Nouvelle catastrophe industrielle en Chine : dévastation dans la ville portuaire de Tianjin

mercredi 19 août 2015.
 

1) La sécurité dans l’industrie chinoise « passe après la recherche du profit »

Deux puissantes explosions, une forte onde de choc, des incendies dans un entrepôt contenant des produits toxiques, et au moins 50 morts et plus de 700 blessés. Si la cause précise de la catastrophe industrielle qui a eu lieu, mercredi 12 août au soir, dans le port de Tianjin dans le nord-est de la Chine, reste à déterminer, ce drame montre une nouvelle fois les failles de sécurité dans les infrastructures d’un pays que l’on surnomme parfois « l’usine du monde ».

2700 morts en 8 mois

Chaque année, les accidents industriels meurtriers se comptent par centaines. Entre janvier et août 2014, le gouvernement chinois a ainsi compté 640 « graves » accidents du travail, ayant entraîné la mort de près de 2 700 personnes. De son côté, l’ONG China Labour Bulletin a élaboré une cartographie interactive des accidents du travail dans le pays, listant 342 cas qui ont concerné au moins trois employés ou tué au moins une personne, cités dans les médias chinois depuis décembre 2014.

Rien que le mois dernier, quinze personnes ont été tuées lors de l’explosion d’un site illégal de stockage de feux d’artifice dans la province du Hebei, dans le nord de la Chine. Et douze autres sont mortes dans l’effondrement d’une fabrique de chaussures à Wenling, dans l’Est. Parmi les accidents les plus tragiques, on peut aussi citer la mort de 119 personnes prises au piège, en l’absence d’issues de secours praticables, dans l’incendie d’un abattoir de volailles dans le nord-est du pays en 2013.

En août 2014, la Chine s’était aussi émue de la mort de 75 personnes dans l’explosion d’une usine de pièces de voitures approvisionnant l’américain General Motors, à Kunshan, près de Shanghaï – un bilan rehaussé plus tard à 146 morts selon China Labour Bulletin. Des ONG et des médias ont une fois encore mis en cause les normes de sécurité sur le site. La déflagration aurait été provoquée par une flamme allumée dans une salle confinée remplie de poussières en suspension. « Il y avait des inspections, mais dès qu’elles étaient terminées, plus personne ne prêtait attention aux règles de sécurité », a témoigné un ouvrier cité par l’agence Chine nouvelle. « Des mesures comme des systèmes de ventilation adéquats auraient dû empêcher l’accumulation de particules de poussière », a abondé de son côté China Labor Watch, une ONG basée aux Etats-Unis.

Renforcement des sanctions

A la suite de cet accident de Kunshan, dix-huit personnes, dont trois responsables de l’entreprise et des membres du gouvernement local, avaient été poursuivies pour leur rôle dans la catastrophe, et 214 usines suspendues à cause de problèmes de sécurité similaires dus à une « pollution poussiéreuse ». La loi sur la sécurité au travail a aussi été rendue plus sévère fin 2014. L’enquête sur cet incident ayant déterminé que la plupart des employés n’étaient pas au courant des procédures de sécurité, les formations du personnel ont notamment été renforcées.

Parmi les autres mesures, les entreprises de plus de 100 salariés doivent ouvrir un poste à plein-temps dédié à la sécurité, et le rôle des syndicats dans ce domaine a été consolidé. Les sanctions ont aussi été sensiblement augmentées : pour un accident grave, c’est-à-dire qui entraîne 10 à 30 morts, 50 à 100 blessés, ou 50 à 100 millions de yuans (7 à 14 millions d’euros) de pertes, l’amende maximale pourra désormais être de 20 millions de yuans (environ 2,8 millions d’euros), pour 100 000 yuans (14 000 euros) auparavant.

Ces nouvelles mesures permettent de punir aussi plus sévèrement et personnellement les responsables plutôt que les entreprises, souligne Liu Tiemin, de l’Académie chinoise des sciences et technologies de sécurité, cité par la chaîne publique CCTV. Ils pourront ainsi écoper d’une amende de 30 à 80 % de leur revenu annuel, et se voir interdit de travailler à un poste de responsabilité dans une entreprise du même secteur industriel. Les régulateurs, enfin, se réservent le droit de couper le courant aux usines fautives, si la sécurité continue d’y poser problème.

« La Chine a des règles de sécurité déjà en vigueur pour éviter les explosions dans les usines, le défi étant de convaincre les gouvernements locaux qu’il est dans leur intérêt d’appliquer ces réglementations, plutôt que de fermer les yeux sur leur violation par des industries locales lucratives », estimait cependant The Diplomat, magazine couvrant la région Asie-Pacifique, à la suite d’un autre accident industriel meurtrier survenu dans la province de Jiangsu il y a un an.

Plusieurs cadres arrêtés

Ce volet de sanctions sera-t-il appliqué après la tragédie de Tianjin, considéré comme « accident extrêmement grave » selon la loi chinoise ? D’après CCTV, plusieurs cadres travaillant pour une « entreprise concernée » de cet entrepôt de Tianjin, dont le propriétaire est Tianjin Dongjiang Port Ruihai International Logistics, ont été arrêtés mercredi.

Pour Geoffrey Crothall, de l’ONG China Labour Bulletin basée à Hongkong, les règles de sécurité au travail sont légion en Chine, mais « faiblement appliquées, (…) la sécurité passant après la recherche du profit ». « En général, dans ce type de cas, les autorités trouvent des boucs émissaires, certains responsables vont être licenciés ou rétrogradés, mais les choses vont finalement très peu changer, en dépit de la grande publicité qui entoure cette tragédie », estime-t-il.

Le Monde.fr, 13 août 2015 avec AFP

2) A Tianjin, une fuite de cyanure de sodium complique la tâche des secours

Deux immenses explosions provoquées par l’incendie d’un entrepôt contenant des produits inflammables et toxiques ont eu lieu, mercredi 12 août au soir, dans une zone industrielle de Tianjin, une grande ville du nord-est de la Chine. Plus de 24 heures plus tard, le bilan humain est lourd : au moins 50 morts, dont 12 pompiers, et plus de 700 blessés, dont 71 dans un état critique, selon un bilan provisoire établi par les médias d’Etat.

La plupart des blessés ont été touchés par des éclats de verre et des débris, projetés jusqu’à 3 kilomètres à la ronde. Plus de 1 000 pompiers ont été mobilisés pour maîtriser l’incendie déclenché par les déflagrations, qui serait désormais sous contrôle. Les opérations pour l’éteindre ont toutefois été suspendues afin de tenter d’évaluer des « produits dangereux » qui demeurent sur le site, a indiqué au Guardian le gouvernement local. Selon l’agence de presse officielle Chine nouvelle : « A cause de la volatilité des produits, les flammes sont particulièrement imprévisibles et il est dangereux de les approcher. »

Citant la station de contrôle de l’air de la ville, l’ONG Greenpeace évoque notamment la présence de particules de cyanure de sodium (NaCN), de diisocyanate de toluène (TDI), et de carbure de calcium (CaC2), qui « constituent toutes une menace pour la santé humaine ». Si la première est particulièrement toxique, les deux autres réagissent très violemment au contact avec l’eau, présentant notamment des risques d’explosion, ce qui « constitue une difficulté supplémentaire pour les pompiers », relève Greenpeace.

Selon Matt Simon, journaliste pour la chaîne CCTV America, les secours utilisent du peroxyde d’hydrogène pour contenir la fuite au sol de cyanure de sodium. Le journal chinois Le Quotidien du peuple affirme que 700 tonnes de cyanure de sodium se trouvaient stockés dans les entrepôts.

Une équipe de 217 militaires spécialistes des armes nucléaires, bactériologiques et chimiques est arrivée sur place pour participer aux opérations de nettoyage, précisait l’agence Chine nouvelle.

« J’ai d’abord entendu un bruit sourd… »

Les explosions, qui se sont produites à trente secondes d’intervalle vers 23 h 30, heure locale, ont déclenché une onde de choc ressentie à plusieurs kilomètres de distance. Elles étaient si fortes qu’elles ont pu être observées de l’espace par des satellites.

La première a eu lieu dans un entrepôt où étaient stockés des explosifs et elle a projeté des débris enflammés, déclenchant une deuxième explosion beaucoup plus puissante. D’après Chine nouvelle, la première explosion correspondait à l’équivalent de 3 tonnes de TNT, la deuxième à 21 tonnes. Selon l’agence sismologique chinoise, la première explosion a provoqué un séisme d’une magnitude de 2,3 sur l’échelle de Richter, la deuxième de 2,9.

Les déflagrations ont touché un quartier résidentiel de luxe, mais aussi des dortoirs de travailleurs migrants, qui n’étaient plus qu’un enchevêtrement de tôles à terre. En dessous de ces amas de ferraille apparaissent des draps aux couleurs vives, parfois maculés de sang.

Dans un témoignage recueilli par téléphone par Le Monde, Wu Di, qui travaille et réside dans la zone nouvelle de Binhai, autour du port où a eu lieu la déflagration, explique : « J’étais resté tard au travail. Mon appartement est à 5 ou 6 kilomètres du lieu de l’explosion. Même de mon bureau, qui est encore un peu plus loin, j’ai eu l’impression que ça se produisait juste à côté.

J’ai d’abord entendu un bruit sourd puis l’ensemble de l’immeuble a tremblé. J’ai cru qu’il s’agissait d’un séisme. Mon appartement, situé dans la zone de développement, est vraiment endommagé. Les portes métalliques se sont déformées. Les vitres ont volé en éclats. Nous ne sommes plus autorisés à entrer ».

Le gouvernement promet des punitions sévères

Selon la police locale, l’entrepôt où a eu lieu l’incendie appartient à l’entreprise Tianjin Dongjiang Port Rui Hai International Logistics. Les médias d’Etat ont annoncé que plusieurs cadres de l’entreprise ont été arrêtés. Le président Xi Jinping a appelé à faire « tous les efforts possibles pour venir en aide aux victimes et éteindre l’incendie ». Il a également promis des punitions sévères si des manquements étaient découverts.

Malgré ce discours, la Chine a une nouvelle fois appliqué sa ferme politique de censure pour tenter de contrôler ce que les internautes postent en ligne au sujet des explosions. Selon l’agence Associated Press, plusieurs utilisateurs de Weibo, le plus grand réseau de microblogging du pays, se sont plaints de voir certaines de leurs publications être supprimées.

Dans son éditorial, le tabloïd chinois Global Times a appelé les autorités à faire preuve de transparence dans sa gestion de l’affaire. « Les responsables locaux de Tianjin doit prendre en compte les retours critiques. (…) L’idée qu’ils aient essayé de faire taire les commentaires et même en censurer certains doit à tout prix être évitée. »

Tianjin, qui se situe à 140 kilomètres au sud-est de Pékin, est l’une des plus grandes villes du pays, avec près de 15 millions d’habitants, et le dixième port commercial au monde. Elle est l’une des quatre seules villes du pays à avoir obtenu le statut de province avec Pékin, Shanghaï et Chongqing.

Le Monde.fr, 12 août 2015 avec AFP et Reuters

3) La censure à l’œuvre sur les réseaux sociaux chinois

La Chine a une nouvelle fois appliqué sa ferme politique de censure pour tenter de contrôler ce que les internautes postent en ligne au sujet des explosions survenues, mercredi 12 août au soir, dans la ville de Tianjin, dans le nord du pays.

Selon l’agence Associated Press, plusieurs utilisateurs de Weibo, le plus grand réseau de microblogging du pays, se sont plaints de voir certaines de leurs publications être supprimées. Autre signe que les autorités tentent de contrôler les images de l’accident qui circulent sur le Web, des utilisateurs ont remarqué que le nombre total de messages liés à la catastrophe listés par la plateforme fluctuait beaucoup.

Une chercheuse basée à Hongkong a, quant à elle, remarqué qu’elle ne parvenait pas à relayer un message critique au sujet de l’explosion.

Le site de l’entreprise où a eu lieu l’explosion, Ruihai Logistics, était inaccessible rapidement après l’explosion, sans que l’on sache si cela résultait d’une initiative gouvernementale. Le gouvernement local, en revanche, a annoncé qu’il avait suspendu l’accès en ligne aux archives publiques des entreprises, sans doute pour protéger l’identité des propriétaires.

Il est très courant que, lors de catastrophes, la censure chinoise tente de canaliser les publications sur Internet. Il s’agit bien souvent d’atténuer les critiques contre le régime et de célébrer l’action des secours. Ironie du sort : le Financial Times rapportait en 2012 que Tianjin était en passe de devenir la capitale chinoise de la censure sur Internet, à mesure que de plus en plus de géants chinois du Web y établissaient leurs équipes dédiées à la censure. C’est là ue l’on trouve, justement, les censeurs de l’entreprise Weibo.

Le Monde.fr, 13 août 2015 avec AP

4) Inquiétudes sur de possibles rejets de composants toxiques

Les habitants de Tianjin, dans l’est de la Chine, s’inquiètent pour leur sécurité après les deux gigantesques explosions dans la nuit de mercredi à jeudi qui ont fait au moins 50 morts et plus de 700 blessés et dont on ignore toujours l’origine. La série de gigantesques déflagrations a eu lieu dans un entrepôt où étaient stockés, selon des médias chinois, des centaines de tonnes de produits chimiques dangereux.

De son côté, le journal les Nouvelles de Pékin a rapporté, en citant des producteurs industriels, qu’au moins 700 tonnes de cyanure de sodium étaient entreposées sur le site, et que des doses importantes de cette substance hautement toxique avaient été relevées dans les eaux usées des environs. Cet article alarmiste n’était plus disponible vendredi sur l’Internet chinois, ce qui avivait les spéculations.

« Le gouvernement chinois ne nous dit rien »

Selon l’agence étatique Chine nouvelle, une équipe de 217 militaires spécialistes des armes nucléaires, bactériologiques et chimiques a entamé jeudi des opérations de nettoyage sur place. Vendredi matin, on voyait peu d’activité aux abords immédiats du lieu des explosions, dans un paysage industriel dévasté où des panaches de fumée s’élevaient encore par endroits. Les routes y menant avaient été nettoyées des principaux débris. Barrant l’accès au site, certains policiers n’étaient vêtus d’aucune tenue protectrice, tandis que d’autres avaient enfilé des masques à gaz recouvrant leurs visages entiers.

Dans un immeuble de bureaux voisin, un garde de sécurité de 50 ans, Liu Zongguang, portait pour sa part un simple masque chirurgical bon marché. « J’ai vu des policiers porter le même type de masque, tandis que d’autres n’en portaient pas. Du coup je ne sais pas quoi faire au juste », a-t-il observé. « Je suis effrayé, mais je ne sais même pas de quoi avoir peur exactement. Le gouvernement ne nous dit rien, absolument rien sur ce qu’on doit faire pour protéger nos familles des produits chimiques », ajoutait-il, énervé.

Les réglementations non respectées

Le Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, a indiqué que la construction d’un tel entrepôt dans cette dense zone industrielle « contrevenait clairement » aux réglementations.

Les normes de sécurité chinoises exigent effectivement que les entrepôts stockant des matériaux dangereux doivent être éloignés d’au moins un kilomètre des lieux d’habitation et axes routiers importants. Or, dans ce cas précis, deux complexes d’immeubles résidentiels et plusieurs avenues se trouvaient à moins de 1 000 mètres. Deux hôpitaux et un terrain de football étaient également à proximité, a affirmé le média étatique.

La catastrophe rappelle le piètre bilan de la deuxième économie mondiale en termes de sécurité industrielle, les réglementations étant souvent ignorées pour des raisons de rentabilité et leur mise en œuvre contrôlée de façon laxiste.

En juillet, 15 personnes avaient été tuées et plus de dix autres blessées dans l’explosion d’un site illégal de stockage de feux d’artifice dans le Hebei (nord). En août 2014, 146 personnes (selon un bilan officiel ultérieur) avaient trouvé la mort dans l’explosion d’une usine de pièces automobiles à Kunshan près de Shanghai.

La Matinale (Avec AFP)

Journaliste au Monde


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