Engagement russe en Syrie... Pourquoi ? Vers quoi ?

vendredi 13 novembre 2015.
 

B) Derrière le retour en force de Moscou sur le terrain syrien

La spectaculaire entrée en scène de la Russie en Syrie contre Daech pour parer aux risques d’écroulement du régime Assad, illustre à la fois une volonté de rééquilibrage avec l’Occident 
et un souci de se prémunir d’un islamisme, menace pour l’Asie centrale et le Caucase.

Depuis le 30 septembre, les forces aériennes russes bombardent l’« État islamique » « (EI) » en Syrie. Au total, près de 700 vols en Syrie ont été effectués avec plus de 500 frappes. «  La décision du président russe Vladimir Poutine répond à la demande du président syrien Bachar Al Assad. Les frappes aériennes ciblent les sites militaires, les centres de communication, les transports, ainsi que les stocks d’armes, de munitions et de combustible appartenant à l’“EI”  », explique les autorités russes. Pour Isabelle Facon, maître de conférences à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS)  : «  La Russie a pris la décision de venir en aide aux autorités syriennes pour éviter tout changement de régime sous pression occidentale comme on a pu le voir en Irak et en Libye. L’autre raison de son engagement est la lutte contre les islamistes qui passe par un État fort et empêcher sa dissolution.  » Sur le terrain, la coalition internationale, qui intervient depuis plus d’un an, n’a pas inversé le rapport de force et l’avancé de l’«  EI  ». Devant ce constat, la Russie a considéré qu’il y avait «  un véritable risque d’effondrement des forces de Bachar Al Assad.  » Une analyse partagée par les services de renseignements français. La Russie est intervenue pour «  sauver la “Syrie utile”, notamment alaouite, qui va de Lattaquié jusqu’à Damas et donner un coup d’arrêt aux troupes de l’“EI”, de l’armée syrienne libre ou d’al-Nosra  », constate Philippe Migault, directeur de recherche à l’Iris.

Un retour de la Russie sur le devant 
de la scène internationale

Cette décision marque un véritable tournant de la politique internationale russe. Car la dernière intervention extérieure de la Russie remonte à l’époque de l’Union soviétique, en 1979, pour soutenir le régime du dirigeant communiste, Babrak Karmal, en Afghanistan. La Russie confirme ainsi un retour sur le devant de la scène internationale. À la tribune de l’ONU, le discours du président Vladimir Poutine, le 28 septembre, pointe la nécessité de respecter la légitimité des autorités étatiques, le cadre onusien et dénonce les interventions occidentales  : «  Personne ne doit adopter un seul modèle de développement (...) Nous savons tous qu’à la fin de la guerre froide, il n’y a plus eu qu’un centre de domination. Nous devons aider la Libye, l’Irak et les autorités légitimes en Syrie  » avant d’avertir «  j’ai le plus grand respect pour mes homologues américain et français mais ils ne sont pas des ressortissants syriens et ne doivent donc pas être impliqués dans le choix des dirigeants d’un autre pays  ». Le locataire du Kremlin a relevé les grandes lignes d’une nouvelle diplomatie russe, présentée dès 2007 lors de la 43e conférence sur la sécurité de Munich (élargissement de l’Otan, réforme de l’ONU, respect du droit international…). La Syrie, comme la Géorgie dès 2008, marque la volonté de ne plus laisser les États-Unis, l’Europe et l’Otan décider de la marche du monde et des interventions. «  L’objectif de Vladimir Poutine est de remettre les autorités syriennes au centre du jeu, quitte ensuite à lâcher Bachar Al Assad lors d’une recomposition du pouvoir à Damas. Mais cette recomposition doit se faire dans un cadre international où les Russes ont leur mot à dire  », explique Isabelle Facon.

«  Poutine peut s’imposer comme une alternative face aux grandes puissances euro-atlantistes  »

Cette opération militaire permet à la Russie de s’affirmer comme un nouvel acteur au Moyen-Orient et de restaurer son statut de grande puissance. «  Dans la région, Vladimir Poutine a clairement une carte à jouer et peut s’imposer comme une alternative face aux grandes puissances euro-atlantistes. Car les dernières interventions “occidentales” en Irak, en Afghanistan et en Libye ont plongé la région dans une crise profonde et durable  », reconnaît Igor Delanoë directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe. La Russie a permis la signature d’un certain nombre d’accords comme sur le nucléaire iranien, ou avec la conférence de Genève sur la Syrie, qui en fait un acteur incontournable dans le règlement des crises internationales. Pour Philippe Migault, sa politique internationale se singularise de l’Europe car «  elle reste la seule puissance européenne qui entend mener la politique étrangère qu’exigent ses intérêts sans se soucier de celle des États-Unis  ». L’ex-ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepi, lui, insiste  : «  Sans la Russie, il n’y a pas de ­règlement possible des crises. L’accord sur la non-prolifération avec l’Iran en a été la preuve ainsi que l’enquête sur l’utilisation d’armes chimiques en Syrie à l’été 2013.  » Et il poursuit  : «  Le monde pourrait bien se briser en deux blocs, l’un occidental, dictant ses normes sans toujours les respecter, l’autre oriental, chinois autant que russe, refusant les monopoles exercés par l’Occident en matière monétaire, financière, technologique.  » L’intervention en Syrie sert à démontrer le retour d’une puissance militaire russe. «  L’état des forces des armées russes s’est amélioré depuis la guerre de Géorgie, en 2008. Elles bénéficient d’un plan de modernisation extrêmement ambitieux, de vingt-trois mille milliards de roubles, qui court jusqu’en 2020 et prévoit un renouvellement de 70 % des matériels  », rappelle Isabelle Facon. Ce modèle diplomatique sert aussi son président qui, avec le discours sur la grandeur, réussit à séduire son opinion publique. 80 % des Russes soutiennent Vladimir Poutine… L’autre raison, qui pousse les autorités russes à intervenir dans la région, est la «  lutte contre le terrorisme  ». Le danger est réel pour la Russie, qui craint de voir les divers conflits remontés jusque dans son étranger proche en Asie centrale et dans le Caucase, puis dans ses propres Républiques  : Ingouchie, Daguestan, Ossétie… Les menaces de l’Arabie saoudite, qui a prévenu que l’intervention militaire russe aura de «  dangereuses conséquences  », et al-Qaida en Syrie, qui a appelé les djihadistes à «  tuer  » des Russes, inquiètent.

De plus, les affrontements dans le nord de l’Afghanistan, sont de plus en plus réguliers depuis 2013, avec l’arrivée de combattants étrangers aux côtés des talibans pakistanais du TTP (Tehrik-e-Taliban Pakistan)  : ­Ouzbeks, Tadjiks, Kazakhs, Ouïgours, Turkmènes, Arabes et Tchétchènes. Le glissement vers une guerre islamiste embrasant l’Asie centrale, le Caucase ou une de ses parties est un scénario qui inquiète la Russie et la Chine. D’où la présence de la plus importante base russe à l’étranger  : la 201e et ses 6 00 soldats, au Tadjikistan, près de la frontière avec l’Afghanistan, où Moscou entend se prémunir de toute résurgence potentielle du mouvement taliban.

Vadim Kamenka, Mardi, 20 Octobre, 2015, L’Humanité

A) L’opération militaire russe en Syrie n’est pas limitée dans le temps

Les sources diplomatiques russes assurent que l’opération militaire en Syrie n’est pas limitée dans le temps et qu’elle ne s’arrêtera que lorsque les objectifs seront atteints.

Bien que le terrain syrien reste la véritable balance des rapports de force, le processus politique est bel et bien entamé. Des sources diplomatiques russes révèlent ainsi que si le principal objectif de l’intervention russe en Syrie est la lutte contre le terrorisme, le second est de relancer l’opération politique pour assurer la stabilité de la Syrie, laquelle est importante non seulement pour la région, mais aussi pour la Russie elle-même. Avec l’extension de l’Otan vers la Pologne et son implantation en Turquie, et avec la menace islamiste grandissante dans les républiques musulmanes qui entourent la Russie, Moscou commençait à se sentir encerclé. La Russie ne pouvait donc en aucun cas accepter que la Syrie tombe entre les mains des islamistes de Daech et de leurs parrains. D’une part, parce que donner aux takfiristes un État à la position aussi stratégique que celle de la Syrie, avec une extension en Irak, constituerait une menace directe pour la sécurité russe et, d’autre part, parce que cela représenterait un coup terrible pour son économie avec la possibilité de faire passer le gaz du Qatar vers l’Europe, via la Syrie et la Turquie, concurrençant ainsi le gaz russe. Pour ces raisons, et face à la lenteur de l’action de la coalition menée par les Américains, qui en plus d’un an n’a pas réussi à arrêter la progression de l’État islamique, la Russie estime avoir été contrainte d’agir directement.

Les sources diplomatiques russes assurent que l’opération militaire en Syrie n’est pas limitée dans le temps et qu’elle ne s’arrêtera que lorsque les objectifs seront atteints. La logique exige de commencer par fermer les robinets qui alimentent les groupes terroristes. C’est pourquoi le gros des bombardements se concentre sur les zones proches de la Turquie puisque c’est principalement de cette frontière qu’arrivent les combattants de Daech. On ne peut pas encore parler de percée décisive, mais les combats se poursuivent et, selon les sources diplomatiques russes, il faut attendre jusqu’au début de l’année pour commencer à sentir les effets de cette intervention militaire.

C’est pourquoi d’ailleurs les Russes souhaitent relancer le processus politique pour qu’il puisse accompagner les développements sur le terrain. C’est dans ce contexte que le président syrien Bachar el-Assad a été invité à Moscou, et dûment filmé pour que le message soit clair aux yeux du monde entier, pour discuter du processus politique. Les informations en provenance du Kremlin font état d’un grand progrès dans ce domaine, notamment sur le plan de l’acceptation du président syrien du principe des élections anticipées législatives et présidentielle. En même temps, il aurait aussi accepté l’idée d’un gouvernement de transition, qui aurait une partie des prérogatives présidentielles et qui serait formé de représentants du régime, mais aussi de l’opposition, selon un partage confessionnel et communautaire. Ce qui jusqu’à présent constituait un problème, à savoir l’identité des parties de l’opposition qui seraient intégrées au gouvernement, a été plus ou moins résolu puisque, pour la première fois, le président syrien a accepté l’idée d’une participation de l’Armée syrienne libre en tant qu’opposition militaire modérée, à condition qu’elle se rallie à la guerre contre le terrorisme.

Selon les sources diplomatiques russes, il s’agit d’un important développement, dans la mesure où l’identification des parties de l’opposition qui devraient devenir des partenaires dans le cadre du dialogue a jusqu’à présent posé un problème. À partir de là, le processus est donc enclenché, et des réunions de coordination entre des représentants russes et d’autres de l’opposition syrienne sont en train de se tenir à Vienne, mais aussi à Mascate, à Oman, et à Abou Dhabi, dans les Émirats arabes unis. Selon ces mêmes sources, la Russie n’a pas pris la place des États-Unis, elle a simplement occupé un espace vide depuis que Washington a montré qu’il n’avait pas de stratégie précise dans la région et qu’il ne veut plus s’investir au Moyen-Orient depuis la guerre de l’Irak en 2003. Ce n’est toutefois qu’une fois que le dialogue sera déclenché et commencera à porter sur un nouveau partage des pouvoirs et sur les modalités du processus politique que l’on pourra envisager la conclusion d’un véritable cessez-le-feu. En attendant, les combats se poursuivent sur plusieurs fronts, alors que sur d’autres, il y a des tentatives pour conclure des accords partiels. C’est le cas notamment dans la région de Zabadani, mais comme la confiance entre les protagonistes est nulle, le processus connaît sans cesse des reports, sans toutefois que l’idée soit abandonnée.

L’engagement russe en Syrie est donc appelé à durer, et il est totalement différent de celui de pure forme des États-Unis et de la coalition qu’ils dirigent. Enfin, s’il se vérifie que le crash de l’avion russe au Sinaï est effectivement un acte terroriste, cela ne fera que conforter le Kremlin dans sa décision de déclarer la guerre au terrorisme, précisent les sources diplomatiques précitées.

Source de l’article A : http://www.lorientlejour.com/


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