Sur Jean-Christophe Cambadélis, son œuvre, son référendum et Noisy le Grand

samedi 3 octobre 2015.
 

Nous sommes 278 à avoir un point commun qui nous distingue des autres 66 millions de nos concitoyens ! 278, dont moi ! Quelle fierté. Je le confesse, en dépensant les 15,90 euros qui m’ont permis de rejoindre les 277 autres, je n’avais pas conscience de commettre un acte aussi avant-gardiste. J’en mesure la portée à présent. En faisant cet achat je faisais en l’ignorant un geste surréaliste, presque dadaïste… Quel bonheur. Vous ne comprenez pas de quoi je parle ? Ah, vous ne saviez pas ? Oui, nous sommes 278 à avoir acheté le dernier ouvrage de Jean-Christophe Cambadélis. Pas mal, non ? Pour atteindre un tel succès, le Premier secrétaire du PS, pour lequel pourtant 40 000 adhérents PS qui manifestement n’aiment pas lire (puisque statistiquement 99,5 % n’achètent pas sa prose) ont voté lors du dernier congrès de juin 2015, a dû être l’invité de plusieurs émissions de TV et radios pour le présenter, dont « On n’est pas couché » animé par Laurent Ruquier sur France 2, qui rassemble en général 1,3 millions de téléspectateurs.

Ce livre s’appelle « A Gauche, les valeurs décident de tout » (édition Plon). En découvrant le titre, un ami taquin m’a dit « Avec l’équipe de la rue de Solférino, c’est plutôt les voleurs qui décident de tout ». J’ai trouvé la charge fort sévère…si, si.

Fondamentalement, la lecture de cet ouvrage bien écrit j’en conviens, de 205 pages, est assez déconcertante. Et c’est peut être cela qui explique ces ventes record. Alors que l’auteur est le Premier secrétaire du PS, que le gouvernement actuel est quasi exclusivement issu de ce parti, que le PS est majoritaire à l’Assemblée nationale, dans les Régions, etc… l’auteur nous annonce à la première phrase (non sans pertinence) que « la gauche a perdu la bataille des valeurs » mais ne dit rien, ou presque, sur la responsabilité du parti qu’il dirige et du gouvernement qu’il soutient. Comment s’en prendre aux effets, si l’on tait les causes ? Admettez que l’exercice intellectuel est périlleux. Dès lors, il enchaine des chapitres d’une plume alerte, et dont on pourrait signer bien des analyses, mais qui ne sont jamais reliés à aucune action concrète, à aucun acteur précis. La bataille idéologique, jugée à raison comme centrale pour changer la société flotte lignes après lignes dans de hautes planantes idéologiques (jamais vraiment originales néanmoins) s’en jamais s’incarner dans le réel, ou alors plein d’arrières pensées assez manœuvrières.

De la gauche du livre de Cambadélis, tel l’uniforme d’apparat du militaire que l’on sort une fois par an pour défiler, il ne manque pas un bouton doré, la fourragère est impeccable et les gants sont d’un blanc nickel. Tout y est. Certes, on peut discuter sur tel ou tel point, mais admettons le, le contenu est habile et défend les valeurs classiques de la gauche (le partage des richesses, la question sociale, la laïcité, etc.). On est quand même surpris par la faiblesse de la critique du modèle productiviste (seulement 5 pages sur l’écologie assez générale) et le peu sur la nécessaire transition écologique pour sauver notre écosystème… Péremptoire, le Premier secrétaire du PS nous dit « le défi écologique oblige la gauche à penser un nouveau modèle de production et une nouvelle définition du progrès ». Certes, mais concrètement, quelles pistes proposent-ils ? Mystère. De plus, Cambadélis ne dit rien sur l’immigration, les migrants, le droit d’asile… alors que c’est « le » sujet brûlant quand il rédige son livre.

417PK8NJ9DL._SX296_BO1_204_203_200_.jpgMais l’essentiel de la critique que je ferais à ce livre n’est pas là. Ce serait déjà rentrer dans une discussion politique avec un dirigeant qui chercherait à mettre en application ce qu’il écrit. Et je ne crois pas que ce soit le cas. Je concentrerai ma critique sur le fait que, comme je le disais précédemment, si l’uniforme dans lequel paraît la gauche de M. Cambadélis est irréprochable, voilà belle lurette que ceux qui sont aux postes de responsabilités, quand on vote pour le PS, ne le portent plus. Ils l’ont troqué pour le costume cravate gris des technocrates au service de la finance. Le livre de Cambadélis est donc un pur exercice de style littéraire. Presque rien sur le fond, tout sur la forme. Cet exercice, il est le seul à réellement pouvoir le réaliser. Formé à la bonne école du marxisme et du trotskysme (la même chose à mes yeux), il est l’enfant monstrueux de cette « Dernière génération d’octobre » que nous a décrit avec brio le grand historien Benjamin Stora dans un livre paru en 2003 (chez Stock) qu’il faut mettre entre toutes les mains de ceux qui s’intéressent à l’histoire fine du mouvement révolutionnaire en France. Du lambertisme, de sa rigueur intellectuelle, de sa résistance à l’ordre établi et de sa volonté d’enracinement dans le mouvement ouvrier, M. Cambadélis n’a gardé que le goût prononcé de la manœuvre. Dommage. Fort de cette expérience, il prend le temps d’habiller sa pratique politique dans un discours à la tonalité contestatrice, d’apparence fidèle aux canons de la pensée contestant le capitalisme. Il est sans doute le dernier, ou le seul, à pouvoir faire de même parmi les sociaux-libéraux et ceci explique en grande partie pourquoi il est le Premier secrétaire et le chef de la majorité du PS. C’est une spécificité de ce parti, selon moi dûe à l’existence politique d’une autre force active à l’extérieur du PS, incarnée notamment par Jean-Luc Mélenchon, mais pas seulement. Si nous disparaissons demain, Cambadélis disparaitra immédiatement, pour céder la place à un Manuel Valls ou pourquoi pas un Emmanuel Macron que le Nouvel Obs ou des sondages flatteurs auront désignés comme « l’avenir » (sans que l’on sache si c’est de la droite ou de la gauche dont on parle). Conscient de tout cela, Cambadélis est surtout conscient du rôle qu’il a joué dans le dispositif hollandais : être le porte voix des incantations à l’unité de la gauche pour laisser la place à François Hollande qui se représentera… Si le Président de la République et particulièrement le Premier Ministre assument de briser tous les fondamentaux de la gauche, non seulement par leur politique sociale et économique mais surtout par leur discours et les valeurs culturelles qu’ils portent dans le débat public, Cambadélis fait semblant de ne rien voir ni entendre et continue de dire qu’à « gauche » (terme flou dans lequel il inclus la politique de Hollande/Valls) nous partageons des valeurs communes…. Jeu de rôle dérisoire. Se prenant pour Léon Blum devant le spectacle du départ majoritaire des militants vers l’appel de la Révolution d’Octobre en 1920 à Tours, « Camba » susurre à l’oreille des militants et des électeurs désespérés par MM. Valls et Hollande : « pendant qu’ils courent à l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. » Mais, nul n’y croit sérieusement, même pas lui même.

12019981_1174033702613019_6806753200457949930_n.jpgTout cela sert à accompagner une autre astuce, placée au départ du long marathon vers la présidentielle de 2017 : l’organisation d’un référendum pour que les forces de gauche s’unissent dès le premier tour des élections régionales. Étonnant. Les mêmes ont piétiné le résultat du référendum de 2005 sur le TCE et sont incapables d’imaginer une consultation populaire sur le cours actuel du gouvernement. Pire, ils s’assoient sur le résultat de toutes les élections depuis 2012 qui les ont sanctionné. A Grenoble, ils ont refusé de s’incliner derrière la liste PG-EELV arrivée devant eux. A Toulouse, leur sectarisme contre la liste conduite par mon camarade Jean Christophe Sellin au soir du premier tour leur a coûté la ville. A Paris idem, et ils ont ainsi perdu le 9e arrondissement...les faits sont donc têtus pour attester de l’identité réelles des sectaires et des diviseurs. Passons. Mais, depuis que ces élections régionales existent, seules élections vraiment proportionnelles, il y a pourtant toujours eu (à de rares exceptions locales) des listes écologiques et communistes ou Front de Gauche. Mais Cambadélis et ses amis, sentant pointer la rouste électorale, décident que désormais ce n’est plus possible car cela fait le jeu de la droite et de l’extrême droite ! Et voilà pourquoi votre fille est muette comme dirait l’autre ! Aucune explication n’est apportée sur les raisons de la progression de cette extrême droite et des idées de droite. Rien. Pas la moindre autocritique. Mais un coupable obsessionnel est désigné : Jean-Luc Mélenchon. Avec ses camarades, ils doivent se soumettre, se ranger derrière les listes du PS et tairent leurs critiques vis à vis de la politique du gouvernement. Tout nous est mis sur le dos. Pour nous forcer à nous taire, et à nous montrer comme des diviseurs, Jean-Christophe Cambadélis invente (on me souffle sur les conseils du pathétique Julien Dray dont on attendait mieux) le référendum des 16, 17 et 18 octobre. Quel manque d’imagination ! Les mêmes figures politiques sont sans cesse réutilisées. Dans sa jeunesse lambertiste, combien d’appel à l’unité, mettant les appareils aux pieds du mur, le jeune Cambadélis a-t-il fait signer sur les facs pour convaincre que tout ceux qui ne signaient pas son appel étaient des diviseurs et que seule l’OCI luttait pour l’unité ? Il s’agissait dans les années 70 de « démasquer les directions traitres et les appareils bureaucratiques ». Je ne dis pas que cette stratégie pour le Front unique (c’est ainsi que la nommions dans notre jargon) n’avait pas sa pertinence à l’époque. Mais je dis que la période a un poil changé, n’est-ce pas ? Aujourd’hui, c’est le PS qui est au gouvernement et non Valéry Giscard d’Estaing ou Georges Pompidou. De plus, l’appareil bureaucratique qui fait obstacle à l’unité, c’est Cambadélis qui en est le Premier secrétaire. C’est lui qui porte la responsabilité de la division, par la politique du gouvernement qu’il a produit, et il est cocasse qu’il cherche à inverser les rôles.

Mais, plus globalement, l’unité ne se décrète pas, elle se construit. M. Cambadélis, malgré ses astuces et ses ficelles, n’arrivera jamais à construire un espace idéologique hors du temps, où l’unité serait possible, en dehors de l’action concrète du gouvernement et du jugement que des millions de femmes et d’hommes de gauche en porte. Les pseudos sondages sur lesquels s’appuient les solfériniens ne sont là que pour dire des banalités. Oui, l’unité est toujours préférable à la division. Mais pour faire quoi et aller où ? Nous sommes des matérialistes et non des idéologues qui font de la politique en chambre. Selon moi, nous sommes désormais entrés dans un nouveau cycle politique et historique, marqué par une certaine décomposition qui laissera, je l’espère, la place demain à une recomposition (qui doit toucher également nos institutions et engager le nécessaire processus vers la 6e République). Désormais, tous les vieux acquis d’unité et de désistement hérités du programme commun de 1972 sont quasi morts. L’unité ne se fait plus mécaniquement. Un fossé ne cesse de se creuser entre le PS et toutes les forces qui se réclament de la gauche. Aucune combine de circonstances n’arrivera à inverser ce processus, si ce n’est la Politique, avec un « P » majuscule, et un bouleversement profond rendu possible par l’action des masses. M. Cambadélis devrait se souvenir que ce qui permet le programme commun entre le PS et le PCF ce sont les évènements de Mai 68, et le nouveau cours qui est pris par le PS sous la houlette de François Mitterrand dès 1971 au Congrès d’Epinay Avec le Front Populaire, c’est la même chose. L’unité s’est construite sur un contenu, dans le but de battre la droite, d’interdire les fascistes, d’accéder au pouvoir et changer la société. Mais qui ne voit pas que ce paysage est radicalement différent en 2015 ? Pour l’heure, le PS n’a plus que la menace du FN (certes bien réelle) pour essayer de contraindre tout le monde à se ranger à lui, sans discussion politique ni modification de l’action du gouvernement. Cambadélis et les siens doivent comprendre que sans réalité politique substantielle, l’unité de façade d’appareils n’a aucune force propulsive, particulièrement dans une période où plus de la moitié de nos concitoyens s’abstiennent, particulièrement dans les milieux populaires. On touche ici à des choses sérieuses je le sais. La stratégie de la bataille pour l’unité populaire ne peut pas être un tic verbal asséné par des gros malins. Nous marchons au bord du précipice. Mais, n’est-ce pas le meilleur service à rendre au FN que de nous ranger derrière le PS ? Comment mobiliser les abstentionnistes en soutenant Valls, Hollande et leurs amis ? Ainsi, nous laisserions toutes contestations de la politique actuelle à la droite dure ou au fasciste. Je refuse cela. Dans la période qui s’ouvre, il est indispensable qu’un pôle de résistance politique cohérent existe, sans sectarisme, ni opportunisme ou affolement.

On me rétorquera le sinistre exemple de l’élection municipale de Noisy-le-Grand où dimanche dernier, la droite a gagné la ville sur le PS auquel ne s’était pas rallié mes amis. Ceux qui crient les plus forts n’expliquent pourquoi il y a un an, le PS a perdu 61 villes de plus de 30 000 habitants, et une dizaine de plus de 100 000. Et puis, bien peu de gens qui commentent avec mépris ce résultat s’interrogent sur les raisons qui ont amené cette catastrophe. Elles remontent à loin pourtant. Voilà 15 ans que le PS a cassé avec méthode toute forme d’union sur la ville. Sur BFM TV, le porte parole du PS, le député Olivier Faure n’avait que cet argument à la bouche, n’écoutant pas mes réponses, refusant d’envisager la moindre critique du gouvernement, me comparant au FN et me demandant séance tenante d’appeler à voter PS au second tour des élections régionales. Le reste ne l’intéressait pas. Ils ont trouvé leur coupable : le PG. Pratique. Les responsables ne sont surtout pas eux, surtout pas leur politique…

Pour comprendre ce qui s’est déroulé là bas, je vous invite à lire l’explication du militant et Conseiller général Pierre Laporte qui raconte sur son blog comment les relations entre le PS et les autres forces se sont dégradées depuis 15 ans. A force d’arrogance et de sectarisme, le PS est sanctionné électoralement, même dans ses bastions. Imaginer que notre seul rôle à présent serait d’aider, dans des conditions désespérées, que les notables cumulards solfériniens s’en sortent une nouvelle fois serait une incompréhension historique du rôle que nous avons à jouer. L’exemple de Noisy le Grand atteste de la profondeur du problème que nous avons à résoudre.

Municipales 20 septembre 2015 à Noisy le Grand


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