Air France Sous la chemise du DRH, l’État actionnaire

mercredi 21 octobre 2015.
 

Dans une tribune publiée par l’hébdomadaire Politis, Mathieu Agostini revient sur les récents évènements à Air France et pointe les responsabilités d’un gouvernement sans vision industrielle.

Que voit-on lorsque les DRH sont mis à nu ? Au delà des flasques bedaines embourgeoisées ? La panique. La panique face à la colère des salariés d’Air France. Malgré tous les efforts de propagande, impossible pour les journalistes de maintenir la focale sur la chemise. Les salariés d’Air France ont incarné la colère de tout un peuple contre l’injustice des choix financiers. Et cela s’est vu. Fort et loin. Ces derniers jours, les sans-culottes ont repris leur fierté.

C’est la portée de l’événement. Face à la violence feutrée du faux dialogue social, l’explosion de salariés à bout porte un rapport de force inattendu. Un acte isolé ? Certes. Mais ce serait tenter d’en minimiser la portée. Un simple acte isolé n’aurait jamais poussé tous les porte-paroles d’une classe sociale à prendre parti : attaques en règle des chroniqueurs contre les syndicalistes, unes quasi unanimes contre les salariés, censure de responsables politiques de l’autre gauche, ou même syndicalistes qualifiés d’ivrognes. Jusqu’à ce dessin de Plantu, un DRH pendu à l’aile d’un avion.

Il faut rappeler ici que la compagnie aérienne est le premier kiosquier du pays. A elle seule, elle pèse jusqu’à 10% des ventes quotidiennes des journaux. Et si cela ne suffisait pas, la compagnie lançait en même temps que l’annonce de son plan une grande campagne de publicité dans tous les grands médias français. Des centaines de milliers d’euros ont donc arrosé la presse française peu de temps avant l’annonce des licenciements. Un hasard ? Les médias dominants ont en tout cas répondu au diapason de la direction d’Air France.

Au delà, c’est bien tout l’appareil d’État de l’oligarchie qui, dans la panique, est monté au créneau. Où l’on a vu Valls et les « voyous » au diapason de la « chienlit » de Sarkozy. Mais surtout, c’est l’occasion d’apprendre que le futur DRH de la compagnie aérienne n’est autre que le conseiller social et directeur adjoint du cabinet de Manuel Valls. Nous n’avions plus à pointer que le gouvernement était dans le camp du patronat. L’épisode d’Air France démontre qu’il en est lui même un des principaux acteurs.

L’État actionnaire

Le gouvernement ne défend pas une vision industrielle du pays. Ce sont des financiers et Valls est un actionnaire qui cherche des dividendes contre les salariés, contre les usagers. Voilà des années que les salariés d’Air France font les efforts pour redresser l’entreprise : gel des salaires, augmentation de la productivité, des horaires travaillés, des cadences, etc. C’est essentiel. Oui les salariés payent depuis des années. 15 000 suppressions d’emplois depuis 5 ans. Et aujourd’hui ils devraient se taire alors que la direction propose de liquider une partie de l’activité et 3 000 emplois supplémentaires ?

Surtout, c’est la politique de l’État en la matière qui est mise à nue. D’abord, les 100 millions d’euros de Crédit impôt compétitivité emploi (CICE) versés à l’entreprise serviront donc directement à financer la suppression d’emplois. Ensuite, la situation à Air France, dont il est actionnaire, ne permettant plus le versement de dividendes, le gouvernement compense d’une étrange manière. Actionnaire également d’Aéroport de Paris (ADP), il augmente les taxes aéroportuaires que touche cette entreprise … et c’est Air France qui est la première touchée. Ainsi, lorsqu’ADP est bénéficiaire de 1,6 milliards d’euros en cumulé sur les cinq dernières années, c’est au détriment direct de la situation à Air France. En bon actionnaire, le gouvernement gère son portefeuille d’actions et sa rentabilité financière. Après la privatisation de l’aéroport de Toulouse, celle à venir de Nice et de Lyon (elle est inscrite dans la loi Macron), c’est en réalité celle de Paris qui se prépare. Pour enregistrer une belle vente, le résultat d’ADP est artificiellement gonflé… contre Air France.

C’est encore le gouvernement qui échange des ventes de Rafales au Qatar contre des droits pour Qatar Airways à concurrencer Air France. Où est la fameuse concurrence libre et non faussée quand les compagnies du Golfe sont soutenues à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dollars par leurs pays, lorsque les compagnies « low cost » ne respectent pas le droit social, ne payent pas la TVA, « optimisent » le paiement de l’impôt ? Enfin, notons que le milliard d’euros provisionné pour assurer la suppression des emplois est aussi le montant nécessaire à la modernisation des lignes qu’Air France veut fermer. Entre des avions neufs consommant jusqu’à 20% de carburant en moins et le licenciement des salariés, entre une vision industrielle et une vision financière, la direction de la compagnie et l’État actionnaire ont fait leur choix.

Criminalisation des syndicalistes

La police a donc débarqué chez 6 syndicalistes, lundi 12 octobre à 6 heures du matin pour les interpeller. Déploiement de forces digne du grand banditisme. Risquaient-ils de s’envoler pour un paradis fiscal ? Les Balkany, Guéant ou Cahuzac eux, n’ont pas eu droit au même type de traitement. Voilà comment se construit un traitement de classe. Faire baisser les yeux. Car après le CCE, ce sont des centaines de salariés qui ont manifesté, pacifiquement, à l’appel de 12 organisations syndicales : pilotes, personnels navigants et personnels au sol. C’est cette force que la direction cherche à faire taire. Celle qui conteste les choix industriels catastrophiques de l’entreprise. Et au delà, tous ceux qui pourraient incarner la résistance. Jusqu’à l’absurde quand des syndicalistes sont inquiétés pour avoir dansé sur « Tomber la chemise ».

Couvrir les siens, écraser les autres. Les événements d’Air France permettent aussi le constat implacable qu’un système à la dérive crée les conditions d’une puissante contestation. Ils tentent de nous faire intérioriser notre faiblesse alors que la démonstration est désormais faite que notre force les fait paniquer bien plus vite que nous ne voulions l’imaginer.

Sans-culottes : 1. Sans-chemises : 0.

Mathieu Agostini, Secrétaire National du Parti de Gauche aux transports et à l’aménagement du territoire


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