Flint (USA) : républicanisme conservateur, autocratie austéritaire et libéralisme meurtrier

mardi 9 février 2016.
 

Le scandale de l’eau polluée dans cette ville du Michigan, qui a causé la mort de dix personnes par légionellose, dévoile la généralisation de la mise sous tutelle des villes en difficulté financière.

L’article a été publié le 16 juillet 2014 dans les colonnes du magazine progressiste The Nation. Il est signé Curt Guyette, journaliste d’investigation pour l’Aclu (American Civil Liberties Union, une organisation de défense des droits de l’homme). Le titre est sans équivoque  : « À Flint, Michigan, une eau hors de prix provoque des éruptions cutanées et des chutes de cheveux. » L’auteur précise que des habitants ont lancé une procédure judiciaire le 5 juin afin de forcer la ville à arrêter de s’approvisionner dans la rivière locale et révèle l’existence d’un mémo de l’Agence fédérale de l’environnement (EPA) sur la possibilité d’une contamination de l’eau par du plomb. L’été passe. Le début de l’automne aussi. Il faut attendre la fin du mois d’octobre pour que la décision de cesser l’approvisionnement nocif soit prise et quelques mois de plus pour connaître l’étendue du drame.

La crise de Flint est évidemment sanitaire puisque 102 000 habitants ont été exposés pendant des mois à une eau empoisonnée. Dix personnes sont déjà mortes de légionellose ces dix-huit derniers mois. Elle est aussi politique. Et ce bien avant que Barack Obama déclare la semaine dernière qu’il serait « hors de lui » s’il faisait partie des parents qui ont bu et donné à boire cette eau trouble. Le scandale de la Flint River, c’est un conte morbide de l’austérité et de l’abandon des plus démunis. Comment les autorités ont-elles pu rester passives – voire pire, peut-être – alors que tout était dévoilé par un journaliste et des habitants  ? Chaque échelon de décision pointe le doigt vers celui du dessus et du dessous. Sans doute chacun a-t-il raison car Flint fait le procès de politiques publiques globales menées depuis trente ans. La bonne ville de Flint a sa place dans les manuels d’histoire des États-Unis. Pages glorieuses. La cité plantée au cœur du Michigan est le berceau de General Motors, l’une des trois grandes compagnies de l’automobile, les fameuses Big Three, avec Ford et Chrysler. Elle a également été le théâtre des grandes grèves de 1936-1937 qui forcèrent le patronat de l’automobile à reconnaître l’United Automobile Workers, point de départ de la légitimation nationale du fait syndical. Quelques décennies plus tard, le neveu de l’un des grévistes allait documenter, caméra à l’épaule et embonpoint plein champ, l’écroulement de ce monde  : Michael Moore et son désormais classique Roger et moi.

Flint dans une situation de faillite économique

Trente années de désindustrialisation aussi lente que sûre et la grande récession de 2008 ont plongé Flint dans une situation de faillite financière, à l’instar de la « maison mère », Detroit. Fin 2011, le gouverneur républicain de l’État, Rick Snyder, ne trouva rien de mieux que d’ajouter l’injustice politique au malheur économique en plaçant Flint sous tutelle, via la nomination d’un « manager d’urgence ». Un cost-killer, dirait-on dans le privé. Première décision  : ne plus dépendre de Detroit pour l’alimentation en eau, lancer son propre projet d’acheminement de l’eau du lac Huron jusqu’à Flint. Coût  : 200 millions de dollars d’investissements. Livraison prévue pour 2017. Mais pour le technocrate à la chasse au coût, les économies devaient tomber immédiatement. Donc, début 2014, fin immédiate du contrat Detroit. Et, en attendant, un expédient  : aller puiser l’eau dans la rivière locale, la Flint River. Sa réputation est douteuse, son aspect brunâtre. On conseille aux habitants de faire bouillir leur eau. Une eau tellement corrosive qu’elle ronge les canalisations et libère le plomb qui y est contenu. En octobre 2014, l’une des dernières usines GM annonce la suspension de sa production  : l’eau corrode les pièces  ! C’est seulement un an après les machines que les humains ont été pris en compte.

Michael Moore, l’enfant du pays, a pris sa plume et dans un de ses retentissants coups de gueule a écrit au président Barack Obama  : « Ma ville a été rouée de coups par General Motors, Wall Street, l’État du Michigan et le gouvernement fédéral. Sans surprise, les républicains, qui contrôlent le parlement de l’État, n’avaient pas à s’inquiéter d’une opposition des habitants de Flint car, pour eux, c’est juste un tas de Noirs éviscérés (41 % des habitants sont des Africains-Américains – NDLR) qui n’ont absolument aucun pouvoir, “ils votent pas pour nous de toute façon”, et n’ont AUCUN moyen de contre-attaquer. »

Le gouverneur républicain a ignoré toutes les alertes envoyées

Pour Dana Milbank, du Washington Post, l’un des chroniqueurs les plus en vue du pays, le « désastre de Flint » est bien « la faute de Rick Snyder », le gouverneur républicain. Non seulement parce qu’il a ignoré toutes les alertes envoyées mais aussi car il a mis en œuvre une « philosophie politique selon laquelle les collectivités fonctionnent mieux si elles sont gérées comme des entreprises ». Au nom de celle-ci, le gouverneur républicain a multiplié, grâce à une loi d’État, les procédures de tutelle sur les organismes en difficulté financière. « Cette loi revient à détruire la démocratie et à imposer une autocratie austéritaire sur les villes pauvres et majoritairement africaines-américaines, a expliqué Curt Guyette au Washington Post. En définitive, il s’agit de s’assurer que les banquiers et créanciers seront remboursés, quel qu’en soit le coût, même si des enfants sont empoisonnés par de l’eau de rivière dégoûtante. »

Pour une économie supposée de 5 millions de dollars par an, la ville aux abois financiers doit désormais débourser 1,5 milliard de dollars pour la rénovation complète de son système de canalisations et personne n’a le début d’un commencement d’idée sur la nature du financement. Quant au « manager d’urgence » qui a pris cette décision de pomper dans la Flint River, Darnell Earley, il dirige désormais le département éducation de la ville de Detroit…

Christophe Deroubaix, L’Humanité, 28 janvier 2016


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