« Erdogan et Daech sont vraiment les deux faces d’une même pièce »

mardi 13 octobre 2015.
 

Pour Eyyup Doru, représentant en Europe du HDP (Parti démocratique des peuples), l’attentat de ce samedi fait partie de la stratégie de la peur du président Erdogan en vue des élections législatives anticipées prévues le 1er novembre.

À qui attribuez-vous cet attentat qui a coûté la vie à au moins 128 personnes, ce samedi, à Ankara  ?

Eyyup Doru Nous pensons très clairement que les auteurs de cet attentat sont connus du gouvernement. Il s’agit du troisième acte du scénario sanglant écrit par Erdogan depuis quatre mois pour rasseoir un pouvoir qui lui échappe. La veille des législatives de juin, déjà, une attaque du genre avait fait 4 morts et plusieurs centaines de blessés à Diyarbakir, lors d’un meeting de notre parti (le HDP, Parti démocratique des peuples). À Suruç, en juillet, à la frontière syrienne, juste en face de Kobané, 32 Kurdes avaient perdu la vie dans des attentats. Ce samedi, on retrouve le même mode opératoire qu’à Diyarbakir. À l’époque, quelques heures avant l’explosion, l’homme qui s’est fait sauter avait été relâché par les services de sécurité turcs. Mais, ce coup-là, cela se passe dans la capitale turque, à deux pas des bureaux des services secrets, qui savaient forcément ce qui se tramait  ; le gouvernement a laissé faire, c’est une certitude. Cela ressemble évidemment beaucoup à un acte de Daech, qui, on le remarquera, ne fait jamais sauter un des siens dans une manifestation de l’AKP (Parti de la justice et du développement). Ce qui nous fait dire qu’Erdogan et Daech sont vraiment les deux faces d’une même pièce.

À trois semaines des élections, pensez-vous que cet attentat aura des conséquences sur le scrutin  ?

Eyyup Doru Notre coalition (formations de gauche, société civile, syndicats et partis kurdes) est aujourd’hui la seule voie pour sortir la Turquie de la dictature dans laquelle Erdogan veut plonger son peuple. Le problème, c’est qu’une partie de la population est largement manipulée par la presse gouvernementale, qui assure le service après-vente de l’AKP dans sa propagande anti-Kurdes. Il y a aujourd’hui des journalistes qui osent à peine parler. Seule la presse d’opposition tente courageusement d’expliquer les manigances du gouvernement. Depuis le début de l’été, on a ainsi pu apprendre que le gouvernement tentait de déplacer les zones de vote et les urnes dans les casernes militaires pour effrayer les citoyens. Il a aussi destitué des maires non AKP sans ménagement et sans raison. Le terrorisme d’État s’immisce dans toutes les sphères de la société. Mais cet attentat aura, je pense, d’autres conséquences, car cette fois-ci, ce ne sont pas que des Kurdes qui ont perdu la vie. Parmi les victimes, il y a aussi des Turcs non kurdes. Les citoyens turcs voient bien le double jeu mené par Erdogan et son gouvernement autodéclaré et illégitime. 
Le visage de l’AKP est maintenant connu par tous les acteurs de ce conflit.

Et les grandes nations, comme les États-Unis, la France, la Russie, en ont-elles conscience  ?

Eyyup Doru La Russie… ça, c’est un vrai problème pour Erdogan. En fait, l’intervention russe en Syrie a mis fin à un autre rêve du chef de l’AKP, qui souhaitait créer une zone autonome dans le Rojava (Kurdistan syrien). Aujourd’hui, Erdogan, premier élément de soutien à Daech sur le terrain militaire, ne peut plus dépasser les frontières aériennes de la Syrie pour intimider les populations de la région. Pire encore, aujourd’hui Moscou s’apprêterait à reconnaître le Rojava. Quant aux autres grandes nations, je peux dire que, ces deux dernières semaines, nous avons rencontré beaucoup de ministres des Affaires étrangères occidentaux à qui nous avons exposé les faits. Cet attentat ne fait que corroborer ce que les chancelleries savent déjà. Et je profite de cet entretien pour réitérer ce que je leur ai dit à eux tous, à savoir que nous faisons un appel international notamment à la France pour qu’elle organise des délégations d’observateurs afin de surveiller les élections dans les régions du Kurdistan. Car le gouvernement ne manquera pas de tricher.

Entretien avec Eyyup Doru, représentant en Europe du HDP (Parti démocratique des peuples), publié par l’Humanité


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