« Le FN est national-capitaliste, nous sommes écosocialistes et internationalistes »

jeudi 10 décembre 2015.
 

Mardi, dans une interview accordée au Parisien, le patron du Medef, Pierre Gattaz, livrait son analyse sur la montée du Front national, soit cinq jours avant le premier tour des régionales. Au détour d’une phrase, il a lâché des mots assassins : « Mélenchon-Le Pen, même combat. » Depuis, les réactions s’enchaînent au FN et au Parti de gauche. Ils ne sont pas contents. Entretien avec Danielle Simonnet, élue de Paris et coordinatrice au sein du parti de Jean-Luc Mélenchon.

Danielle Simonnet, pour Pierre Gattaz, le patron du Medef, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, c’est la même chose. En lisant ses propos, vous avez dû tomber de votre chaise.

Oui et non. Cela rappelle finalement une autre époque où le patronat clamait « mieux vaut Hitler que le Front populaire ». Par ce parallèle, Pierre Gattaz dédiabolise Marine Le Pen pour mieux décrédibiliser Jean-Luc Mélenchon.

En même temps, cela n’est pas très étonnant : Pierre Gattaz n’a-t-il pas toujours été critique envers Jean-Luc Mélenchon et vice versa ?

Oui, Jean-Luc Mélenchon assume, lui, de s’attaquer à la finance. Le président du Medef ne représente que 8 % des patrons, ceux du CAC 40, de cette finance qui parasite toute l’économie. Leur rêve est de casser l’ensemble des acquis sociaux du Conseil national de la Résistance. Le nôtre est de les préserver et même d’aller au-delà ! On veut aussi repenser notre mode de développement pour préserver notre écosystème et redistribuer les richesses quand le Medef ne court qu’après les profits maximums, en surexploitant les hommes et la nature, quitte à conduire l’humanité à sa propre perte.

Sur le terrain, votre parti est très offensif envers le FN. Pourtant, Pierre Gattaz n’est pas le premier à faire le rapprochement Mélenchon-Le Pen. Vous avez une explication ?

Le FN est l’idiot utile du système. Il défend une politique « ultra austéritaire », encourageant les baisses des dépenses publiques et les privatisations. Il ne s’attaque pas au capital, au contraire. Il contribue, comme dans les années 30, à briser les consciences de classes, républicaines, en attisant les haines et en divisant le peuple. En 2012, Jean-Luc Mélenchon a montré sa capacité à mettre en mouvement le peuple sur un programme de rupture. Il est normal que tous les tenants du système le craignent et préfèrent valoriser Le Pen. Cela permet au Parti socialiste de jouer sur l’argument du « vote utile », pour siphonner les voix de l’autre gauche. Le tripartisme arrange bien l’oligarchie qui contrôle tous les pouvoirs, économiques, politiques, mais aussi médiatiques, puisqu’il sert en définitive, quelle que soit l’alternance – PS, LR et même FN –, ses intérêts. Le Medef s’accommodera très bien du FN dirigeant des régions !

Pierre Gattaz argumente en mettant en avant les désirs du FN de fermer les frontières et d’enterrer l’euro. Quelle est la position de votre parti sur ces deux sujets ?

Gattaz n’argumente rien. La problématique des réfugiés est d’abord un drame humain qui se traduit par de nombreux morts en Méditerranée. Le FN ne pourra jamais, même avec tous les barbelés du monde, empêcher ceux qui sont prêts à risquer leur vie pour survivre de franchir nos frontières. Il faut enfin s’attaquer aux causes ! Cesser les politiques va-t-en-guerre, rompre avec le libre-échange européen qui affame les peuples et les fait fuir ! Et nous devons accueillir dans la dignité et dans l’accès aux droits. La France est aujourd’hui un des plus mauvais élèves en matière de droit d’asile. Même sol, mêmes droits, telle est notre devise.

Concernant l’euro, le FN en fait l’alpha et l’oméga mais veut en même temps respecter la règle des 3 % de déficit et le remboursement des dettes publiques. Le FN est national-capitaliste, nous sommes écosocialistes et internationalistes. Nous avons lancé un « sommet permanent du plan B » pour construire une réponse économique et politique, avec des personnalités de la gauche radicale européenne et de nombreux économistes. Nous défendons la désobéissance aux règles absurdes imposées par les traités européens, la remise en cause des dettes illégitimes. Pour ne pas subir un coup d’Etat financier comme celui qu’a connu la Grèce, mieux vaut rétablir la souveraineté du peuple que de se soumettre à la camisole de force qu’est devenu l’euro.

Depuis la dernière présidentielle, vous n’arrivez pas à réaliser de gros scores lors des élections pendant que le FN progresse et touche de plus en plus la classe populaire, donc une grosse partie de votre électorat. Pourquoi ?

Le FN progresse d’abord en récupérant l’électorat populaire de droite qui a toujours existé, et profite de l’abstention. La bataille est culturelle et idéologique : le problème, ce n’est pas l’immigré, c’est le banquier. Mais le FN a pris de l’avance. La politique du gouvernement divise la gauche, désespère le peuple et décrédibilise le terme même de gauche. Et puis il y a nos propres erreurs. Depuis les 4 millions de voix de Jean-Luc Mélenchon en 2012, le Front de gauche n’a pas su dépasser le cartel d’organisations et pâtit d’erreurs stratégiques. Le Parti de gauche a tout fait pour rassembler l’opposition de gauche dans des dynamiques citoyennes et la rendre lisible nationalement dans cette élection. Le résultat est beaucoup trop inégal. Mais là où cette stratégie s’est réalisée, comme en Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon, les résultats seront au rendez-vous.

Pour la bataille centrale de 2017, nous devrons engager franchement la mise en mouvement du peuple, renouer avec l’esprit de résistance et de révolution citoyenne, reconstruire l’espoir et l’enthousiasme pour une VIe République écosocialiste.

Enfin, à quelques jours du premier tour des régionales et dans le contexte post-attentats, comment allez-vous ?

Toujours profondément triste, en colère et inquiète. La dimension tragique de l’histoire pèse, mais redouble plus encore ma détermination. Les défis sont immenses. Notre République a été attaquée, nous devons répondre par plus de République, plus d’Etat, de démocratie, de liberté, d’égalité et de fraternité et non courir derrière des logiques libérales, autoritaires et sécuritaires. A la fin, cela se jouera entre le FN et nous. Quel camp choisirez-vous ?

Rachid Laïreche


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