Pétrole noir sur le continent blanc (Shell dans l’Arctique)

mardi 1er septembre 2015.
 

La compagnie pétrolière Shell a obtenu l’autorisation définitive de forer au large de l’Alaska, malgré les risques colossaux d’un tel projet.

La voie est libre. Plus aucun obstacle ne se dresse désormais sur la route de Shell dans sa course effrénée au pétrole et au gaz de l’Arctique. Hier, l’administration Obama a fait sauter le dernier verrou, autorisant la compagnie pétrolière Royal Dutch Shell à démarrer les forages exploratoires au nord-ouest de l’Alaska, au beau milieu de la mer des Tchouktches.

Un sauf-conduit, accordé au groupe anglo-nééerlandais par le département de l’Intérieur états-unien qui, en mettant fin à des années de bras de fer entre Shell et les organisations de défense de l’environnement, ouvre du même coup la porte aux appétits voraces des pétroliers du monde entier. Et pour cause. L’ensemble de la zone arctique retiendrait sous ses glaces 22 % des ressources mondiales d’hydrocarbures encore à découvrir selon l’United States Geological Survey (USGS). L’Américain ExxonMobil, le Britannique BP, l’Italien ENI et les Russes Rosneft et Gazprom se pressent sur la ligne de départ.

L’histoire commence dans les années 1980, quand Shell lance son premier assaut sur les ressources polaires. S’ensuit une décennie de projets prospectifs autorisés, lancés, finalement avortés. Entre 2005 et 2008, le géant de l’or noir obtient de l’administration Bush d’acquérir de nouvelles concessions dans l’océan Arctique américain. Et en 2009, Shell s’offre le droit de forer en mer des Tchouktches, là où, selon les estimations de la compagnie, se trouveraient 13 % des ressources non encore découvertes. Trois ans et 7 milliards de dollars d’investissement plus tard, Shell active ses foreuses offshore. Nous sommes en février 2012. Les incidents, dès lors, se multiplient, parmi lesquels la dérive de la monumentale plateforme Kulluk, incontrôlable et soumise aux vents violents du golf d’Alaska. L’évacuation des 18 ouvriers qui se trouvaient à bord, finira par être ordonnée d’urgence. «  L’échouement de la plateforme Kulluk prouve encore une fois à quel point cette compagnie est incapable d’opérer de manière sécurisée dans l’une des régions les plus éloignées et rudes de la planète  », réagira Greenpeace, pour qui le bras de fer avec Shell est définitivement engagé.

En 2013, Barack Obama retire à Shell ses permis d’exploration, conditionnant la reprise des forages à de solides gages de sécurité. Au premier rang desquels la présence sur place d’un navire équipé d’un système de pompage d’urgence en cas de déversement d’hydrocarbures. Dans le même temps, le département de l’Intérieur publie une étude estimant à 75 % le risque d’une marée noire dans le secteur. Un secteur qui cumule températures glaciales, événements climatiques extrêmes et éloignement – la première base de gardes-côtes est implantée à 1 500 kilomètres de la zone de prospection. Qu’importe, l’appât du gain vaut bien la prise de risques, Shell s’obstine et promet d’appliquer à la lettre le cahier des charges.

Prépositionnée au large de Seattle, la plateforme Polar Pioneer attend son heure. Et lorsque, le 11 mai dernier, Barack Obama autorise la reprise des forages, Polar Pioneer met cap au nord et fait route vers le pôle. Dans son sillage, le pétrolier Fennica, qui transporte le matériel d’urgence – indispensable au lancement des opérations –, largue les amarres pour rejoindre les eaux glacées de l’Alaska. Pour Shell, le temps presse. La mer de Tchouktches n’est praticable que quatre mois par an, de juin à septembre. Les engins de forage doivent y être remorqués avant la fin de l’été. En face, les opposants, réunis au sein du mouvement No Shell qui rassemble ONG, syndicats et collectifs citoyens, multiplient les actions pour ralentir le funeste convoi. À la fin du mois de juillet, après avoir heurté les glaces non répertoriées de l’Arctique, la coque du Fennica se déchire sur un mètre de long. Forcé de faire demi-tour, le navire d’urgence rallie les ateliers de réparation de Portland. Barack Obama repasse le point mort. Shell ne reprendra ses opérations qu’une fois le Fennica en état de marche. Une nouvelle fenêtre de tir s’offre alors aux militants de No Shell. Treize grimpeurs de Greenpeace USA resteront suspendus des heures durant au pont qui surplombe le port de l’Oregon pour empêcher l’amarrage du Fennica, comme quelques jours avant, des dizaines de kayakistes avaient tenté de bloquer la sortie de Polar Pioneer du port de Seattle. Shell remporte la partie. Le Fennica rafistolé est désormais sur zone et l’administration Obama vient d’officialiser la reprise des opérations.

«  Cette autorisation de forage va à l’encontre de tout ce que le président Obama a fait de positif dans le passé  », regrette amèrement Athan Manuel, de l’organisation environnementaliste Sierra Club. Loin des grands discours et des belles promesses, la Maison-Blanche vient non seulement de ternir irrémédiablement ses engagements environnementaux à quelques semaines de la conférence climat de Paris (COP21), mais surtout, de créer les conditions d’une catastrophe majeure pour tout l’écosystème polaire. Selon les ONG, une marée noire dans les eaux de la mer des Tchouktches serait plus destructrice encore que celle causée par l’explosion, en 2010, de la plateforme Deepwater de BP dans le golfe du Mexique.

La course à l’or noir vient de franchir un cap. Hier, l’obsession de l’indépendance énergétique a sacrifié la banquise.

Marion d’Allard

L’Humanité


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