Manifestation du 9 avril 2015 : Saine humiliation

vendredi 17 avril 2015.
 

Des dizaines de milliers de gens ont ressenti une humiliation médiatique extrêmement pédagogique de retour de la marche du 9 Avril. Pas un mot ni une image ici ou là, et pas davantage le lendemain dans les émissions des jaunes du service public.

Leurs efforts, leur message, tout cela n’existe pas. On ne saurait mieux dire. Le hasard a, de plus, magnifiquement renforcé la démonstration. Les ondes étaient surchargées des aventures de la famille Le Pen. Il y a un lien entre ces deux faits. En effaçant la grève et les cortèges syndicaux, on annule leur effet d’entrainement possible et le retour de la question sociale sur le devant de la scène. En faisant du Le Pen à gros bouillon, on ramène tout à la centralité du Front national et au degré de racisme supportable et acceptable.

L’antisémitisme non, l’apologie des collabos et la haine des musulmans : bof ! Bien sûr, la comédie familiale a tourné à l’opération de promotion de la madame si propre sur elle après trente ans à méditer sur les calembours pourris de Jean-Marie Le Pen. Qu’elle rompe avec l’antisémitisme à peine masqué du père fondateur et limite ses vindictes ethniques aux musulmans est un exercice tout à fait délicieux pour maintes oreilles dans la société comme dans les rédactions.

Car pour le reste des déclarations de Le Pen, notamment sur Pétain, la dame a un passé, elle aussi. Alexis Corbières le rappelle sur son blog : « en 2011, à la question du journal Haaretz : « Êtes-vous prête, aujourd’hui, à dénoncer le régime du maréchal Philippe Pétain et les crimes du fascisme français ? », la présidente du FN avait répondu : « Absolument pas ! (..) Je me refuse à dire du mal de mon pays. » Ce que les commentateurs homme et femmes troncs qui n’ont pas vu la marche syndicale mais qui pétaradent sur « la rupture familiale » se gardent bien de commenter. Il est vrai qu’ils ne savent rien du sujet, le plus souvent. Et ceux qui savent connaissent la musique à jouer.

Thomas Legrand, l’homme qui demandait au Front de Gauche de me régler mon compte à propos de la Russie, exulte. Dans son éditorial, il clame que l’alliance est désormais possible entre le FN et l’UMP car naturellement, c’est l’antisémitisme qui bloquait tout, selon lui. Le reste est quantité négligeable, cela va de soi. Les gaullistes seront enchantés. Les musulmans aussi. Encore parle-t-on à cet instant de quelqu’un qui certes écrit dans « Lui » mais évite le mélange des genres. Peut-on en dire autant pour tous les illuminés médiatiques, que les figures du Front national déjantent ?

De quel homme politique parlerait-on comme le fait Tugdual Denis de « l’Express » à propos de Marion Maréchal Le Pen ? Je crois bien qu’elle ne lui a sans doute rien demandé de semblable. Surtout après qu’il ait déjà fait de l’argent en publiant un papier répugnant d’indignité « révélant » l’identité de son père biologique. Lisez et souvenez-vous que c’est censé être un journaliste qui vous informe et que vous avez en principe payé pour lire ça. « A l’arrière, la portière s’ouvre doucement, il fait un temps maussade, la lumière s’allume. Les contrastes favorisent tout, y compris celui du blond sur le gris. La nièce de Marine Le Pen porte des bottes montantes bleu-nuit assorties à la couleur de son jean bien coupé. Un chemisier blanc en tissu léger surmonte l’ensemble. Personne n’est tenu de goûter la peau très blanche, la raie sur le côté obligeant les longs cheveux à pendre d’un seul côté ou ce visage lupin. En revanche, rien ne sert de nier ce que l’œil impose : on ne voit qu’elle. » . Personne n’est « obligé de goûter », en effet, cette prose de caniche fasciné par les bottes, ni la muflerie, ni le machisme. Ni la fascination pour le mal et l’esthétique de l’extrême droite qui a déjà perdu tant d’esprits avant-guerre, dans le même registre.

Au total et pour finir, j’estime cependant qu’il y a un avantage pour nous à ce mépris pour notre marche du 9 avril : que plusieurs dizaines de milliers de personnes ont ainsi approfondi leur culture politique et mieux compris en quoi le système médiatique est la deuxième peau du système lui-même. Et ils ont mieux compris le rôle et le fonctionnement du « lepénisme médiatique ». Tout cela fortifie la base sur laquelle se construit l’avenir. Quelle que soit la suite des évènements dans notre pays, si tragique qu’elle soit du fait du rôle joué par la machine à bourrer les crânes, rien ne peut se faire sans l’existence d’une « opinion », d’une culture rénovée et bien ancré dans l’expérience de l’esprit critique. La nécessité d’un esprit critique et d’une culture d’a priori négatif à propos du système médiatique, d’une pratique du dévoilement des protections hallucinogène du système par son appareil de propagande est une des conditions pour refonder l’esprit civique. Bien sûr, tout cela est désolant du point de vue du fonctionnement d’une grande démocratie. Mais le temps des regrets est passé. À présent, davantage que jamais il faut faire de tout un matériau de combat. Si limité qu’en soit l’effet dans un premier temps, à la longue, dans la durée, ce travail paye, tête par tête ramenée au combat. La séparation sans colère ne cautérise jamais vraiment. La désaliénation est toujours une souffrance, qu’il s’agisse de rompre avec la cigarette ou avec son association de philatélistes. Pour séparer les esprits de l’église médiatique et de ses prêches, il faut que la rage fasse son travail. Sans haine ni violence. Juste comme un abrasif mental libérateur.


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