Déchéance de nationalité : le refus s’élargit

samedi 2 janvier 2016.
 

- A) Déchéance de nationalité : « Sommes-nous prêts à recevoir les terroristes des autres ? » (par Marc TREVIDIC, ex-juge antiterroriste)
- B) L’état de droit par-dessus bords – « une véritable fuite en avant, confiant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif » (par Syndicat de la magistrature)
- C) Des centaines de prises de positions, y compris d’élus PS (Ayrault, Aubry, Mignard, Amirshahi, Quilès, Darmian, Anne Hidalgo, Klugman, Samia Ghali...)
- D) Déchéance : « une décision détestable » (CFDT)
- E) Déchéance de nationalité : le pas de plus, le pas de trop ? (Clémentine Autain)

Le Père Noël gouvernemental est une ordure (J-L Mélenchon)

A) Déchéance de nationalité : « Sommes-nous prêts à recevoir les terroristes des autres ? » (par Marc TREVIDIC, ex-juge antiterroriste)

Ancien juge antiterroriste, aujourd’hui vice-président au tribunal de grande instance de Lille, Marc Trevidic juge avec sévérité le projet d’extension de déchéance de nationalité aux binationaux nés en France. Pour ce magistrat expérimenté, cette réforme ne fera que créer des problèmes supplémentaires.

Comment jugez-vous le projet annoncé par le gouvernement ?

Marc Trevidic – « Il y a déjà des questions pratiques. Comment expulser un individu qui a toujours vécu en France ? Une autre nation a-t-elle à gérer quelqu’un né chez nous ? Imaginons qu’un autre pays, par exemple le Maroc, vote un texte similaire. Une personne y aura passé toute sa vie et, d’un seul coup, le Maroc nous l’envoie car également français. On n’exporte pas un terroriste ! Que se passera t’il si l’Algérie, les Etats-Unis nous adressent des déchus ? Allons-nous les accepter ? Le Royaume-Uni est en train de réfléchir à une réforme analogue. Que va-t-il advenir des franco-britanniques dans cette situation ? En réalité, c’est faire beaucoup de bruit pour rien et risquer, vraiment, de fabriquer des apatrides.

La question de l’égalité se pose également. Dans notre pays, le principe est qu’il ne doit pas y avoir de distingo entre Français. Comment pourra-t-on réécrire la Constitution ? Enfin, on semble, ici, partir du principe qu’être français, ça se mérite. C’est peut être le cas des personnes qui acquièrent la nationalité. Quand on est né français, où placer la question du mérite ? La nationalité n’est pas un cadeau ! »

Y-a-t-il une efficacité apportée, ici, dans la lutte antiterroriste ?

« Je ne la vois pas ! Une telle mesure, très certainement inapplicable, ne peut pas avoir de caractère dissuasif. Sa mise en œuvre consommerait énormément d’énergie. Cette réforme créera davantage de problème qu’elle n’en réglerait. Encore une fois, quelle sera la réaction de la France si l’autre nation auquel un suspect est rattaché refuse de le recevoir ? N’oublions pas, non plus, qu’on ne peut pas expulser un individu vers un pays où sa sécurité est en danger. Pour cette raison, la Grande Bretagne a du garder Abu Qutada (Arrêté en 2005, ce Jordanien a finalement été expulsé en... 2013). Notre pays ne doit pas se considérer seul dans une bulle. La posture, ici, est : Cachez ce terroriste que je ne saurais voir ! Ce n’est pas aussi simple. »

Une telle mesure peut-elle entraîner des dérives ?

« Le pays est encore sous le coup de l’émotion due aux attentats de novembre. En même temps, la définition du terrorisme est très floue. Il concerne également l’atteinte aux biens. Les Moudjahidinne du peuple iraniens ont été considérés comme terroristes ou pas en fonction des enjeux de notre politique étrangère. Enfin, l’état d’urgence, aujourd’hui, permet d’assigner à résidence des... écologistes. Je suis très surpris de voir la rapidité avec laquelle on range nos principes au placard. Que se passera-t-il, demain, si un régime autoritaire qualifie très largement des opposants de « terroristes » ? »

B) L’état de droit par-dessus bords – « une véritable fuite en avant, confiant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif » (par Syndicat de la magistrature)

Pas de trêve pour les constitutionnalistes et les défenseurs des libertés : ce 23 décembre 2015, un projet de loi constitutionnelle dite « de protection de la Nation » a été présenté en conseil des ministres. La loi suprême est décidément maniée avec la plus grande légèreté : d’abord le Premier ministre recommande sans frémir le contournement du contrôle de constitutionnalité de la loi du 20 novembre 2015 prorogeant l’état d’urgence, maintenant le gouvernement veut modifier la loi fondamentale toutes affaires cessantes. A l’exact inverse de ce qu’exigerait la protection de la Nation, il choisit d’ébranler les équilibres de la constitution et de restreindre les garanties dont elle entoure les atteintes aux libertés.

Prétendant garantir l’immuabilité des conditions d’ouverture de l’état d’urgence ce projet dissimule mal la volonté première de surmonter l’inconstitutionnalité des mesures exceptionnelles qui viendront s’ajouter à celles que la loi de 1955 autorise déjà. Le conseil d’État n’a pourtant pas cillé, donnant acte au gouvernement que la révision constitutionnelle permettrait « au législateur de prévoir des mesures renforcées », donc toujours plus attentatoires aux libertés : l’aveu qu’il ne pourrait en être ainsi dans le cadre constitutionnel actuel est explicite. Contrôles d’identité administratifs sans limites, extension des visites des véhicules ne seront que la face émergée de l’iceberg. Les saisies administratives, la retenue administrative le temps d’une mesure mais aussi, puisque c’est déjà une mesure de police des étrangers en situation irrégulière, la rétention administrative, autre nom de l’enfermement préventif, pourraient trouver un fondement constitutionnel.

Ainsi la constitutionnalisation ne se borne-t-elle pas à consolider l’assise de l’état d’urgence. Elle vise encore moins à encadrer ce régime exceptionnel. Elle annonce au contraire une véritable fuite en avant, confiant des pouvoirs exorbitants à l’exécutif sur la base d’un risque vraisemblable de trouble à l’ordre public, même non terroriste et même non illégal, fondé sur un simple soupçon. Le nouvel article 36-1 de la constitution ouvrira la spirale de l’exception : celle qui conduit à abandonner aux mains des préfets et du ministre de l’intérieur la large panoplie des mesures de police administrative.

Les décisions rendues par le conseil d’Etat et le conseil constitutionnel sur les assignations à résidence laissent peu d’espoir quant à la capacité des juridictions administratives à nous protéger de l’arbitraire : dès que le « péril imminent » du terrorisme est brandi toutes les mesures de police administrative sont mécaniquement considérées comme nécessaires et proportionnées au trouble à l’ordre public.

Pour défendre l’inacceptable, l’argumentaire se veut implacable : c’est « pour combattre efficacement le terrorisme » qu’il faudrait permettre au législateur de doter l’État de ces pouvoirs exorbitants et les soustraire au contrôle du juge judiciaire. La présentation est caricaturale : elle fantasme une autorité judiciaire impuissante et ignore à dessein les pouvoirs hautement dérogatoires que lui accorde le droit pénal antiterroriste. Surtout, elle occulte les dérives et les abus que contiennent en germe des mesures préventives prises sans contrôle juridictionnel préalable et fondées non sur une infraction déterminée ou déterminable mais sur le critère dangereusement flou d’un « comportement suspect ».

Exclusivement concentré sur un projet politicien de recomposition de sa majorité dont il veut saisir l’opportunité, l’exécutif choisit enfin, à l’issue d’un suspens pitoyable que la constitution ne mérite pas, de donner des gages à l’autre bord et ce, par la plus honteuse des dispositions, celle qui rompt définitivement le principe d’égalité républicaine en réservant un sort particulier aux bi-nationaux.

Le gouvernement doit sortir de l’état de sidération qui le conduit à brader l’Etat de droit : introduire l’état d’urgence dans la constitution, c’est assurément « saper les fondements de la démocratie » au prétexte de la défendre et oublier l’avertissement donné, dès le 6 septembre 1978, par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui enjoignait les États à ne « pas prendre, au nom de la lutte contre...le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée »

Le Syndicat de la magistrature

C) Des centaines de prises de positions, y compris d’élus PS importants

Jean-Marie Darmian, maire de Créon, vice-président du Conseil général de la Gironde, pilier du Parti socialiste dans ce département, adhérent au PS depuis 1975, a décidé jeudi de "se mettre en congé du parti" jusqu’à ce qu’il connaisse l’issue des discussions sur la réforme constitutionnelle. Ce petit-fils d’immigrés italiens déplore que l’exécutif ait maintenu la déchéance de nationalité pour les binationaux dans son projet de révision de la Constitution.

Jean-Marc Ayrault « Si la France est « en péril de paix », alors ne la divisons pas davantage ! »

Martine Aubry « On ne s’égare jamais en défendant ses valeurs. C’est même l’inverse ».

Jean-Pierre Mignard, avocat membre du PS, intime de François Hollande (Twitter) : « La déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France : rétablissement régressif des Français de souche, et du droit du sang. »

Pouria Amirshahi (député socialiste) «  La déchéance de nationalité pose atteinte aux principes d’égalité de tous les Français, ne lutte en rien contre l’endoctrinement et le terrorisme, jette la suspicion sur certains compatriotes et fait en outre porter sur d’autres pays la responsabilité de prendre en charge les “échecs” français  ».

Paul Quilès Déchéance : que ce mot est laid ! Quelle que soit son utilisation, il suggère, d’après le dictionnaire, la dégradation, l’abaissement, la décrépitude….On n’en parlait pas beaucoup jusqu’ici, alors que la déchéance de nationalité existe dans notre arsenal judiciaire, pour certains cas bien limités. L’inscrire dans la Constitution pour les binationaux nés en France et coupables d’actes de terrorisme créerait de facto deux catégories de citoyens français.

Il est donc compréhensible que la décision du Président de la République interpelle tous ceux qui se demandent pourquoi celui-ci, élu par une majorité de voix de gauche, vient contredire avec cette mesure une valeur –le droit du sol- qui fait partie de l’ADN de la gauche.

A-t-on besoin de la menace de déchéance de la nationalité française pour dissuader un terroriste de perpétrer un attentat ? Personne ne le croit un seul instant, pas plus l’initiateur du projet que les spécialistes de l’anti-terrorisme ou simplement les citoyens dotés de bon sens. D’autres mesures, autrement plus efficaces, sont indispensables ; elles concernent le renseignement, les forces de sécurité, la coopération internationale, l’attaque du "mal" à la racine… autant de domaines dans lesquels des actions ont justement été entreprises.

Ali Baddou, journaliste franco-marocain, animateur à Canal + (Twitter) : « J’ai toujours pensé qu’avoir deux nationalités était une richesse. Aujourd’hui, je découvre que c’est un problème #jesuisbinational. »

Anne Hidalgo, maire PS de Paris, rappelant aussi le vœu voté par sa majorité (Twitter) : « Je réaffirme fermement mon opposition à la déchéance de nationalité qui n’apporterait rien à la lutte contre le terrorisme. »

Thomas Piketty, économiste, (sur son blog) : « A l’incompétence économique, voici que le gouvernement ajoute l’infamie. [...] Tous ceux à gauche qui refusent cette politique lamentable doivent se réunir pour imposer une primaire citoyenne à gauche en 2017. »

Patrick Klugman, avocat, élu PS : « Elu socialiste [adjoint à la Mairie de Paris, ndlr] et avocat de très nombreuses victimes d’actes de terrorisme ou de leur famille, j’aurais sans doute dû me réjouir du projet d’extension de la déchéance de la nationalité […]. Il n’en est rien. […] Ce projet […] heurte les principes les mieux établis sans offrir une once de sécurité supplémentaire. Pis, il réjouirait presque ceux qu’il entend punir ! Commençons par préciser que la déchéance de nationalité existe dans notre droit et qu’elle n’a jamais empêché le moindre attentat ni dissuadé le moindre apprenti terroriste de passer à l’action. […] On ne peut comprendre la position du président de la République que comme la recherche d’une annonce symbolique. Or, il faut le dire, s’il est ici un symbole en jeu, il est […] contraire à notre histoire, contraire à la place qui devrait être la nôtre dans le concert des nations, contraire enfin, à toute logique d’efficacité dans la recherche d’une plus grande sécurité. […] A-t-on mesuré l’effet calamiteux produit sur nos relations avec des pays proches, comme ceux du Maghreb, victimes aux aussi du terrorisme, si demain nous leur renvoyions à l’issu de leurs peines des terroristes nés, élevés et radicalisés en France parce qu’ils seraient devenus des criminels dans notre pays ? »

Samir Khebizi, directeur de la Tête de l’Art, il a initié une pétition – « Ne pas franchir la ligne rouge… » –sur Change.org : « Je m’appelle Samir. Je suis français. Je suis né en France. J’ai grandi et je vis à Marseille. Je suis non-croyant. Mes parents sont d’origine algérienne. Ils m’ont éduqué dans le culte de l’intégration. Avec le recul, je suis plutôt fier des valeurs qu’ils m’ont transmises. Je suis devenu binational il y a un peu plus de dix ans par un concours de circonstances. Jusque-là, je ne voyais que la dimension pratique que cela représentait pour moi. Je n’avais pas de revendication identitaire. Avec l’annonce de votre mesure, je vais courir à l’ambassade revendiquer mon droit à la binationalité. Je suis bien plus atteint par la violence symbolique de votre mesure que ne l’est n’importe quel terroriste en puissance. Vous perdrez la majorité des binationaux qui composent la société française, multiculturelle quoi qu’en disent certains. Vous utiliserez une bombe qui, en voulant détruire un repaire de rats, détruira la cité. Entre-temps, les rats se seront cachés ailleurs… Peut-être derrière leur unique passeport français. Réfléchissez vite et bien, monsieur le Président, mais surtout réfléchissez juste. »

Rokhaya Diallo, journaliste : « C’est scandaleux : cela voudrait dire qu’une partie de la population est française sous condition et qu’il existe deux catégories de Français nés en France. Qu’on nous tolère, en quelque sorte. Le message qui est envoyé est très mauvais et provoque un malaise profond. Aujourd’hui, la gauche, qui était vent debout en 2010 après le discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, relance le débat sur l’identité nationale en mettant en place une réforme dont le FN se réjouit. En plus, tout le monde sait que ce n’est pas de cette manière que l’on va arrêter les terroristes. Ce projet de modification de la Constitution pointe du doigt une partie de la population de manière déloyale. Et on les accuse de quoi ? D’êtres nés de parents étrangers ? Après, le PS s’étonne devant les chiffres de l’abstention. »

Samia Ghali, sénatrice PS : « C’est une mesure profondément injuste et inefficace. Nous savons tous qu’elle n’est en rien une réponse à la hauteur des sanctions et des précautions que nous devons adopter dans la lutte antiterroriste. Au moment où l’unité nationale est affichée comme une priorité, accepter la déchéance c’est prendre le risque de fragmenter encore un peu plus la société française. Les binationaux sont des Français à part entière. Il ne peut y avoir plusieurs catégories de Français au sein de notre République. Notre devise « Liberté, Egalité, Fraternité » ne saurait le tolérer. La France est belle et forte quand elle produit des enfants égaux et libres. Elle est sombre et faible quand elle fait des distinctions entre ses enfants, quand elle se résigne, quand elle ne trouve pas de remèdes à ses maux, quand elle se montre, ainsi, impuissante à faire face aux tumultes. La seule boussole qui doit guider la décision de l’Etat est celle de la raison et des valeurs. Bien sûr, elle pourra être passagèrement impopulaire mais se révélera dans le temps juste et courageuse pour chacun de nous. »

Caroline Mécary, avocate : « La déchéance de la nationalité c’est d’abord la déchéance d’un gouvernement de « gauche » qui n’hésite pas à s’approprier une des propositions les plus méprisables de l’extrême droite, la validant du même coup. La déchéance de la nationalité est, on le sait, une mesure parfaitement inutile pour lutter contre le terrorisme (objectif affiché) car aucune réglementation n’arrêtera les fanatiques de tous bords. La déchéance de la nationalité est une mesure parfaitement nuisible pour l’ensemble de la « communauté nationale » puisqu’elle la divise entre des nationaux « unisouche » et des binationaux (environ 3,3 millions) ; elle va légitimer une discrimination entre ces deux catégories. C’est délétère et, à ce titre, cela rappelle les heures les plus sombres de notre histoire (pour mémoire, Vichy a déchu le général de Gaulle de sa nationalité). Traduction de ce qui précède : notre Président a fait un calcul politicien, il est pour lui plus avantageux de donner des gages à l’électorat de droite et d’extrême droite en vue de la présidentielle plutôt que de rassembler son propre électorat, dont il ne doute pas qu’il votera pour lui dans l’hypothèse d’un 21 avril à l’envers… Pari périlleux et coûteux. »

D) Déchéance : « une décision détestable » (CFDT)

La déchéance de nationalité est une « décision détestable qui ne résout rien », a réagi dans un communiqué le secrétaire national de la CFDT, Jean-Louis Malys, au lendemain du choix de François Hollande d’inscrire cette mesure dans la Constitution. « La mesure de déchéance de nationalité aux binationaux de naissance est totalement inefficace et sa valeur symbolique est détestable. Elle constitue une remise en cause inacceptable du droit du sol constitutif de la citoyenneté française », écrit Jean-Louis Malys.

« En distinguant les personnes qui ont uniquement la nationalité française à leur naissance de celles qui en ont une ou plusieurs autres, le gouvernement validerait le fait que certains sont moins français que d’autres au détriment d’une nécessaire cohésion nationale dont le pays a pourtant besoin », poursuit le leader de la CFDT.

Pour le syndicat, « les mesures sécuritaires nécessaires ne peuvent constituer la seule réponse à la lutte contre le terrorisme et le fondamentalisme ». Jean-Louis Malys estime qu« au-delà de l’agitation détestable qu’elle génère, cette polémique ne répond pas à l’enjeu premier qui est la prévention de l’endoctrinement des jeunes qui se radicalisent et l’action pour la cohésion sociale, la lutte contre les discriminations et pour le vivre ensemble partout sur les territoires de la République ».

E) Déchéance de nationalité : le pas de plus, le pas de trop ? (Clémentine Autain)

En promouvant finalement l’inscription de la déchéance de nationalité dans la Constitution, l’Élysée et Matignon poursuivent une grave dérive vers leur droite, et cautionnent les idées du Front national. Un point de rupture est atteint, voire dépassé.

Le coup est sévère. Au conseil des ministres du mercredi 23 décembre, François Hollande et Manuel Valls ont décidé d’introduire dans la Constitution une mesure hautement symbolique : la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français, reconnus notamment coupables d’actes terroristes.

La dernière fois que la France a recouru à la déchéance de nationalité, c’était sous Vichy. Plusieurs rumeurs dans la presse laissaient penser que le gouvernement renoncerait à mettre en place cette disposition : les vives critiques émises à gauche allaient avoir raison de l’annonce de François Hollande. Que nenni. Pour le président et le premier ministre, il s’agissait de tenir bon pour affirmer haut et fort le tournant sécuritaire et l’union nationale post-attentat.

Le message envoyé à gauche est sans équivoque : la main n’est pas tendue, elle est fermement à droite toute. La ministre Christiane Taubira, qui avait dit son désaccord avec cette mesure, avale pathétiquement son chapeau : « La parole dernière est celle du président de la République », a-t-elle laconiquement déclaré avant de partir en vacances.

Un signal supplémentaire de droitisation

Le gouvernement aura non seulement abandonné le droit de vote des étrangers et le récépissé sur le contrôle au faciès, qui figuraient dans le programme du candidat Hollande, mais aura également repris le fil idéologique des propositions de la droite extrême. Florian Philippot et Marine Le Pen se sont empressés de saluer leur victoire :

Du point de vue politique opposé, le député socialiste Pascal Cherki confirme à sa manière le sens de cette mesure gouvernementale : « Je ne vois pas comment combattre l’extrême droite en reprenant son programme ».

Comme la déchéance de nationalité n’est d’aucune efficacité pour lutter contre le terrorisme, elle a pour unique objectif d’envoyer un signal supplémentaire de droitisation. François Hollande est prêt pour cela à fouler au pied des fondamentaux de la République française, en touchant au droit du sol. Il est prêt à valider l’idée chère au Front national qu’il y aurait deux catégories de Français. Il est prêt à reprendre la logique de la double peine que le PS contestait farouchement quand Nicolas Sarkozy était au pouvoir.

La déchéance de la nationalité est un pas de plus. De trop ? Pour les députés et militants de gauche qui appartiennent à la majorité gouvernementale, la question agite assurément les consciences. De là à façonner des actes de recomposition, de refondation, il y a un pas. Si Valls et Hollande gouvernent à droite, une alternative de gauche reste à construire. Vite.


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