Intellectuel de gauche et connaissance scientifique

samedi 14 novembre 2015.
 

La pensée unique est un rideau de fumée

par Évariste Sanchez-Palencia, chercheur en mécanique et mathématiques appliquées

Le rôle de l’intellectuel dans la société n’est pas de la conduire, c’est de nous faire comprendre le monde, ses possibilités, ses enjeux, nos capacités, c’est de nous rendre responsables, en connaissance de cause. De nos jours, la tâche est immense, car le monde évolue vite  ; on pare au plus pressé avec une pseudo-pensée de la description superficielle, de l’acceptation de l’évidence  ; or, les progrès se sont toujours faits contre des évidences. La pensée unique est un rideau de fumée. On est pressé, on arrive à peine à être informé de ce qui est en train de changer, ce dont on a besoin pour pouvoir continuer notre course à la vie… On ne songe pas à comprendre, tellement c’est compliqué… Et, du coup, on nous trompe, on nous sépare les uns des autres, on nous fait croire que chacun est libre et isolé devant des lois impitoyables qui nous obligent à lutter les uns contre les autres pour faire partie des gagnants. Gagner ou périr, en sport, à la Bourse… aurait-on oublié quelque chose dans cette course effrénée  ? Tout compte fait, lorsque vous jouez avec un enfant, jouez-vous pour gagner  ? Ces lois impitoyables sont-elles des lois ou des mirages  ? Il faudrait arriver à voir plus clair avant d’accepter que des décisions politiques soient prises sur la base de ces mirages.

Que pensez-vous de la semaine de trente heures  ? Êtes-vous pour ou contre  ? Cette question n’a de sens que dans un contexte précis et dans une perspective historique ou évolutive. Si nous ne travaillons que trente heures et nos concurrents trente-cinq, dans une économie de compétition, nous serons balayés, je suis contre. Mais si nous nous mettons d’accord pour passer tous à trente heures, en produisant moins, mais en ayant du temps pour vivre, je suis pour. Pour être responsable, il faut savoir de quoi on parle, en comprendre les tenants et les aboutissants, ce qui est possible ou impossible, ce qu’on est prêt à donner soi-même et aux autres. Sans cela, la démocratie ne vaut pas grand-chose. C’est, je le crains, le cas de la nôtre.

Depuis ma retraite, je m’investis pour développer la pensée dialectique, surtout dans les sciences et grâce aux sciences, essayant de faire fructifier mes compétences dans un domaine bien plus vaste et ouvert sur la société que la pure production de connaissances. La dialectique est la pensée des processus en évolution, de ce qui est changeant, une pensée de la causalité complexe et de l’interaction, seule permettant de comprendre notre monde et d’offrir une chance de pouvoir le changer.

La vraie nature de la connaissance scientifique est approchée et évolutive, essayant toujours de cerner la nature, ses propriétés et ses modes de transformation. Les sciences avancent (malheureusement, cela arrive parfois qu’elles rétrogradent) à la recherche d’une perfection inatteignable. D’aucuns interprètent cela comme une faiblesse, une incapacité à posséder la vérité (la vérité en soi ou la vérité totale), que certaines croyances prétendent fournir toute prête. Jugez un peu à la lumière de l’histoire  : on peut difficilement contester la progression des connaissances, de l’espérance de vie ou le recul général de la mortalité infantile. Accepteriez-vous, si cela était possible, d’être téléporté six ou huit siècles en arrière, à une époque où ces croyances étaient déjà toutes prêtes  ?


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message