L’amour de l’autre, ce funambule (lettre ouverte pour la Génération Bataclan)

mercredi 25 novembre 2015.
 

"Je m’adresse ici à tout ce qu’il reste d’humain parmi l’horreur. Les faiseurs de peine, ces artificiers de la peur, ont voulu nous diviser. Alors je nous exhorte, 66 millions de Français et 7 milliards de citoyens du Monde, à nous associer tous ensemble pour ne pas oublier que les victimes, ainsi que les héros, du vendredi 13 sont morts ou blessés à notre place, parce qu’ils incarnaient une capitale de la joie et de l’amour. Des hommes et des femmes de dix-neuf nationalités ont payé de leur vie cette outrageuse offense qu’ils ont faite à l’humanité, cette indécente volonté de se rendre en terrasse pour profiter de la vie autour d’un verre. On ne leur aura pas laissé suffisamment de temps pour le faire. Ils fêtaient un anniversaire, se retrouvaient entre amis, voulaient chanter et danser jusqu’au bout de la nuit, avaient traversé la France pour deux heures de rock ou passaient devant un stade … Tout ça un vendredi soir.

*** « Ils ont voulu notre silence, ils n’auront eu qu’une minute », pouvait-on lire sur plusieurs pancartes en carton brandies le lundi 16 novembre 2015 parmi la foule, le lundi 16 novembre à 12h00. ***

Au frère Brahim Abdeslam, à Bilal Hadfi devant le Stade de France, à Omar Ismaïl Mostefaï et Samy Amimour au Bataclan, à votre « cerveau » Abdelhamid Abaaoud, à la voix du désastre Olivier Clain, à la lâcheté d’un fuyard Salah Abdeslam, à tous ceux que l’on n’a pas encore identifié, et à tous les autres à venir. Nous sommes 66 millions de Français à vous dire notre détermination. Notre détermination à ne pas avoir peur de vos exactions et de votre barbarie. Notre détermination à pointer du doigt vos « valeurs », qui n’en sont pas. Notre détermination à nous rappeler que huit – ou neuf – hommes de guerre n’y auront (presque) pas survécu. Vous êtes tout ce que l’humanité a fait de pire, vous êtes le paroxysme de la cruauté, soldats du néant. Vous, qui voulez mourir en martyrs, sachez que vous n’emporterez rien d’autre avec vous que la détestation et la haine. Ce n’est pas à coups de bombes que l’on détruit une République, ce n’est pas avec une arme que l’on fait taire le Monde.

A chaque instant qu’il nous sera donné de vivre, à tout âge et à toute heure de la vie, nous continuerons à sortir dans la rue, sourire aux lèvres, à boire en terrasse, des bières bien fraîches, à danser de concert, dans des salles de spectacle. Nous continuerons à aller au stade, en nous revendiquant de la Génération Bataclan.

*** Pour fuir la terreur et échapper à la mort, parce que nous ne sommes pas les seules victimes. ***

J’en appelle à l’intelligence et au discernement de ceux qui doivent apporter une solution durable à un problème déjà enraciné. Cessez donc de vous battre pour une région, car cette semaine, c’est le Monde qui souffre. Mettez vos ambitions de côté, humbles et dignes représentants d’un pays meurtri, et partez plutôt en campagne contre la barbarie et l’ignominie qui se trimballent dans nos rues.

A tous ceux qui voudraient désigner les immigrés comme responsables d’une situation dont ils ne le sont pas, et qui fonde même les raisons de leur départ vers une mort certaine : rappelez-vous que les événements du vendredi 13 novembre 2015 sont le lot du quotidien trop chargé de ces centaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’échouent sur les côtes européennes. Les événements tragiques de Paris qui suscitent la compassion internationale, ont été perpétrés plusieurs dizaines de fois dans des quartiers populaires du Liban, à l’échelle de villages africains tout entiers, ou encore au sein des « frontières » autoproclamées d’Abou bakr el-Badghdadi. Ceux que nous appelons « les migrants » et qui sont avant tout des hommes, comme vous et moi, des hommes, des femmes et des enfants qui ont souffert trop longtemps pour accepter d’y rester, des hommes, des femmes et des enfants qui y ont assisté à leur façon, jour après jour, en apprenant à vivre avec la peur, au milieu des tirs et des explosions, ces hommes, ces femmes et ces enfants se sont battus toute une vie pour offrir à leur famille le ticket d’un voyage unique. Mais à quel prix, et vers quelle destination … Ces bateaux de misère bondés d’êtres humains et d’histoire lourde, naviguent vers une mort certaine. Quand périr en mer est la seule alternative pour échapper au crime et à la torture, comment voulez-vous obliger ces malheureux à souffrir plus longtemps ? Le bruit des bombes et des armes, l’odeur du sang qui coule, le goût amer du crime, les pleurs des mères à qui l’on a ravi des filles devenues esclaves aux côtés de barbares, et qui cherchent encore désespérément le corps d’un mari qu’elles ne reverront jamais, sont tout ce que le quotidien syrien et irakien sont parvenus à leur offrir. Ces bateaux remplis à chavirer, n’ont pas été précipités en mer par l’espoir d’un monde meilleur mais par l’espoir d’un monde moins pire. L’urgence d’accueillir ces hommes et ces femmes ne doit pas être menacée par ces quelques terroristes qui ont ouvert une brèche dans la confiance inébranlable des Européens à faire le bien autour d’eux.

*** « Le problème, ce n’est ni le Coran, ni la Bible, incohérents et mal écris » écrivait Charb quelques jours avant sa mort dans une lettre publiée après son décès le mercredi 7 janvier 2015. ***

Les djihadistes ne se battent pas au nom d’une religion, car la cruauté et la barbarie n’ont pas de Livre, sinon celui des ténèbres. En prêchant un Islam radical et violent, ils fragilisent une communauté pacifiste sur laquelle ils font reposer le poids d’une culpabilité que grand nombre d’imams n’auront jamais souhaitée. La République de partage et de tolérance n’est pas négociable, elle n’est pas un marché économique qu’on fait, défait et refait au rythme des crises. La République est forte, elle tire son essence des valeurs qu’elle défend et ne doit pour aucune raison se laisser manipuler par des barbares en mal d’identité. Ces hommes et ces femmes qui explosent en pleine rue veulent semer le désordre et engendrer le chaos. L’union sacrée, l’unité nationale, ce n’est pas reconnaître d’une voix qu’il existe un problème, c’est lui apporter une solution pérenne. Au milieu de l’horreur, personne ne pourra nous aider à nous débarrasser du fléau terroriste en prenant pour coupables ceux qui ne le sont pas. Stigmatiser les musulmans, stigmatiser les migrants, c’est donner raison à tous ces barbares qui, tant qu’on s’attaque aux faux problèmes, répandent les vrais malheurs. Des musulmans sont devenus terroristes, mais les terroristes ne sont pas musulmans. N’inversez pas l’ordre des mots, ou vous inverserez celui du monde.

Une dernière pensée pour celles et ceux qui sont tombés sous les balles, qui ont versé leur sang pour avoir voulu profiter des délices de la vie, pour celles et ceux qui ont assisté de près ou de loin aux carnages du 13 novembre. Une dernière pensée qui ne doit pas nous faire oublier qu’ils ont donné leur vie pour éveiller les consciences.

A toutes ces victimes, qui me rendent fier de pouvoir me revendiquer de cette « Génération Bataclan », je vous souhaite de vous envoler vers un monde de paix et d’amour, vers un monde que nous, ici sur Terre, ne connaîtrons probablement jamais.

Clément Bono


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