat Erwan Lorvellec, le camp Le Pen a déployé de nouveaux artifices de procédure. Déjà Marine Le Pen a décidé de changer d’avocat et de renvoyer Wallerand de Saint Just. Cela lui a permis de gagner encore 2 mois supplémentaires. Le nouvel avocat n’est pas un inconnu pour nous. Avant d’apparaître comme le nouvel avocat officiel du FN et de sa présidente, David Dassa le Deist a été le défenseur d’Esteban Murillo, le gorille suspecté de l’assassinat du jeune Clément Méric. Mais il a aussi été l’avocat du groupuscule d’extrême droite « Bloc Identitaire ». Ainsi que de diverses associations catholiques traditionalistes, antimusulmanes et de proches de la Ligue de Défense Juive. Le point commun de tous ses clients ?

Mais l’homme est un procédurier besogneux. Il reprit sans imagination tous les arguments des plaidoiries précédentes de l’avocat Wallerand de Saint Just. En plus ennuyeux. Ce nouveau défenseur de Le Pen a ressorti toute la panoplie des artifices de procédure en appel. Il plaida une nouvelle « question prioritaire de constitutionnalité » toujours dirigée contre le code électoral qu’il accuse d’être flou dans sa définition de la « manœuvre frauduleuse ». Si cette notion est si confuse, comment se fait-il que madame Le Pen l’ait elle-même utilisée en 2012 pour poursuivre un élu socialiste. Lorsque mon avocat le rappela, l’avocat de Le Pen diminua de moitié : coup au but ! Logiquement, la Cour d’appel a donc conclu que ce nouvel artifice était « dépourvu de caractère sérieux ».

La suite de la défense de Marine Le Pen ne fut pas plus convaincante. Nouveauté : Marine Le Pen avait fait citer deux témoins de la région censés la disculper. Hélas pour elle, tout tourna à l’eau de boudin et se retourna contre elle. Ces deux témoins se sont d’abord bien gardés de dire qu’ils étaient salariés du FN… et donc dans un lien de subordination avec Marine Le Pen. Une précision dont ils furent obligés de convenir à la demande de mon avocat. Après quoi ils présentèrent une version des faits sans crédibilité. Pour eux, le tract incriminé n’a jamais été fabriqué par les structures locales du FN, ni stockées par elles, ni distribuées par elles. Et ils certifièrent n’avoir jamais reçu ou eu connaissance de consignes de Marine Le Pen concernant un tel tract. Un rideau de fumée qui ne dura pas très longtemps. Mon avocat les interrogea à son tour. Tous les deux durent reconnaître avec embarras qu’ils connaissaient les militants FN pris en photo en train de distribuer le tract. Et ils confirmèrent que le service de sécurité national du FN, impliqué dans cette affaire, et l’usage de ses moyens, relèvent totalement de la direction nationale du FN… Interrogés pour savoir comment expliquer une telle présence coordonnée de militants FN et de moyens nationaux pour distribuer un tract qui était censé ne jamais avoir existé, ils plaidèrent qu’il devait s’agir d’initiatives individuelles. Allant même jusqu’à prétendre que « tout n’était pas très bien organisé dans la campagne ». Un scénario qui apparut vite comme une mascarade. En effet, la Cour visionna les déclarations de Marine Le Pen elle-même concernant ce fameux tract. Sur France 3 et Canal + la présidente du FN dit « qu’elle assume totalement » le faux tract, que « si elle n’avait pas fait ça les électeurs n’auraient pas été bien informés ». Elle reconnaît même avoir « envoyé une centaine de militants en plein jour » pour le diffuser. Des aveux tellement énormes après les témoignages entendus que la Cour fit même repasser la bande pour être bien certaine des propos tenus.

D’abord visiblement bien embarrassé, l’avocat de Marine Le Pen se ressaisit vite. Pour lui, la déclaration de la présidente du Front national ne serait nullement un aveu. Puis il franchit un cap sans se rendre compte de l’extravagance de son propos. Même si c’en est un, dit-il en substance, il faudrait encore démontrer matériellement la responsabilité personnelle de Marine Le Pen ! Face à un tel flot de mauvaise foi, mon avocat a redit à la Cour combien il était vital pour la démocratie que ces manœuvres trompant les électeurs soient sévèrement sanctionnées. Pour ne plus qu’elles se renouvellent dans les scrutins à venir.

Rendez-vous le 19 mai pour connaître le jugement de la Cour d’appel sur cette affaire… 3 ans après des faits délictueux toujours impunis. Dans cette circonstance, devant le renouvellement des manœuvres destinées à rallonger la procédure et les aveux non seulement de la présidente du FN mais aussi des témoins qu’elle a cités et qui ont été démasqués pendant l’audience, La présidente du Front national risque que la cour d’appel aggrave la sanction et décide de son inéligibilité comme la loi le permet en pareil cas.


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