Pour sortir la diplomatie française de la faillite en Syrie

mardi 1er décembre 2015.
 

Article refusé par Le Monde dans la semaine qui a précédé les tragiques attentats du 13 novembre

Marginalisée sur la question syrienne, comme l’a montré la phase de préparation du cycle de réunions prévues à Vienne, dont elle a été écartée, la diplomatie française s’est enfermée dans des positions contraires à toute ébauche d’une solution politique au conflit. Pour donner l’illusion de reprendre l’initiative, Laurent Fabius a organisé à Paris une réunion la plaçant à l’avant-garde des puissances prônant « un soutien accru en armes » à la « rébellion syrienne ». Alors même que le seul groupe militairement significatif de la rébellion, « l’Armée de la Conquête » financée par l’Arabie Saoudite, le Qatar et la Turquie, est articulé autour d’Al-Nosra, branche syrienne d’Al Qaïda.

Cet entêtement ne date pas d’hier. Imbibés d’un « néo-conservatisme soft » qui a survécu au passage à Washington de ses promoteurs « hard », mais dont Barack Obama lui-même s’est distancié, les dirigeants français n’ont cessé depuis quatre ans d’alterner entre velléités militaristes dénuées de stratégie et postures moralisatrices agrémentées d’une focalisation sur des clivages ethno-confessionnels censés fournir la grille de lecture ultime du conflit syrien. Défendant devant l’Assemblée nationale la ligne « ni Daech ni Bachar », Manuel Valls a résumé cette position : « réhabiliter Assad serait […] une faute morale, et surtout ce serait nous condamner à l’immobilisme car les Syriens eux-mêmes ne pourraient l’accepter et aucun des pays arabes sunnites de la région ne pourrait y consentir ». On ne saurait nier que Bachar Al-Assad a réprimé dans la terreur un soulèvement au départ pacifique, dont nombre d’acteurs initiaux n’étaient pas assimilables aux arrière-pensées de leurs soutiens locaux et internationaux. Et on ne peut que souhaiter que le peuple syrien soit délivré, un jour, et des djihadistes et de ce régime-là.

Mais les choix résumés dans cette déclaration de Manuel Valls, faits de cynisme et d’alliances contradictoires avec les « valeurs » affichées, vont à l’encontre de cet objectif. Qui croit que l’Arabie Saoudite, le Qatar ou la Turquie, se soucient du peuple syrien ? Ces compromissions démontrent à elles seules que l’invocation des « droits de l’homme » n’est plus qu’une variable au sein d’un catéchisme que l’on clame pour cibler la Russie ou l’Iran et prétendre « punir » Bachar Al-Assad, et que l’on tait lors des déplacements dans le Golfe. De fait, le positionnement de la France sur la crise syrienne découle moins de l’attitude du régime syrien que de la volonté de Paris de plaire à des alliés obnubilés par les succès de l’Iran, allié au régime syrien. Dans la même logique, la France n’a-t-elle pas, aux côtés d’Israël, essayé jusqu’au bout de bloquer l’accord sur le nucléaire iranien conclu cet été ?

Ces errements vont de pair avec une vision simpliste des dynamiques qui animent le Moyen-Orient. Les dirigeants français ont tout misé sur leur croyance, combinée à un affairisme ostentatoire, en l’existence d’un collectif de « pays arabes sunnites » mu par cette seule identité religieuse. Certes, les fractures entre sunnites et chiites, symbolisées par l’opposition entre Iran et Arabie Saoudite, sont réelles. Mais elles ne forment qu’un écueil idéologique d’enjeux géopolitiques profanes qui ont déterminé l’implication des puissances régionales et de leurs alliés dans le conflit syrien.

Cette grille de lecture dépolitisante condamne à avoir systématiquement un temps de retard sur l’évolution des positions des uns et des autres. Par exemple, l’intervention russe en Syrie a fini de convaincre les « alliés sunnites » de l’Arabie Saoudite de prendre leurs distances sur ce dossier. Affaiblie, l’Arabie Saoudite a consenti à ce que l’Iran soit intégré aux négociations. Dès lors, il n’y a plus d’un côté les vertueux « occidentaux » mus par la seule volonté de faire triompher les droits humains, et de l’autre les méchants russes ou iraniens qui ne songeraient qu’à défendre en Syrie des intérêts peu avouables. Faute d’avoir vu venir cette nouvelle configuration ou, pire, ayant tout fait pour l’empêcher, la diplomatie française est à l’arrière-garde. N’en déplaise à Manuel Valls, voilà un bel exemple d’immobilisme qui démontre l’urgence de recommencer à faire de la politique étrangère. A l’opposée d’une morale abstraite couplée à de seules considérations affairistes, « faire de la politique étrangère » suppose de déterminer des objectifs clairs partant des réalités.

Ces objectifs devraient être selon nous les suivants : réduire Daech par des moyens politiques, économiques et militaires ; puis envisager une transition politique en Syrie qui permette les transformations politiques nécessaires sans créer un vide du pouvoir dans lequel s’engouffreraient les autres forces djihadistes.

Pour ce faire, il n’y a pas de solution miracle. Mais certaines des conditions de réalisation de ces objectifs sont connues. Le Parti de Gauche les a régulièrement relayées. Il est d’abord urgent de s’entendre, avec la Russie notamment, sur la constitution sous l’égide de l’ONU d’une coalition unique donnant une priorité claire à la lutte contre Daech. Le « ni Assad ni Daech » n’est tenable ni sur le plan éthique ni sur le plan stratégique. La situation sur le terrain est marquée par la résistance de Daech à un an de frappes de la coalition menée par les Etats-Unis en Irak et en Syrie. N’en déplaise à la diplomatie française, cette résilience de Daech n’est pas d’abord favorisée par le régime syrien. Pas plus que ne l’a été l’émergence de cette organisation et des autres forces djihadistes dans la zone qui – il est désolant de devoir le rappeler alors que même Tony Blair a fini par le reconnaître publiquement - ont d’abord profité de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis et des soutiens de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie Saoudite.

Nous prônons donc de soutenir la proposition russe d’une coalition élargie qui s’entende pour appliquer les mesures, connues, pour lutter contre Daech par des moyens politico-militaires, économiques et idéologiques. Ce qui suppose d’accepter que la question de l’avenir du régime syrien passe temporairement au second plan. Une telle stratégie exclut les considérations moralisantes et hypocrites évoquant un quelconque risque de « réhabilitation » de Bachar El Assad, qui n’est pas en question ici. Au contraire, elle achèverait de mettre Bachar El Assad sous tutelle, et pourrait permettre à terme de lui imposer une transition négociée qui passerait par son départ le jour venu pour être remplacé par des éléments étatiques et des forces d’opposition progressistes.

Cette stratégie claire, couplée à des mesures humanitaires d’urgences telle l’augmentation radicale des budgets du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU en vue de tenter de soulager des millions de réfugiés et déplacés exsangues, est seule susceptible d’en finir avec le double-jeu généralisé qui alimente le conflit syrien.

Djordje Kuzmanovic et Théophile Malo


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