La "question grecque" interpelle la gauche tout entière (Christian Picquet)

mercredi 2 septembre 2015.
 

François Hollande s’était cru autorisé à fanfaronner, au lendemain du vote de la Vouli en faveur de l’accord intervenu, le 14 août, entre les « créanciers » et le gouvernement grec, avec pour effet de débloquer une première tranche d’aide (23 milliards d’euros) grâce à laquelle la Grèce va pouvoir honorer une série de ses échéances. Pourtant, chaque jour ou presque atteste que la « question grecque » va hanter l’Europe, et singulièrement la gauche européenne, pour très longtemps.

Ainsi, en remettant son mandat entre les mains du peuple, le 21 août, Alexis Tsipras vient-il de donner une leçon de courage et de démocratie à tous ceux qui, au petit matin du 13 juillet, l’ont contraint à accepter un accord allant à l’encontre des intérêts les plus fondamentaux de ses compatriotes. Depuis son entrée en fonction, il s’est battu avec détermination pour sortir d’une austérité qui condamne son pays à la stagnation et à l’endettement perpétuel. Isolé, pour éviter le chaos d’un "Grexit" à son peuple, il a dû consentir à des dispositions contredisant l’essentiel de ses engagements, le privant de majorité au Parlement. Il était donc inévitable, et surtout légitime, qu’il s’en remette au verdict des urnes. Chacun, quoi qu’il pense des derniers choix de la figure de proue de Syriza devenue Premier ministre, reconnaîtra que les responsables des 18 autres gouvernements de la zone euro, qui agissent généralement au mépris de leurs promesses électorales sans jamais consulter les citoyens, se seront un peu plus enfoncés dans l’indignité…

Ainsi, répondant à l’invitation d’Arnaud Montebourg à Frangy-en-Bresse, ce 24 août, Yannis Varoufakis a-t-il su faire preuve de cette hauteur de vues, consistant à ne pas s’enfermer dans la déploration du sort fait à son malheureux pays, pour démontrer que c’était un nouveau modèle de société qui menaçait désormais le Vieux Continent tout entier. « La Grèce n’est pas si importante, devait-il souligner. La raison pour laquelle l’Eurogroupe, la « Troïka », le FMI ont passé tant de temps pour imposer leur volonté à une petite nation comme la nôtre est que nous sommes un laboratoire de l’austérité. Cela a été expérimenté en Grèce mais le but est évidemment de l’imposer ensuite à la France, à son modèle social, à son droit du travail. »

C’est aux citoyens grecs qu’il appartient maintenant de se prononcer sur leur avenir immédiat comme sur l’équipe qu’ils désireront porter à leur tête. Hors de question pour nous, hommes et femmes de la gauche anti-austérité, à des milliers de kilomètres d’Athènes, de délivrer bons et mauvais points, d’encourager les phénomènes de radicalisation qui se font jour dans une partie minoritaire de la gauche dans l’espoir, illusoire, qu’en naîtrait une force à la cohérence mieux affirmée dans sa défense d’une perspective « révolutionnaire ». On peut bien en appeler à aller « à gauche toute » (titre d’un article publié sur le site du Nouveau Parti anticapitaliste par l’un de ses correspondants), ou encore se féliciter « d’une recomposition au sein de la gauche radicale grecque (…) qui tire les leçons des cinq dernières années et bien sûr de l’expérience de Syriza au pouvoir et de la catastrophe qui en résulte » (posture de Stathis Kouvelakis, ex-dirigeant de la « Plate-forme de gauche » de Syrira et adhérent d’Ensemble en France, sur le site de la revue Inprecor), et n’avoir strictement rien à dire à propos des moyens de rassembler, sur de nouvelles lignes directrices, une majorité politique en Grèce. Il est, en effet, à craindre que l’implosion du parti qui avait su incarner la gauche hellène, dorénavant en cours, aboutisse en fin de compte à priver de représentation politique tout un peuple, affaiblissant l’esprit de résistance et de justice qui l’anime, aggravant par contrecoup des tendances déjà puissantes au découragement et à la désespérance.

Tsipras et Varoufakis le disent à l’unisson, quoiqu’ils se soient séparés sur les conséquences à tirer du piège dans lequel la coalition des eurocrates (de l’Eurozone et de la BCE), des fondés de pouvoir de la finance (ceux que le FMI expédie aux quatre coins de la planète pour faire passer des millions d’êtres humains sous la toise de politiques « d’ajustement structurel ») et des accapareurs cupides (ceux qui, depuis ce que l’on nomme « les marchés », peuvent déclencher les foudres de la spéculation contre n’importe quelle contrée) est parvenue à enfermer leur pays. Ce que l’on a imposé à la Grèce, en contrepartie du déblocage des quelque 86 milliards d’euros dont elle a besoin pour faire face à ses obligations de remboursement sur les trois prochaines années, apparaît à n’importe quel esprit lucide comme un non sens.

En exigeant du gouvernement grec qu’il augmente régulièrement les excédents primaires de son budget… En conditionnant les aides extérieures au paiement d’une dette dont chacun sait qu’il ne pourra jamais être acquitté… En exerçant une brutale pression à la baisse des retraites et à la déréglementation du marché du travail… En accroissant la charge fiscale de la population par l’entremise de l’augmentation de la TVA… En contraignant ses nouveaux dirigeants à liquider ce qui leur reste de patrimoine national (sans même, il faut le souligner, que le produit de cette gigantesque braderie vienne abonder les caisses publiques, puisqu’il servira essentiellement à satisfaire les bailleurs de fonds)… On contracte l’activité économique, on comprime la demande à un point tel que les caisses de l’État se verront privées des rentrées qui leur seraient précieuses, on interdit dès lors au pays de trouver le chemin d’une relance et de l’investissement public massif qu’exigerait l’engluement de son économie dans la récession. Autrement dit, on crée les conditions de déficits accrus et, par conséquent, d’un endettement croissant, lesquels ne tarderont pas à remettre la « question grecque » au menu d’un sommet européen.

Selon le quotidien Die Welt, une toute récente étude de la technocratie bruxelloise laisse, à cet égard, présager que la dette de la Grèce, de 170% du produit intérieur brut à l’heure actuelle, devrait passer à 196% à la fin de l’année, puis à 201% en 2016. Dans le meilleur des cas, elle ne redescendrait à 120% du PIB qu’à l’horizon 2030. À condition, cependant, que la crise des économies continentales puisse être un minimum maîtrisée, faute de quoi la dette atteindrait au moins 207% en 2016. On peut comprendre que le FMI, et derrière cette institution l’Oncle Sam qui en maîtrise les destinées, attire l’attention de la droite conservatrice allemande et des pouvoirs de l’Euroland, sur l’insoutenabilité de l’endettement hellénique…

Au-delà toutefois, c’est à la gauche, en Europe et tout particulièrement en France, de tirer les leçons de la séquence terrible dont la démission d’Alexis Tsipras représente l’épilogue. À la gauche tout entière, celle qui se dresse contre le dogme de l’équilibre budgétaire à tout prix, autant que celle qui hésite ou se dérobe devant la confrontation avec la finance. Car l’obligation d’apurer un endettement sans cesse plus important est devenue un fardeau insupportable pour nombre d’autres pays que la Grèce, Arnaud Montebourg se trouvant parfaitement fondé à souligner aujourd’hui que « l’idéologie de la dette est mortifère ». La doxa austéritaire, qui accompagne ladite idéologie, mène pour cette raison la construction européenne à sa perte, aiguisant les concurrences entre firmes et économies, portant à leur paroxysme les égoïsmes nationaux. D’autant que les politiques monétaristes mises en œuvre dans l’ensemble de la zone euro n’ont fait que consacrer l’hégémonie de la puissance allemande, privant l’idée européenne de toute substance dès l’instant où celle-ci s’est vue transformée en un bavardage habillant une tyrannie ne s’avouant pas, celle de l’argent.

Sortir de cet engrenage fatal, c’est en premier lieu agir pour l’organisation dans les meilleurs délais d’une conférence européenne pour la restructuration des dettes souveraines. C’est d’ailleurs ce que demandent Alexis Tsipras, un très grand nombre d’économistes et, sans nul doute, une large majorité de la gauche. La France peut et doit en prendre l’initiative. Et toutes les formations progressistes ont le devoir de se rassembler afin d’obtenir que le président de la République agisse en ce sens.


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