Le courant « lambertiste » en France – De l’OCI à l’explosion du POI : une cause qui remonte à loin – La dérive bureaucratique

samedi 17 novembre 2018.
 

Le POI vient d’exploser, du moins sa composante CCI qui en est le cœur. Comprendre ce qui se passe impose un retour en arrière de plusieurs dizaines d’années, sinon on ne peut que passer à côté des véritables raisons.

L’OCI (ancêtre du CCI) avait en 1972 longuement développé sa stratégie de construction sous le nom de stratégie de la LOR (Ligue Ouvrière Révolutionnaire). Pour faire simple on peut la résumer en disant que le Parti Révolutionnaire réunirait différentes « tendances » du mouvement ouvrier mais dont le cœur, l’élément le plus moteur, était le noyau trotskiste (OCI) qui ferait tout pour agréger ces différentes tendances. Sa stratégie constante dans la lutte de classe était d’œuvrer en permanence à la réalisation du Front Unique Ouvrier.

Son organe d’expression publique était Informations Ouvrières, opportunément qualifiée de « Tribune Libre de la Lutte des Classes » c’est-à-dire que ce journal était censé donner la parole à toutes les tendances parties prenantes de cette stratégie la LOR. Les trotskistes ayant pour leur part leur propre moyen d’expression à travers plusieurs revues, notamment « La Vérité ».

Tout cela était la théorie, assez alléchante sur le papier.

Reste un aspect fondamental, … le plus méconnu : « l’implantation dans la classe » comme on disait à l’époque. Celle-ci ne pouvait se réaliser selon la vision de Pierre Lambert que d’une manière : en gagnant des positions dans le mouvement ouvrier, c’est-à-dire dans les syndicats.

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, il n’y avait que 5 organisations syndicales majeures :

• La CGT dominée par les « staliniens » du PCF. Rappelons-nous qu’à l’époque le Secrétaire Général de ce syndicat était obligatoirement membre du Bureau Politique du PCF.

Ce n’était donc pas à proprement parler un modèle de démocratie.

• La CGT-FO qui regroupait les militants « continuant la vieille CGT » (créée à Limoges en 1895) suite à la scission de la CGT de 1947.

• La FEN, Fédération de l’Education Nationale qui est devenue autonome en 1948 au moment de la scission de la CGT, refusant de choisir entre la CGT et la CGT-FO (motion Bonissel-Valière). Cette organisation a joué pendant des décennies un rôle extrêmement important lors de la plupart des mobilisations en étant l’organisation qui permettait à toutes les autres de se rencontrer ou qui prenait l’initiative de tel ou tel appel ou mobilisation.

• La CFDT, provenant d’une scission de la CFTC, et la CFTC. Qualifiées toutes les deux de syndicats « jaunes » car provenant de l’extérieur du mouvement ouvrier. En effet c’est l’église qui est à l’origine de la création de la CFTC. Au passage, petite anecdote, l’expression « syndicat jaune » vient du fait que les adhérents de la CFTC arboraient à la boutonnière de leur veste une fleur de genêt qui est … jaune. D’où l’expression « tiens, voilà les jaunes » quand les militants CFTC arrivaient quelque part.

• Et enfin, il y avait l’UNEF, qui à l’époque était l’objet d’une féroce bataille entre les staliniens du PCF et l’OCI via ses militants à l’université [1].

Le contexte de l’époque, au tout début des années 70, était donc le suivant :

• Une quasi impossibilité de s’implanter dans la CGT, à quelques exceptions près. Mais aucune véritable responsabilité nationale.

• La FEN dans laquelle les trotskistes étaient regroupés dans la tendance EE-FUO (École émancipée pour le front unique ouvrier)

• La CFTC – CFDT dans lesquelles il était impensable d’aller à l’époque.

• La CGT-FO qui cherchait à se développer mais avait les pires difficultés pour le faire (manque de militants formés et grosse « pression » de la CGT chaque fois qu’un syndicat FO tentait de se mettre en place que leur militants « traditionnels » supportaient très mal.

• Enfin, une UNEF, lieu d’une terrible bataille entre PCF et OCI pour en prendre le contrôle. Bataille qui se terminera par la scission de 1971 scission donnant d’un côté l’UNEF ID (OCI) et l’UNEF Renouveau (PCF).

Pierre Lambert a toujours eu une stratégie et ce contexte a largement favorisé ses objectifs.

• L’UNEF c’était la jeunesse donc il était indispensable d’y être un acteur majeur. Mais surtout, c’était « l’école » des militants de demain dans les autres syndicats.

• FO ne savait pas se développer, s’implanter et prospérer.

• La FEN était le pivot qui permettait de monter de multiples opérations, notamment autour de la défense des droits de l’homme … « à l’Est comme à l’Ouest ».

Lambert a donc passé un deal avec FO que l’on peut résumer ainsi. On s’occupe de votre développement et vous nous donnez des postes à responsabilité. Par ailleurs, vous nous aidez vis à vis de l’UNEF ID, que nous avons préservée, afin qu’elle soit reconnue et se développe.

Les hommes clé de ce deal étaient : André BERGERON, Roger SANDRI (Secrétaire à l’Organisation), Pierre LAMBERT et Alexandre HEBERT (Secrétaire Général de l’UD-FO 44). Ce dernier était le chef de la tendance « anarcho-syndicaliste » dans FO, en fait il était de l’OCI et même membre du Bureau Politique.

Dès lors les trotskistes ont aidé à l’implantation de FO dans les entreprises, prenant au passage des postes à responsabilité. Et FO s’est développée.

Les manifestations FO … il n’y en avait quasiment jamais. Pourquoi ? … parce que les militants FO ne savaient pas les organiser, avaient souvent peur de prendre des coups ou tout simplement parce que ce n’était pas leur « culture ». Qu’à cela ne tienne … l’OCI va s’en occuper.

Et les manifestations FO sont apparues, encadrées par le service d’ordre de l’OCI. Il faut se souvenir qu’à l’époque le SO de l’OCI c’était quelque chose. Peu nombreux étaient ceux qui ne le craignaient pas. Donc les manifestations FO sont devenues une réalité.

Par ailleurs, au sein de la confédération FO, les trotskistes agissaient pour peser sur l’orientation et menaient également un travail permanent pour la défense des libertés partout dans le monde. C’était d’ailleurs au départ l’un des éléments majeurs qui leur a permis d’être « acceptés ».

Cela ne gênait nullement Bergeron.

Il faut noter au passage, c’est particulièrement important, qu’il n’y a JAMAIS eu de discussion sérieuse sur ces questions d’implantation dans les syndicats, notamment FO, dans les rangs de l’OCI. C’était la chasse gardée absolue de Lambert et malheur à celui qui s’avisait de s’en occuper, s’il n’en était pas un acteur, ou s’il émettait la moindre idée contraire à la stratégie du « vieux ».

On ne compte plus les manifestations, meetings … etc, menées dans ce contexte avec pour certaines de véritables succès, comme les campagnes menées pour la libération d’opposants en URSS pour ne prendre que cet exemple.

Poussant son avantage au sein de la confédération FO, Pierre LAMBERT travaillait dans l’ombre. Il cherchait à prendre réellement le contrôle de l’appareil confédéral de FO. Et pour cela avait besoin d’hommes à lui. Il en trouvera un en la personne de Claude Jenet, Secrétaire de l’Union Départementale FO de Limoges (87).

Celui-ci devient Secrétaire Confédéral en 1980 (congrès de Bordeaux) … chargé de la presse. Puis au départ de Bergeron, remplacé par Marc BLONDEL (1989), il devient le N° 2 de la Confédération, en charge de la presse et de l’organisation. Le poste clé !

Dans FO, les trotskistes sont maintenant en situation de force. La presse, la formation, l’organisation … autant de postes fondamentaux qui permettent de s’implanter à tous les niveaux (syndicats, UD, Fédérations, Confédération) et d’y avoir un rôle considérable.

Au final … du beau travail. Car à ce stade, on ne voit pas vraiment quoi reprocher à cette stratégie de Pierre LAMBERT qui permet vraiment aux trotskistes de s’implanter et de jouer un rôle. La stratégie de Lambert semble de plus conforme aux principes et correspond aux objectifs politiques annoncés.

Mais … car il y a un mais, un problème fondamental va surgir qui va provoquer le dérapage fatal.

Il y avait un pacte … non écrit, mais bien réel. On ne touche pas à la FEN qui incarne et matérialise l’idéal syndical. Tous les salariés dans un seul syndicat permettant à chacun d’exprimer son point de vue à travers une tendance reconnue par tous. Et c’était d’ailleurs le cas. La FEN fonctionnait comme cela. Il y avait le PCF, les socialistes, les trotskistes … bref tout le monde. La FEN était donc un symbole.

Mais Lambert va accepter de toucher à ce symbole et cela provoquera l’explosion et la disparition de la FEN, en plus d’un morcellement encore plus grand du monde syndical.

Comment cela a-t-il pu se produire ?

Le facteur déclenchant a été la demande de BERGERON à LAMBERT de l’aider à construire un syndicat FO dans l’enseignement supérieur, en 1982. Et LAMBERT a accepté. CAMBADELIS, Président de l’UNEF, étant chargé de prendre les contacts et de favoriser l’aboutissement de cette entreprise. Ce qui fut fait.

C’est le nœud du problème. En agissant ainsi, LAMBERT officialise l’abandon de l’idéal qu’il prétendait poursuivre, à savoir, la réunification syndicale matérialisant le Front Unique Ouvrier réalisé.

Il choisit de faire exploser la FEN, comme gage de son allégeance aux « réformistes » de FO. A la suite de cette initiative, plusieurs syndicats FO seront créés dans l’enseignement, qui feront la part belle aux trotskistes.

C’est cet évènement qui constitue l’élément majeur. Celui qui permet de comprendre toute l’histoire.

Depuis ce moment, en silence, s’en suivra un long processus de maturation mortelle qui aboutira à ce que nous voyons aujourd’hui dans les rangs des trotskistes.

Le combat politique initial a fait place au combat pour les postes et… surtout pour les garder.

Un nombre certain de responsables trotskistes sont simplement devenus des … bureaucrates parmi d’autres bureaucrates.

Et sur ce chemin, on croise beaucoup de couleuvres qui sont de plus en plus grosses à avaler.

L’une d’elles se nomme … CES. Organisation qui est devenue un répugnant rouage de l’Union Européenne. Pour preuve, son appel aux travailleurs grecs à voter pour rester dans l’UE qui est pourtant à l’origine de tous les maux dont ils souffrent actuellement et pour longtemps encore.

Les exclusions auxquelles on vient d’assister dans le CCI ont pour racine l’abandon des principes politiques initiaux sur lesquels combattaient les trotskistes. Cet épisode n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. C’est un aboutissement qui remonte à loin, mais un peu plus tôt, un peu plus tard il devait avoir lieu. De manière d’autant plus violente que le mal était profond. Et sur ce plan, LAMBERT avait été très loin. Rappelons-nous par exemple comment ce dernier avait été reçu, avec Alexandre HEBERT, par CHIRAC à l’Elysée pour « écraser » l’affaire des détournements de fonds à la CAF de Paris.

Cette entrevue avait eu lieu grâce à Maurice ULRICH –ex PDG d’Antenne 2 puis Directeur de cabinet de Chirac lorsqu’il était 1er Ministre – dont la fille Sonia était … à l’OCI.

Joli marigot dans lequel tout le monde barbote, loin des grands principes révolutionnaires et de l’éthique la plus élémentaire.

Pour manger avec le diable, il faut une grande cuillère. Sinon on se brule les doigts, ou pire, on y perd son âme.

Au-delà d’une certaine limite, la quantité se transforme en qualité. Vieux principe de la dialectique …

Aujourd’hui, Marc LACAZE et ceux qui le soutiennent défendent l’indéfendable et comme toujours en pareil cas, « quand on défend une mauvaise cause, on a de mauvais arguments » auxquels s’ajoutent des méthodes brutales et anti démocratiques propres au monde du stalinisme le plus éculé.

Mais là encore, rien d’étonnant. Il a été à bonne école. Pierre LAMBERT ayant rythmé toute sa carrière politique d’innombrables exclusions, certaines dans des conditions que n’auraient pas reniées les procureurs de Staline.

Daniel GLUCKSTEIN entend continuer à maintenir le flambeau contre vents et marées. Indiscutablement, ce qu’il dit est politiquement juste. Reste que l’affaire ne sera pas simple pour lui et ceux qui le soutiennent … en effet, la première phase du combat qu’il mène contre la tendance LACAZE du CCI a été perdue, du fait qu’ils se sont faits éjecter du 87 Rue du Faubourg St-Denis par des méthodes où l’odieux le dispute au misérable (changement des serrures, huissiers, violences, …).

Ce groupe a perdu une bataille, mais pas la guerre. Au plan politique, le Groupe Daniel GLUCKSTEIN existe toujours. Il représente environ 1.000 personnes, ce qui n’est pas rien, édite un journal, possède un local, tient meeting avec des centaines de participants, … etc.

Reste le problème le plus important : sans lien avec les couches populaires ce groupe sera condamné à « commenter » la situation politique et sociale. Mais pour peser sur celle-ci, il lui faudra être présent dans les organisations syndicales et en capacité d’y ouvrir des perspectives et d’être à l’origine de mobilisations pouvant changer la donne.

Sur ce plan, à titre d’exemple, souvenons-nous qu’en 1995, le syndicat FO de la Sécurité Sociale, piloté par Pierre LAMBERT en personne, a joué un rôle plus qu’important dans le développement des actions contre la réforme JUPPE. Mobilisation qui aboutira au retrait de la réforme et au départ de JUPPE.

La voie est donc toute tracée. Si Daniel GLUCKSTEIN et son groupe se veulent un avenir politique leur permettant de jouer un rôle et de peser sur les évènements, il lui faudra avoir des positions dans le mouvement syndical. On comprend aisément que pour le groupe LACAZE, la problématique est inverse. S’il veut en finir avec Daniel GLUCKSTEIN et le cantonner à un rôle de « commentateur », il faut faire perdre à ce groupe ses positions dans mouvement syndical, social et associatif..

La première bataille s’est déroulée « en famille ». La seconde se déroulera « en public » au sein des syndicats, associations, … afin de faire perdre à Daniel GLUCKSTEIN ses positions.

Si ce dernier devait perdre sur ce plan aussi, ce serait une très mauvaise nouvelle pour le courant politique qui entend combattre sérieusement contre l’Union Européenne, sa politique antisociale qui provoque le désastre social auquel nous assistons en Grèce, mais qui ne fait que préfigurer l’avenir d’autres peuples en Europe.

Certains pourraient sourire et penser qu’en écrivant longuement sur ces faits revient à accorder une importance démesurée à une lutte entre quelques personnes. En fait ce serait simplement la preuve qu’ils ne comprennent pas l’enjeu de cet affrontement.

Les « grands » de ce monde, aidés par tous leurs zélés serviteurs au sein des gouvernements européens et leurs relais dans les organisations syndicales pro UE … les « grands » de ce monde ne pourront pas rester éternellement assis sur le couvercle de la marmite. La pression monte de plus en plus. Il suffirait de pas grand-chose pour que tout cela vole en éclat.

En France, par exemple, l’étincelle qui met le feu aux poudres pourrait parfaitement se produire au motif du combat contre la réforme scélérate du Code du Travail (Rapport Combrexelle) soutenue et voulue par le Gouvernement Valls-Hollande.

L’enjeu est de faire taire la voix de Daniel GLUCKSTEIN et de son groupe doit être vue à l’aune de cela. Numériquement, cela peut faire sourire certains mais politiquement c’est une bataille majeure qui est en cours dont l’enjeu dépasse largement ce que d’aucuns imaginent.

La lutte au sein des syndicats, FO au premier chef, ne tardera pas à éclater au grand jour.

Elle sera féroce.

Il sera intéressant et sans doute éclairant de constater ce que feront les composantes de ces différents appareils syndicaux confrontés qu’ils seront à cette lutte.

Ainsi, pour FO, l’indépendance syndicale est une valeur cardinale. Que feront les dirigeants de la Confédération FO lorsqu’ils devront choisir entre trahir leurs valeurs d’indépendance ou y être fidèles à l’occasion du combat politique qui fera inévitablement irruption dans ses rangs (Code du Travail, rôle de la CES, …) et amènera les uns et les autres à prendre position officiellement ?

On a déjà eu un avant-goût du problème à l’occasion de la mobilisation des « bonnets rouge » l’an dernier. Au sein de FO, Marc HEBERT (qui n’a pas de lien de parenté avec le HEBERT Secrétaire de l’UD FO 44 et Lambertiste pur sucre) a été l’un des très rare à soutenir le mouvement des bonnets rouge qui était une authentique mobilisation … du peuple. Tandis que tant d’autres voyaient dans ce mouvement du corporatisme voire l’association capital – travail au motif que certains petits patrons s’y sont associés. Faisant ainsi la preuve de leur incompréhension politique.

Nous ne sommes qu’au début d’un mouvement de clarification et de recomposition dont la colonne vertébrale sera le combat contre l’Union Européenne et sa politique réactionnaire et anti-sociale.

Ce qui se passe dans le POI et très prochainement dans les syndicats en est l’un des élément.

Bernard Germain

Notes du site gauchemip :

- le texte ci-dessus fait abstraction de tous les autres courants de la gauche révolutionnaire – autres organisations trotskistes, maoïstes, anarchistes, « italienne », etc. –, comme s’il y avait eu un duel singulier entre l’OCI et le PCF, ce qui était très loin d’être le cas !

- le texte ci-dessus donne totalement raison au groupe de Daniel Gluckstein dans la crise actuelle du POI sur la base d’une argumentation cohérente. Jusqu’à plus ample informé, notre site préfère rester plus prudent.


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