4 et 6 octobre 1892 Guerrières du Dahomey (Bénin) écrasées par l’armée française

samedi 21 septembre 2024.
 

La résistance héroïque des guerrières du Dahomey face à l’armée française présente plusieurs intérêts :

- elle constitue un moment caractéristique de la confrontation entre d’une part les forces militaires occidentales puissamment équipées, entraînées, organisées, d’autre part des troupes vouées à l’écrasement inéluctable face aux armes à feu modernes.

- elle participe d’une histoire des femmes autre que la sempiternelle ritournelle du "sexe faible"

Amazones de l’Antiquité : une réalité obscurcie par les mythes

Artémise à la bataille de Salamine (29 septembre -480)

1) Le royaume du Dahomey et ses guerrières

Du 17ème siècle à la fin du 19ème cet Etat est l’un des principaux d’Afrique de l’Ouest.

Souvent en guerre contre ses voisins, il emploie un nombre important de femmes dans le corps d’élite de son armée. Nous disposons de plusieurs témoignages précis sur ces guerrières durant le 18ème siècle, détaillant leur costume, leur statut, leurs défilés... En 1780, un corps de 800 femmes balaie l’armée assemblée par deux rois ennemis.

La grande époque de cette garde royale féminine se situe de 1815 à 1870 environ. L’anglais Richard Burton (A mission to Gelele), loue en 1864 "la taille et l’ossature de ces femmes, ainsi que leur développement musculaire".

Leur armement se compose essentiellement de lourds fusils à pierre, de sabres courts à lames courbes, de haches qui servent de casse-tête. Leur entraînement s’apparente aux exercices actuels des unités de commando. Leur nombre atteint environ 10000 au milieu du 19ème siècle mais ne dépasse pas 2000 à 3000 lors de l’invasion française vers 1890. Plusieurs unités bénéficiaient d’une réputation particulière comme les guerrières à rasoir, les grenadières et les chasseresses d’éléphant. Elles sont commandées par une générale en chef et par des officières.

Se fondant sur plusieurs témoignages et études, Pierre Samuel les décrit ainsi dans Amazones, gaillardes et guerrières "De leurs membres forts, elles manient les lourds fusils avec aisance. Elles excellent au corps à corps, avec le sabre et le casse-tête ; leur agilité y est surprenante, et leur force musculaire nettement supérieure à celle de leurs ennemis. Elles acquièrent aussi une extraordinaire résistance physique et leurs jarrets d’acier supportent des marches interminables... Elles portent un pantalon court qui leur descend au genou et une jupette bleue dessus."

2) La France intervient au Dahomey

Cette présence française est ancienne, en particulier sous la forme de comptoirs commerciaux dès la première moitié du 18ème siècle développant la Traite des Noirs vers l’Amérique. Ce commerce fut tellement florissant que le territoire prit le nom de Côte des esclaves.

Au 19ème siècle, jouant sur la diplomatie (traité de 1851), sur les antagonismes locaux (le roi-Polichinelle Toffa contre Gléglé, les Popos contre les Fons...), sur l’occupation de territoires (Porto Novo, Cotonou...) et sur ses missionnaires, la France supplante peu à peu la monarchie.

En 1889, le roi Behanzin réagit en essayant de reprendre un village récemment occupé par des soldats français.

Le 1er mars, un "régiment de 800 amazones" attaque dans la direction de Zobbo.

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« Les amazones guerrières du Dahomey » (1890)

Le 4 mars, la ville portuaire de Cotonou se voit également attaquée par plusieurs milliers de soldats et soldates. L’artillerie française "fait merveille", particulièrement celle de la marine. Cependant, certaines colonnes atteignent les fortifications et luttent désespérément au corps à corps durant quatre heures avant d’être repoussés.

Le 17 avril, l’armée royale dahoméenne comprenant environ 2000 femmes marche sur Porto Novo. C’est alors que se déroule la célèbre bataille d’Atchoupa qui voit l’armée française s’installer sur une position défensive forte, résister durant deux heures aux assauts puis écraser les "Amazones du Dahomey".

" La supériorité de notre armement eut raison du nombre. Les ennemis montrèrent d’ailleurs une grande énergie dans leur attaque. Les amazones, garde royale de Behanzin, ivres de gin, montrèrent un acharnement incroyable. C’étaient de redoutables adversaires. Il était évident que l’ennemi voulait s’emparer de la ville de Porto-Novo et surtout du roi Toffa, dont la tête devait être rapportée à Behanzin ; mais la moitié de la colonne Terrillon sauva la ville et la tête du roi. Behanzin, désespéré d’avoir subi des pertes considérables, se retira dans le nord." ( Souvenirs de campagne par le Soldat Silbermann, Plon 1910).

Le 30 avril 1892, le colonel Dodds " est « Nommé par M. le Président de la République au commandement supérieur des établissements français situés sur la côte des Esclaves". En septembre, il marche vers le Nord en direction des territoires de Behanzin.

3) 6 octobre 1892 Bataille de Poguessa et Combat d’Adégon : le corps des guerrières du Dahomey est anéanti

Pour s’attaquer aux troupes du Dahomey, la France ne lésine pas sur les moyens :

- 2164 soldats d’élite dont des légionnaires, des unités de la coloniale, des tirailleurs, du génie et de l’artillerie.

- le meilleur armement du moment, en particulier le nouveau fusil Lebel avec sa baïonnette qui pulvérisera les "Amazones" lors des corps à corps.

- des canonnières (vaisseaux fluviaux apportant leur soutien logistique et leur artillerie)

- 2600 Africains en appui (porteurs en particulier)

A partir du début juillet, les 4 colonnes françaises se regroupent dans la basse vallée de l’Ouémé pour remonter vers le Nord. Vers la mi-août, leur marche se redresse vers Abomey, la capitale du roi Behanzin.

Le premier combat éclate à Dogba le 19 septembre et se solde par une première hécatombe parmi les troupes autochtones qui chargent en recherchant systématiquement le corps à corps vu leur infériorité en armes à feu.

" Le principal combat eut lieu le 4 octobre, pendant la marche sur Poguessa, à Adegon. Il dura deux heures. L’ennemi battit en retraite, abandonnant de nombreux cadavres de chefs, de guerriers et d’amazones ; le 6 octobre, une reconnaissance fut effectuée par le commandant Gonard vers le pont jeté sur la rivière de Poguessa. Une charge à la baïonnette, méthodiquement conduite par le commandant, eut pour résultat l’enlèvement du pont, en pleine nuit, ce qui permit à tout le corps expéditionnaire de franchir la rivière."

Dans ce récit, le soldat Silbermann oublie de mentionner l’intervention décisive des canonnières française, de leurs canons et mitrailleuses.

La bataille décisive de la guerre a lieu le 6 octobre 1892 au village d’Adégon. Les Fons attaquent de nouveau les Français mais ils sont massacrés. 503 soldats fons sont tués et le célèbre corps des Amazones du Dahomey y est détruit. En face, les Français comptent seulement 6 morts et 32 blessés. (Source : Wikipedia

4) La difficile conquête militaire du Dahomey par l’armée française se poursuit

Le roi Behanzin reconstitue très vite un nouveau corps de guerrières pour affronter l’armée française. Est-ce en raison de l’importance psychologique de celles-ci parmi les habitants du pays ? Est-ce parce qu’il les considère militairement indispensables vu leur détermination depuis le début des combats face aux Français ?

En tout cas, les troupes coloniales françaises sont à nouveau harcelées chaque jour.

Le 12, toute la journée ne fut qu’un long combat, pendant lequel trois lignes de retranchements furent successivement emportées.

Le 13, le camp qui couvrait Akba fut enlevé. L’ennemi, dans sa fuite précipitée, y abandonna une grande quantité de vivres et de munitions.

Le 14 et le 15, en allant nous ravitailler en eau, nous eûmes à repousser trois attaques...

Souvenirs de campagne par le Soldat Silbermann, Plon 1910

Ce 15 octobre, les troupes françaises épuisées s’arrêtent à 30 kilomètres de la capitale et bivouaquent en attendant des renforts.

Les dernières combattant(e)s dahoméen(e)s profitent de cette situation pour attaquer à nouveau. "Grâce à des attaques quotidiennes et à un corps des Amazones fraîchement reconstitué, ils empêchent les Français de sortir du village jusqu’à l’arrivée de ravitaillements."

Retranchés dans le village d’Akpa, les Français reçoivent de nouveaux renforts et du ravitaillement le 20 octobre, ce qui leur permet de biser le siège et de reprendre leur marche vers la capitale.

Dès le 26 et le 27, les lignes de Coto étaient enlevées. Le 2 novembre, on partait de Kotopa et, après avoir tourné la forte position de Wacon (palais du roi que celui-ci croyait imprenable), une lutte acharnée s’engageait. Le soir, l’ennemi était forcé d’évacuer le palais.

Le 3, au matin, Behanzin venait en personne lancer l’attaque contre notre bivouac. Ses hommes, suivant sa trace, se précipitèrent sur nos lignes avec cette folle audace que donnent le désespoir et l’ivresse. Mais après plus de quatre heures d’une lutte qu’il serait très difficile de décrire, ils durent se retirer, laissant le terrain jonché de cadavres et poursuivis, baïonnette dans les reins, jusqu’au réduit de Wacon qui fut enlevé d’assaut par le quatrième groupe (commandant Audéoud). La journée du 4 fut aussi des plus chaudes. On refoula l’ennemi sur la forte position de Diou-Koué et on l’en chassa ensuite, malgré sa résistance opiniâtre et désespérée.

Le 17 novembre 1892, la capitale du Dahomey tombait entre nos mains. Le drapeau français y fut hissé, aux acclamations enthousiastes des soldats. On n’eut pas de combat à livrer ce jour-là, car Behanzin, avec son instinct sauvage, avait fait brûler presque toute la ville, y compris son propre palais, et avait déguerpi avec les quelques soldats et amazones qui lui restaient.

Voici la liste des officiers tués et blessés pendant cette expédition. Je n’ai pu, à mon grand regret, me procurer celle des hommes de troupe qui est de beaucoup plus longue. Tués : sous-lieutenant Badaire, commandant Faurax, capitaine Bellamy, sous-lieutenant Amelot, sous-lieutenant Bosano, lieutenant Doué, commandant Marmet (officier d’ordonnance du colonel), lieutenant Toulouse, lieutenant Michel, lieutenant Mercier, médecin Rouch, lieutenant Ménou, lieutenant Valbrègue et lieutenant Gélas.

Officiers blessés : commandant Riou, commandant Lasserre, sous-lieutenant Ferradini, lieutenant Farrail, lieutenant Cornetto, lieutenant Rieffer, capitaine Battreau, commandant Stéfani, lieutenant d’Urbal, commandant Villiers, capitaine Crémieu-Foa (est mort à la suite de ses blessures), capitaine Combèttes, capitaine Fonssagrives, capitaine Roget, lieutenant Jaquet, lieutenants Cany, Gay, Mérienne-Lucas et Maron.

Souvenirs de campagne par le Soldat Silbermann, Plon 1910


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