Biodiversité – Frelon d’Asie  : une femelle fatale ?

dimanche 7 juin 2015.
 

Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, clamait Lamartine il y a deux cents ans. Un seul insecte arrive et tout est bousculé, pourraient lui répondre Mariangela Arca, doctorante au sein du laboratoire évolution, génomes, comportement, écologie, du CNRS, et ses collègues français, chinois et coréens. Ces chercheurs viennent en effet de publier, dans la revue Biological Invasions, un article étonnant sur l’histoire de l’invasion du frelon asiatique.

Cet «  ogre d’Asie  », grand amateur d’abeilles, a été aperçu en France pour la première fois en 2004 dans le Lot-et-Garonne. Depuis, on le trouve dans 67 départements français, mais aussi en Espagne, au Portugal, en Italie, en Belgique et en Allemagne. Au grand désespoir des apiculteurs, déjà mis en difficulté par bon nombre d’autres problèmes… Comment cet insecte originaire d’Asie s’est-il retrouvé dans l’Hexagone  ? Et comment expliquer son impressionnante conquête de l’Europe  ?

Mariangela Arca a passé ses trois années de thèse à étudier l’ADN et le comportement de ces frelons à pattes jaunes. Avec l’aide de collègues de l’Institut de recherche pour le développement, du CNRS, du Muséum national d’histoire naturelle, de l’université Paris-Sud et de l’Institut Sophia Agrobiotech, elle a analysé différents marqueurs génétiques sur 170 frelons, dont 83 en France et 87 dans la zone d’origine de l’insecte, en Chine, au Vietnam et en Indonésie. Et le résultat est surprenant  : «  En analysant un marqueur présent sur l’ADN des mitochondries des cellules, donc uniquement transmis par la mère, nous nous sommes aperçus que tous les individus présents dans l’Hexagone possédaient exactement la même séquence. Ils semblent donc tous être issus d’une seule et même femelle fondatrice  », retrace Mariangela Arca.

En outre, cette séquence se retrouve uniquement dans une région spécifique de Chine, entre les provinces de Zhejiang et Jiangsu, dans l’est du pays. «  Cette femelle fondatrice serait donc partie de cette région, ce qui colle bien aux éléments historiques que nous possédons  : le premier signalement de présence de ces frelons en France provient en effet d’un producteur de bonsaïs qui achetait ses pots en céramique dans cette région de Chine  », précise la jeune chercheuse.

Présent dans plus de 50 % du territoire français

Qu’un seul individu puisse être à l’origine d’une telle invasion ne paraissait jusqu’à présent guère imaginable. Théoriquement, l’absence de diversité génétique d’une population, condamnée alors à la consanguinité, limite ses performances et la conduit inévitablement à l’extinction. Or, c’est tout l’inverse qui se produit pour le frelon Vespa velutina, qui n’a de velours que le nom  : en l’espace d’une décennie, on l’a vu conquérir plus de 50 % du territoire français et il semble être au top de sa forme.

«  Dans certains endroits, on peut voir une quinzaine de ces frelons à pattes jaunes postés devant les ruches, capturant les abeilles alourdies par le nectar qu’elles transportent. Les agresseurs les emmènent ensuite contre un arbre, les décapitent et récupèrent les thorax qu’ils emportent dans leur nid pour les dévorer. Dans ces cas-là, les abeilles finissent par ne plus oser sortir et ne parviennent pas à constituer leur réserve pour l’hiver  », raconte Gérard ­Arnold, du laboratoire évolution, génomes, comportement, écologie. Cosignataire de l’article, il a passé de longues heures à observer le comportement de ces insectes.

Dès lors, comment expliquer qu’une seule ­femelle puisse engendrer une telle invasion  ? «  En analysant d’autres marqueurs ADN, présents non pas sur les mitochondries mais dans le noyau des cellules des frelons, nous avons découvert une importante diversité de séquences  », explique ­Mariangela Arca. Ce qui prouve que cette unique femelle fondatrice devait être fécondée par plusieurs mâles lorsqu’elle est arrivée en France. Ce système de reproduction, rarissime chez les frelons mais que l’on retrouve chez d’autres espèces comme certaines fourmis, permet ainsi d’apporter un minimum de diversité génétique, suffisamment, semble-t-il, pour assurer le succès d’une invasion comme celle à laquelle nous assistons aujourd’hui avec le frelon asiatique.

Un scénario qui pourrait se reproduire

Le scénario proposé par cette recherche est donc le suivant   : une femelle, originaire des provinces côtières de Chine, fécondée par trois ou quatre mâles, profite de la gratuité d’un transport au long cours dans un pot en céramique, puis hiberne dans ce petit habitat tranquille. Au printemps suivant, la dame se réveille, ébauche un embryon de nid et pond ses premiers œufs. Environ un mois plus tard, une petite colonie s’est déjà constituée et la reine continue à pondre jusqu’à 13  000 œufs, dont plus de 500 deviendront à leur tour des reines…

«  D’après nos calculs, cette première étape remonte à 2001  », précise Mari­angela Arca. L’invasion serait restée inaperçue jusqu’en 2004, date du premier signalement. A peine deux ans plus tard, les apiculteurs du Sud-Ouest faisaient déjà état d’une perte importante dans certains élevages. Et pour cause   : les abeilles domestiques peuvent représenter jusqu’à 70 % des proies des frelons asiatiques…

«  S’il suffit d’une seule femelle pour démarrer une invasion aussi efficace que celle du frelon asiatique, cela laisse présager d’autres possibilités d’invasion, en France ou ailleurs, prévient Franck Courchamp, spécialiste des espèces invasives à l’université Paris-Sud, à l’origine d’un projet intitulé «  Invacost  » dont l’objectif est d’établir des cartes de répartition future des insectes les plus envahissants et d’en évaluer les coûts économiques, sanitaires et écologiques. Les coûts de l’invasion sont tellement plus grands que les coûts de la lutte, qu’il faut essayer de diminuer par tous les moyens possibles la probabilité d’arrivée puis d’établissement et de dispersion de ces frelons.  »

Les mises en quarantaine, le traitement par le froid ou des mesures de désinfection des produits en provenance de ces régions d’Asie sont autant de pistes. Mais, au vu des échanges commerciaux avec la Chine, qui ont plus que doublé ces dix dernières années, la tâche semble perdue d’avance…

L’espoir vain de s’en débarrasser

L’espoir fut de brève durée. Durant l’été 2014, Eric Darrouzet, chercheur en biologie des organismes à l’université de Tours, publiait un article dans lequel il signalait la découverte du premier ennemi autochtone du frelon asiatique : une petite mouche, appelée Conops vesicularis, capable de parasiter les reines et les ouvrières en leur injectant ses œufs dans l’abdomen. Ces parasites laissaient entrevoir la possibilité d’une lutte biologique. Le 21 mai, une autre équipe de chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, a révélé l’existence d’un deuxième parasite : un ver rond nématode, de la famille des Mermithidae, qui finit par occuper tout l’abdomen de son hôte.

Mais impossible de crier victoire : « Même après avoir passé au crible un nombre considérable de nids détruits et analysé plus de 33 000 frelons, seuls trois spécimens de ce ver parasite ont pour l’heure été observés », précise Claire Villemant, première auteure de l’article. En outre, ce ver, comme la mouche, s’attaque à des individus isolés. « Il n’y a aucun espoir pour que ces deux parasites jouent un rôle répressif décisif sur les frelons asiatiques », concluent les auteurs.

Et il n’est pas envisageable de les multiplier pour les utiliser en lutte biologique, car d’autres espèces seraient menacées, comme les bourdons, aussi parasités par Conops vesicularis. « Nous ne parviendrons pas à nous débarrasser des frelons asiatiques. Nous devons désormais les accepter comme une espèce nouvelle et trouver d’autres solutions pour leur nuisance », plaide Claire Villemant.

Lise Barnéoud


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