Après les attentats à Paris du 13 novembre : la justice, pas « l’état de guerre » (Roger Martelli)

mardi 24 novembre 2015.
 

L’horreur des massacres nourrit l’univers de la guerre. Or, couplée à la peur, l’obsession de la guerre mine un peu plus la démocratie. Ne rien faire face à la barbarie est impensable. Glisser vers l’état de guerre et le choc des civilisations est une folie. Que faire, donc ?

La justice, pas « l’état de guerre »

Le phénomène Daesh ne relève pas d’une rationalité classique. Il n’est pas à proprement parler le fruit des politiques occidentales, pas plus que le nazisme de l’entre-deux-guerres n’était le résultat du traité de Versailles qui humilia l’Allemagne meurtrie. Mais si le fanatisme religieux a ses logiques internes, ses capacités d’expansion ne sont pas sans rapport avec une conjoncture. Or force est de constater que, pour des millions de personnes au Proche et Moyen-Orient, la politique occidentale provoque un ressentiment que les exaltés meurtriers de Daesh ou d’Al-Qaïda utilisent pour étendre leur emprise en la légitimant.

« L’état de guerre »

Si le combat contre l’horreur prend nécessairement une dimension violente, elle ne doit donc pas se structurer en état de guerre : parce que « l’État » islamique n’en est pas un ; parce que la guerre ne porte en rien de solution à ce qui crée le désordre d’une région et celle du monde ; parce que la guerre risque de ne faire rien d’autre que de nourrir la spirale d’un conflit sans issue. Installer un peu plus la notion de guerre n’est pas opportun. Et que dire de la volonté, au nom d’une « guerre d’un autre type », de constitutionnaliser « l’état de crise » pour en faire un pivot du « régime politique » ? C’est inefficace en terme de sûreté publique et c’est mettre le doigt dans un engrenage où la République pourrait bien à terme se trouver broyée.

À quoi bon ? En octobre 2001, le Patriot Act aux États-Unis a imposé les notions « d’état de guerre », de « guerre contre le terrorisme », de « guerre globale contre la terreur ». Elles ont justifié la méfiance généralisée, les restrictions des libertés et les interventions extérieures. Elles n’ont pas atteint leur objectif fondamental : Ben Laden, l’ancien ami des États-Unis, a été éliminé, mais Al-Qaida n’a pas disparu et Daesh a pris la relève.

La logique américaine s’inscrit elle-même dans une évolution plus longue qui se caractérise, entre autres, par deux traits. Le premier est idéologico-culturel : il se condense dans la conviction que la lutte des classes a laissé la place à la « guerre des civilisations », ces civilisations dont Samuel Huntington nous expliqua, en 1993, qu’elles ont à leur base un référent religieux – aujourd’hui, l’Islam contre l’Occident chrétien. Le second trait est stratégico-diplomatique : l’extinction de la guerre froide n’a pas ouvert la voie à la régulation par l’ONU (comme on le croyait au tout début des années 1990) mais au retour du grand jeu des puissances. Le désordre du monde est régulé aujourd’hui par le marché et la concurrence sur le plan économique, par la gouvernance sur le plan institutionnel et par l’équilibre des puissances sur le plan diplomatique. Or ce triumvirat, dans un contexte de mondialisation financière, est la source d’inégalités croissantes, de déséquilibres territoriaux et d’un ressentiment violent du côté des dominés et des exclus.

Le problème qui se pose à nous est que la France officielle a progressivement assimilé ces évolutions et n’aspire qu’à en recueillir les fruits. La diplomatie française a intégré la dimension de « guerre des civilisations » (Manuel Valls vient significativement de reprendre l’expression telle quelle à son compte). Elle a fait de l’atlantisme et de l’intégration dans l’Otan la base de sa politique de défense. Elle a choisi de donner à la France le rôle de force d’appoint dans l’institution d’une sorte de gendarme atlantique interventionniste. Elle n’a pas pris le parti de la Palestine. Elle a boudé les efforts de Barack Obama pour parvenir à un accord avec l’Iran. En bref, à rebours des « politiques arabes » d’hier et de la volonté d’arbitrage, la France a choisi la philosophie de la Realpolitik.

La base de fait de la politique française semble être ce que l’on appelle le « paradigme réaliste », dont les États-Unis ont fait naguère leur pivot et dont un politologue conservateur américain, Hans Morgenthau, a donné la définition, au début de la guerre froide. « La société en général, écrivait-il, est gouvernée par des lois objectives qui ont leur racine dans la nature humaine [autour] d’instincts biopsychologiques élémentaires tels que l’instinct de vie, de reproduction et de domination. […] La politique internationale, comme toute politique, est une lutte pour la puissance. »

La responsabilité de la France

L’élimination de la violence fanatique relève d’un long combat, où la dimension militaire n’est qu’un volet d’un effort dont la logique ne peut se construire qu’autour de deux valeurs : justice et démocratie. Pour ce qui est de la France, s’engager dans cette voie suppose une rupture radicale dans l’engagement international de la France. Cette rupture pourrait se mener sur trois axes principaux.

La France doit tout d’abord rompre avec la logique de la « guerre des civilisations » et avec son corrélat atlantiste. Elle doit à nouveau se désengager de l’Otan et agir pour que la concertation des efforts européens de défense se fasse à l’écart de tout dispositif « atlantique ». À l’échelle internationale, la philosophie du désarmement et la réduction des dépenses militaires sont restées lettres mortes. Or ces objectifs contribueraient à desserrer l’étau de la violence et à dégager des « dividendes de paix » si utiles pour colmater les brèches béantes d’un développement humain économe en ressources. En se dégageant de l’Otan, la France peut devenir ou redevenir une force de paix et non une puissance comme les autres.

En second lieu, l’effacement de l’ONU fait partie des vecteurs majeurs du déséquilibre mondial. Une part du problème actuel tient à ce que l’exercice limité de la force, quand il s’avère nécessaire, ne dispose pas de la légitimité que seule une organisation internationale peut lui donner. La France devrait donc agir, avec une détermination et une constance maximales, pour que l’ONU retrouve sa place et son poids dans l’arène internationale, ce qui suppose qu’elle soit restructurée en profondeur. Revalorisation et refonte de l’ONU devraient en effet se penser et se construire ensemble. Inclure la participation élargie des ONG et des mouvements sociaux pérennes à toutes les instances internationales, y compris économiques, est une attente. Revaloriser les instances de représentation des populations, dans un esprit de subsidiarité et non de hiérarchie des institutions, est une médiation. Dans l’immédiat, la France devrait intervenir systématiquement pour que l’organisation internationale puise enfin être au premier rang dans le retour à l’équilibre au Proche et Moyen-Orient, dans l’affirmation d’un État palestinien, dans la recherche systématique de solutions négociées, dans le règlement des conflits régionaux sur la base des droits des individus et des peuples. Nous en sommes loin pour l’instant.

Enfin, tout cela n’a de portée véritable que si la « communauté internationale » s’astreint à un changement de ses finalités. Contrairement à ce que réclament depuis longtemps des ONG et des organismes internationaux, la croissance des indicateurs marchands prime toujours sur un développement des capacités humaines économe en ressources. Or le plus raisonnable serait de subordonner le premier terme à la réalisation du second. À cet effet, les organismes financiers et bancaires devraient, dans toute architecture institutionnelle, occuper désormais une place seconde. Leurs missions et leurs structures devraient être réorientées en conséquence, et cela dans les plus brefs délais.

En outre, dans l’accélération de la spirale inégalitaire depuis plus de trente ans, la dérégulation et la privatisation de tout l’espace social sont des facteurs déterminants, au nom de l’impératif de propriété. Il serait utile que cette tendance soit contredite. La France de l’esprit public, celle des droits de l’homme élargis, des Constitutions de 1793, 1848 et 1946, pourrait porter dans l’arène internationale l’idée que la régulation par les droits et le service public devraient l’emporter sur les impératifs de la concurrence. Ce serait un apport efficace pour que les recommandations des organismes onusiens et des ONG en faveur de l’égalité ne restent pas des vœux pieux, ce qui attise la frustration et le ressentiment des démunis.

Notre propre responsabilité

Telles sont les pistes d’une logique publique qui n’est pas aujourd’hui celle de la France. Que l’on réponde au besoin de protection des populations, que l’on améliore l’efficacité de dispositifs existants, peuvent être des exigences reconnues. Mais voilà des années, depuis en fait la loi sur la sécurité quotidienne de novembre 2001, que l’arsenal législatif est transformé dans le sens d’une plus grande rigueur. Et cela fait bien longtemps que les mesures de protection contre le terrorisme existent sur le territoire national. Tout cela a montré une bien faible efficacité et ce n’est pas en poussant encore plus loin l’extension infinie des dispositifs en cours que l’on parviendra à davantage de sécurité. En réalité, le sécuritaire risque d’être bien plus efficace pour réduire l’espace des libertés que pour anéantir celui du terrorisme.

Retrouver les voies d’une puissance publique efficace, hors de toute obsession sécuritaire, est ainsi une nécessité. Toutefois, à toutes les échelles de territoire sans exception, cet objectif est impensable sans mobilisation citoyenne pour l’impulser, le canaliser, l’évaluer et l’infléchir quand le besoin s’en fait sentir. Ainsi, la « communauté internationale » n’est aujourd’hui rien d’autre que le jeu combiné des logiques économiques libérales et des rapports de puissance. Des forces existent pourtant qui pourraient peser dans le sens d’une réorientation radicale des finalités et des méthodes de l’action planétaire. Des États cherchent à s’émanciper des règles drastiques édictées par les grands organismes financiers et les multinationales. Dans chaque pays, des associations et mouvements divers essaient d’esquisser une logique du commun contre les normes dominantes de la propriété et du pouvoir. Des ONG et des organismes internationaux attachés aux normes de sobriété et de développement humain se confrontent aux structures attachées aux logiques concurrentielles et à la gouvernance. Enfin, malgré ses difficultés, l’altermondialisme reste un lieu de concertation et d’élaboration pour penser des alternatives globales.

Le problème est que ces quatre pivots possibles d’une relance ne parviennent pas encore à se coordonner. Sans cela, la maîtrise globale des institutions et du droit reste entre les mains de ceux qui contrôlent richesses, savoirs et pouvoirs. Dès lors, toute avancée partielle peut se trouver récupérée et contredite à terme. S’il est une urgence, elle n’est pas de savoir laquelle de ces composantes alternatives doit jouer un rôle organisateur, mais comment permettre que convergent sciemment les efforts des uns et des autres pour faire mouvement. Ce serait l’honneur d’une politique refondée que de rendre possible cette convergence, contre tous les « réalismes » qui poussent à la guerre.

Roger Martelli , 17 novembre 2015

Se sortir de la guerre (14 novembre 2015)

Comment échapper à la logique qui a conduit aux tueries d’hier soir à Paris, quand celles-ci l’alimentent, comment lui substituer un sursaut civique pour enrayer la spirale d’une guerre qui nous atteint aujourd’hui de plein fouet ?

Un pays abasourdi par un déchainement de violence inouïe… La sidération devant l’horreur d’un massacre inédit chez nous, depuis bien longtemps… Ce qui, depuis si longtemps et la plupart du temps dans l’indifférence, est le lot récurrent de nombreux pays d’Afrique et d’Asie envahit notre horizon. Ni Karachi, ni Bombay, ni Bagdad, ni Mogadiscio, ni Ankara, mais Paris. La France découvre que la guerre avec « zéro mort » n’existe pas. Le problème des guerres modernes est que l’on ne sait jamais trop bien quand elles s’arrêtent et que l’on ne sait pas vraiment s’il peut y avoir un vainqueur et un vaincu.

L’état de guerre

Au début septembre, le gouvernement français décidait de s’engager dans la voie des frappes aériennes contre l’État islamique. Deux raisons ont été alors données : « C’est Daech qui fait fuir, par les massacres qu’il commet, des milliers de familles », et « c’est depuis la Syrie, nous en avons la preuve, que sont organisées des attaques contre plusieurs pays, et notamment le nôtre ». La tuerie d’hier soir se présente comme une réponse barbare à cet engagement.

Pour une part, nous restons dans une logique qui, depuis au moins septembre 2001, est celle du monde occidental. À partir des attentats du World Trade Center, la notion dominante a été en effet, partout, celle de la « guerre contre le terrorisme ». Lancée à l’époque par l’administration Bush, elle est devenue une option internationale qui comprend deux volets indissociables. En effet, deux dimensions accompagnent ce choix : celle, proprement militaire, des frappes dites « ciblées » et celle de la prévention et du contrôle. Cette dernière passe par l’extension des activités de renseignement et, s’il le faut, par une législation qui vise à frapper par avance les terroristes potentiels.

« Nous avons une guerre à mener », déclarait Manuel Valls au lendemain de la tuerie de janvier dernier. « La guerre a été déclarée à la France, à ses institutions », surenchérissait Nicolas Sarkozy au même moment. Après d’autres, la France a connu la récente loi sur le renseignement, votée dans la foulée de l’émotion « Charlie » de janvier dernier. Elle a pratiqué les engagements militaires dans sa « zone privilégiée » d’Afrique (intervention au Mali après l’intervention en Libye). Elle étend désormais son action vers le Proche-Orient, en rupture définitive avec la logique prudente exprimée par de Villepin en 2003.

Impuissance des armes technologiques

Au bout du chemin, nous n’avons pas la sécurité promise. Au contraire, nous avons la guerre et « l’État fort ». Gauche et droite devraient rivaliser pour savoir qui, dans ce domaine, est le mieux placé pour assumer les responsabilités.

Cette dispute est tout aussi dangereuse qu’inefficace. L’effroyable bilan d’une nuit sanglante nourrit certes, nécessairement, le désir d’un châtiment exemplaire. Il nous renvoie à des périodes noires de notre histoire, que nous pensions avoir réussi à conjurer. Le légitime désir de punir les coupables ne doit pourtant pas faire oublier quelques idées simples.

La logique de la guerre, tout d’abord, a perdu de son efficacité. La guerre moderne n’est plus celle du passé et, en fait, elle est de plus en plus improbable. D’un côté s’affirme une technologie sûre d’elle-même et ultra-coûteuse qui agit à distance en couplant l’observation satellitaire et l’impunité du drone ; de l’autre côté se structure une combinaison surprenante mêlant la haute technologie informatique de la transmission et la rusticité d’un armement d’autant plus imprévisible et indétectable qu’il est constitué d’armes d’ancienne génération, théoriquement en voie d’obsolescence.

Depuis plus de trente ans, la surenchère technologique a montré son inefficacité. La sophistication des armes reste impuissante. L’extension de la surveillance informe de la possibilité du pire ; manifestement elle n’en empêche pas la réalisation, quand la rusticité des moyens sert de support à la barbarie.

Menace sur les libertés

Le second risque touche à nos libertés. Rien ne sert de se cacher que, brutalement ou insidieusement, volontairement ou non, l’état de guerre conduit à l’état d’exception, fût-il légitimé au départ par l’état d’urgence.

Dans un moment de compréhensible trouble national, mieux vaudrait ne pas oublier que nous sommes, depuis quelque temps, dans un engrenage dangereux qui fait que le vocabulaire et les méthodes de la guerre tendent à se recouper de plus en plus avec ceux de la justice. La « dangerosité » est le concept clé, le « profilage » la méthode de prévention par excellence, la « mesure de sûreté » le critérium de la peine, au détriment de la culpabilité. Armée, police, justice ne traquent ni ne punissent plus les coupables, mais neutralisent les criminels en puissance.

Ainsi se structure le long cheminement judiciaire et policier qui, en un siècle, fait passer du criminel « responsable » au criminel « né », puis au criminel « potentiel ». Individus à risque, populations à risque, que l’on trace, contrôle, parque et isole… Alors, ce qui relève de l’exceptionnel éventuellement nécessaire (toute situation exceptionnelle exige théoriquement des actes exceptionnels) se transforme de facto en état d’exception. Et quand le second terme tend à dominer, comment empêcher, quelles que soient les volontés affichées, que l’exceptionnel de la mesure particulière nourrisse l’exception de la norme elle-même ?

La présomption fondée sur l’observation des comportements et des habitudes suffit à définir le suspect. L’impératif de prévention, ensuite, autorise son élimination, sans délibération ni confrontation. Le mythe de la sécurité totale repose sur l’illusion de la prédictibilité absolue ; il porte en lui la relativisation maximale de l’État de droit. L’« état de guerre » et la « tolérance zéro » se conjuguent pour faire du contrôle l’alpha et l’oméga de l’aspiration sécuritaire. L’état d’exception est la nouvelle norme, et la suspicion généralisée tend à fonctionner, de plus en plus, comme un principe d’organisation du social.

Jamais n’a paru aussi moderne la phrase de Benjamin Franklin prononcée en 1775 et reprise par le troisième président des États-Unis, Thomas Jefferson : « Ceux qui sont prêts à sacrifier une liberté fondamentale pour une petite sécurité temporaire ne méritent ni l’une ni l’autre et finissent par perdre les deux. »

Combattre le mal ou éradiquer ses causes

La logique de guerre est techniquement discutable : aucune guerre depuis plus de trente ans n’a connu de solution définitive et imposé durablement la paix. Elle est démocratiquement dangereuse. Enfin – et c’est le troisième risque – elle est inefficace, car elle contourne la question des causes structurelles du désordre du monde.

Diplomatiquement, le choix semble simple. Dans un univers de « guerre des civilisations », la France doit choisir l’engagement le plus conséquent possible dans le bloc occidental. La France a perdu son dynamisme politique face à l’Allemagne ; il lui reste sa force de frappe militaire. L’État ne peut plus agir sur l’économie ; il lui reste l’exercice de sa fonction régalienne.

Or le choix officiel repose sur l’oubli des causes structurelles profondes de la déstabilisation de nombreuses régions du globe, notamment en Afrique et au Proche-Orient. Cantonner les pauvres ou éliminer la pauvreté ? Qu’on le veuille ou non, c’est toujours la même question qui revient. Des organismes comme le Programme des Nations unies pour le développement expliquent depuis quelques décennies que les carences gigantesques en termes de développement humain et la polarisation persistante des ressources sont les bases mêmes de l’insécurité. Qu’en a-t-on fait ? Rien. Au début du XXIe siècle, on a défini avec tambours et trompettes de grands objectifs pour le Millénaire. Pour la plupart, ils ne sont pas atteints à ce jour.

La guerre contre la malnutrition et la faim, contre les maladies de masse, contre la face noire de l’urbanisation métropolitaine, contre les discriminations, contre le gouffre des inégalités, contre la dégradation environnementale, qui affecte avant tout les pauvres, contre toutes les fractures technologiques, contre les trafics d’armes entretenus par les pays riches, contre les paradis fiscaux qui distraient des sommes colossales dont le développement humain aurait besoin… ? Non : la guerre contre le terrorisme. L’Occident enfante et arme Ben Laden pour en faire ensuite le symbole du Mal – et faire oublier que le terreau dudit Mal n’est rien d’autre que cet écheveau de « maux » bien concrets qui nous tissent un monde invivable. On attribue à Goethe une phrase, datée de 1793, qui a fait l’objet de bien des dissertations : « J’aime mieux commettre une injustice que tolérer un désordre. » Phrase désormais sans objet : nous avons à la fois l’injustice et le désordre.

Répondre par la justice et l’égalité

Les inégalités et le ressentiment qui en découlent étant inexorables, il n’y aurait pas d’autre solution que d’en maîtriser les effets par l’usage d’une force technologique supérieure et d’une combativité nourrie par le sentiment populaire du danger. Peu importe alors la caractérisation même dudit danger : défense des droits de l’homme, défense des valeurs libérales de l’Occident, défense des racines chrétiennes ou, plus simplement, désir de « rester maître chez soi ».

Or cette logique est désastreuse à plus d’un titre. Sur le plan international, elle ajoute du ressentiment à de la frustration, elle produit davantage de désordre que d’ordre. Culturellement, elle tourne le dos à la tradition pacifiste d’une gauche qui sait, depuis Jaurès, que le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l’orage. La logique guerrière est censée installer François Hollande en grand homme d’État. En réalité, elle légitime la droite, dans sa variante la plus radicale, et, au contraire, elle désarme la gauche.

Si logique il y a, il faut la combattre, la défaire et lui substituer une autre logique de développement, une autre conception de l’équilibre social. Face au fanatisme, la réponse n’est pas celle de la guerre mais celle de la justice ; elle n’est pas celle de l’identité à défendre mais de l’égalité à promouvoir. Partout et dans tous les domaines.

Le drame doit nous conduire au sursaut civique. Il ne doit pas nous précipiter dans un engrenage sans issue.

Roger Martelli , 14 novembre 2015


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