Moyen-Orient : Daech – un monstre contre-révolutionnaire et totalitaire

dimanche 21 février 2016.
 

par Union syndicale Solidaires. Excellent document de travail réalisé pour la formation syndicale autour du conflit en Syrie (3 février 2016)

L’Etat islamique (Daech) est parfois présenté comme le résultat d’une cause unique (ou tout au moins d’une cause fondamentale relativisant toutes les autres) :

1) la conséquence ultime de la religion musulmane, 2) la continuation d’un conflit millénaire entre sunnites et chiites, 3) une forme de réponse aux agressions de puissances internationales ou régionales, 4) des raisons géopolitiques.

L’approche proposée ci-dessous ne part :

* Ni des discours idéologiques des uns et des autres : les Khmers rouges qui ont assassiné 20 % de la population cambodgienne en 1975-1979, se réclamaient d’une idéologie qui n’avait rien à voir avec l’Islam !

* Ni des enjeux géopolitiques réels ou supposés : ceux-ci peuvent en effet changer radicalement d’un jour à l’autre, comme en témoigne le fait que Kadhafi, Bachar el-Assad, Sadam Hussein, Ben Laden, le régime iranien, etc. ont été tour à tour choyés ou combattus par tout ou partie de diverses puissances mondiales ou régionales.(1)

D’où le plan retenu dans ce texte :

1) Le type de société que met en place Daech.

2) Le processus par lequel ce monstre a pu voir le jour.

3) La stratégie mondiale de Daech.

4) Les dimensions géopolitiques.

5) Quels positionnements pour l’Union syndicale Solidaires ?

Et pour terminer, quelques lectures à partir desquelles a été constitué ce dossier.

Plan détaillé

Première partie : Daech au quotidien

1.1 Un anti-humanisme radical

1.2 Daech et les femmes

1.3 Daech et les enfants

1.4 Daech face aux autres courants religieux et aux minorités ethniques

1.5 Construire une « utopie » contre-révolutionnaire totalitaire

Deuxième partie : la fabrication du monstre

2.1 Al-Quaïda

2.2 Le contexte de la création de Daech

2.2.1 Le reflux partiel de la vague révolutionnaire de 2011

2.2.2 Plusieurs milliers de combattants prêts à l’emploi

2.3 Une brève histoire de Daech

2.4 Les ancêtres religieux de Daech

2.5 Daech est aussi issu de la tradition baathiste et de la décomposition de l’Irak

2.5.1 Retour sur la tradition baathiste

2.5.2 La politique occidentale de décomposition de l’Irak

2.5.3 La sauvagerie des USA en Irak

2.5.4 La politique américaine d’exacerbation du confessionnalisme

2.5.5 L’utilisation par Daech du sectarisme religieux

2.5.6 Le ralliement du parti baath irakien à Daech

2.5.7 La politique du dictateur syrien Bachar al-Assad

2.6 Le financement de Daech

2.7 Daech et les autres forces présentes en Syrie

Troisième partie : Daech à l’extérieur de l’Irak et de la Syrie

3.1 Le processus de mondialisation jihadiste

3.2 Libye

3.3 Tunisie

3.4 Afrique subsaharienne

3.5 Indonésie

3.6 Pays occidentaux

Quatrième partie : le jeu des Etats étrangers

Cinquième partie : quel positionnement pour Solidaires ?

5.1 Daech n’est pas le fruit d’une cause unique

5.2 Les dangers du « campisme »

5.3 Une seule boussole : la solidarité avec les peuples en lutte

Quelques lectures

Première partie : Daesh au quotidien

1.1 Un anti-humanisme radical

« Les hommes du califat ? Ce ne sont pas des êtres humains, ce sont des bêtes ! » explique une femme appartenant à la minorité Ezedi.(2) Lorsque le meurtre est légitimé, le droit à la vie n’a plus la moindre valeur. Daech cherche à terroriser la population ou quiconque s’opposant à ses projets, afin d’assurer son emprise.

Dans ce but, cette organisation commandite des actions spectaculaires comme :

- la destruction de lieux de culte, de sites archéologiques, de statues, de point de vente de tabac, etc.

- des lapidations en public, des crucifixions, des décapitations, etc.

Ces violations des droits de l’Homme sont ensuite méthodiquement instrumentalisées dans un but pédagogique : ériger le crime en vertu, présenter la sauvagerie comme un acte de djihad, et l’assassinat d’autrui comme une nécessité.

Chaque jour, la division média de Daech produit près de quarante documents, et envoie cinquante mille tweets. Ce matériel délibérément horrifiant lui a garanti une notoriété médiatique instantanée. Il vise également à expliquer que Daech détient la vérité absolue et a réponse à tout.(3)

Une des différences entre Daech et al-Quaïda (dont cette organisation est en partie issue) est la banalisation du martyr.(4)

Comme souvent, un moyen de mieux cerner un courant politiques est d’examiner comment il se comporte envers plus de la moitié de l’humanité, c’est-à-dire d’une part les femmes et d’autre part les enfants.

1.2 Daech et les femmes

La cape noire intégrale est devenue une véritable obsession. L’épaisseur du tissu, l’ampleur qui ne doit rien laisser deviner des formes des femmes, la longueur pour cacher le moindre centimètre de cheville sont strictement contrôlées par la police islamique qui patrouille dans les rues et les marchés des grandes villes.(5)

Il est interdit aux femmes de sortir non accompagnées.(6)

L’oppression des femmes, les viols, les kidnappings et la transformation de femmes en esclaves, notamment sexuelles, sont officiellement revendiquées par Daech.(7) Une femme Ezedi explique : « Ils ont violé quasiment toutes les femmes. Leur but était de ne laisser aucune fille vierge, et ils ont pris aussi les femmes mariées qui leur plaisaient. »

« On nous a enfermées dans une grande maison. Les hommes venaient nous violer le soir. Ensuite, on nous a vendues à un autre chef. »(8)

L’Etat islamique théorise et assume le fait que les femmes sont une marchandise. Celles issues des zones conquises sont, la plupart du temps, considérées comme des esclaves. Elles sont offertes aux combattants ou proposée à des tarifs « avantageux » aux aspirants combattants, dans de véritables maisons de prostitution.

Les femmes venant rejoindre le djihad en Syrie sont proposées comme épouses aux futurs combattants après une cérémonie d’à peine quelques minutes.

Celles qui n’ont pas trouvé « preneurs » sont ensuite revendues, notamment aux maisons de prostitution libanaises.

Boko Haram, la branche de Daech au Nigéria, procède à des razzias et se finance à peu près exclusivement de la vente de femmes et d’enfants.(9)

1.3 Daech et les enfants

Les « femmes » de 8 ans sont vendues par Daech plus chères que celles de 12 ans, et ainsi de suite au fur et à mesure de l’âge de la personne.(10)

Une vidéo de Daech montre six enfants exécuter des prisonniers.(11)

Au Nigéria, des enfants de moins de 10 ans sont utilisés dans des marchés pour actionner des ceintures d’explosifs ou pour être porteurs de bombes déclenchées à distance.(12)

1.4 Daech face aux autres courants religieux et aux minorités ethniques

Le meurtre d’autres musulmans est apparu en 2000 avec la constitution en Irak de l’organisation qui allait donner plus tard naissance à Daech.(13)

- La pose de bombes dans des cérémonies et institutions religieuses chiites avait pour but de provoquer une guerre civile entre chiites et sunnites.

- Daech organise l’extermination ou la transformation en esclaves des populations pratiquant le yézidisme, une religion qui préexistait à l’Islam : il y aurait entre 2 000 et 3 000 Ezedis esclaves du califat.(14)

Cette politique permet au passage de mettre la main sur les propriétés et commerces des minorités.

1.5 Construire une « utopie » contre-révolutionnaire totalitaire

Les exactions de Daech ne sont pas le fruit d’un « accès de folie », mais celui d’un projet méthodique.

Les vidéos de Daech ne font pas uniquement l’apologie de ses crimes. L’Etat islamique s’y met également en scène comme un havre de stabilité et de paix, dans une région marquée par le chaos, la guerre et un climat de crise. Cette promesse utopique explique aussi pourquoi Daech a réussi à s’étendre rapidement. « C’est l’aspect le plus mal compris, et peut-être le plus important, de la propagande de Daech dans le monde arabe ».(15)

Un discours sur « l’imminence de la fin des temps » sert de justificatif à la brutalité indispensable à la mise en place de cette « utopie ».

La nouvelle devise de Daech est explicite : « Nous transformerons nos régions en un paradis, sinon nous irons tous au paradis ! ».(16)

Le projet politique de Daech a été publié entre 2002 et 2004 dans un manuel intitulé « Administration de la sauvagerie ».(17)

On y apprend comment lutter contre les espions, diviser l’ennemi, survivre aux bombardements, emporter l’adhésion des populations, administrer les territoires conquis.

Le mode opératoire pour établir un Etat islamique peut être résumé ainsi :

1) Harasser et déstabiliser l’ennemi par des opérations incluant la pose de bombes dans des lieux touristiques et des sites économiques importants (liés notamment au pétrole). Le but est de pousser à l’effondrement des structures de l’Etat pour produire un « chaos sauvage ».

2) Ce chaos a pour but de susciter la croissance de l’insécurité individuelle, la disparition des droits sociaux de base, et l’explosion de multiples formes de violence.

3) Il doit permettre ensuite aux djihadistes, de « gérer ou administrer la sauvagerie » par la fourniture de service comme « la nourriture, les soins médicaux, la sécurité et la justice aux peuples vivant dans ces régions sauvages, tout en protégeant leurs frontières et en les fortifiant afin de dissuader ceux qui voudraient en forcer le passage ».

4) « L’Administration de la sauvagerie » recommande dans ce cadre une violence délibérément excessive et performative : « Massacrer l’ennemi et susciter l’effroi dans ses rangs ».

5) Ce déchainement de violence doit précipiter une « polarisation » amenant les peuples à se battre, qu’ils le veuillent ou non, chacun derrière son camp. Cette confrontation doit être très brutale, de façon à ce que la mort soit omniprésente.

Dans ce cadre, il convient de soumettre la population par la peur et de la sanctionner lourdement pour le moindre écart(18) :

- Exécutions publiques quotidiennes de « traîtres », « renégats », « espions » ou « sorcières » ;

- Coups de fouet et jours de prison ;

- Torture : « les méthodes de torture dans les prisons rappellent celles du régime de Bachar al-Assad, où l’on ordonne au prisonnier d’en torturer un autre, et où un fils est [torturé] devant son père ou inversement » ;

- La « justice » est rendue en se basant essentiellement sur l’accusation de mécréance ainsi que sur des accusations sans preuve ni témoin, y compris en ce qui concerne l’adultère ou l’homosexualité.

- Travaux forcés, notamment pour creuser des tranchées et des tunnels destinés à abriter les combattants de l’Etat islamique des raids aériens ;

- Interdiction de fuir les bombardements en partant se réfugier ailleurs, utilisation de civils comme « boucliers humains ».(19)

Daech a fait des zones qu’il contrôle un laboratoire d’une nouvelle société réactionnaire : habillement, rythme de vie, alimentation, éducation, activités économiques, loisirs… tous les détails de la vie quotidienne sont réglementés et organisés.

- Les vêtements ne doivent pas souligner les formes ni gêner les génuflexions de la prière. Des jeunes filles ont été battues ou arrêtées à cause de leurs chaussures de couleur.

- Prière obligatoire et fermeture des commerces aux heures de prière.

- Amendes exorbitantes contre les fumeurs, les tricheurs ou les retardataires à la prière.

- Le nouveau « programme d’enseignement islamique » exclut la philosophie et la chimie, « deux matières qui ne tiennent pas leurs références de Dieu ».

- A l’école, a été mise en place une séparation stricte entre filles et garçons à tous les niveaux - et bien entendu entre enseignants et enseignantes.

Une des raisons des attaques de Daech contre le Rojava est le fait que les valeurs affichées par ces deux entités sont contradictoires.(20)

Deuxième partie : la fabrication du monstre

La matrice dans laquelle Daech s’est constitué est la branche irakienne d’al-Quaïda, d’où la nécessité de commencer par présenter cette organisation.(21)

2.1 Al-Quaïda

Al-Quaïda a vu le jour en 1987 dans le cadre de la lutte contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan,

A cette époque, Al-Quaïda a bénéficié d’un important soutien américain et pétro-monarchique.

Dans le monde entier, ce conflit a fait l’effet d’un aimant sur l’ensemble des islamistes voulant pratiquer la lutte armée. Al-Quaïda a eu un effet fédérateur en donnant la possibilité à des petits groupes opérant sur un plan local, d’accéder au rang de forces de frappe transfrontière.

Quelques individus ont joué un rôle fondamental dans sa constitution :

- Osama Ben Laden

Un fils de milliardaire saoudien sans grande éducation religieuse.

- Ayman al-Zawahiri Un médecin égyptien passé par les Frères musulmans. C’était le soutien intellectuel de Ben Laden et son successeur actuel.

- Abdullah Azzam Un salafiste palestinien également passé par les Frères musulmans.

Avec la fin de la guerre d’Afghanistan (1989), puis l’implosion de l’Union soviétique, ces combattants aguerris ont été réduits au statut d’indésirables par leurs anciens sponsors.

La mutation d’al-Quaïda

Lors de la guerre du Golfe (août 1990 - février1991) al-Quaïda s’est retourné frontalement contre les USA et l’Arabie saoudite dont ils étaient auparavant les alliés.

Al-Quaïda a alors multiplié les attentats dans une série de pays, dont ceux du 11 septembre 2001 aux USA.

2.2 Le contexte de la création de Daech

2.2.1 Le reflux partiel de la vague de 2011

La vague révolutionnaire a été suivie par la contre-offensive(22) :

- des forces réactionnaires locales et régionales,

- des grandes puissances au niveaux politique, économique et parfois militaire.

Les processus révolutionnaires ayant été bloqués, un sentiment de désespoir à l’échelle régionale s’est substitué à l’optimisme initial de 2011.

Ces reculs et la perception d’un chaos croissant ont servi de terreau à un développement de l’islamisme armé, qui a en retour accentué ce chaos. Cela a notamment été le cas en Syrie avec la militarisation du conflit par Bachar, et le soutien de divers pays à des groupes djihadistes (Turquie, Arabie Saoudite, etc.).

2.2.2 L’existence de plusieurs milliers de combattants prêts à l’emploi

Ceux-ci sont :

- expérimentés, car ils ont guerroyé pendant une trentaine d’années dans de multiples pays.

- loyaux, car ils sont tous volontaires.(23)

2.3 Une brève histoire de Daech

Daech est en partie issue d’al-Quaïda (voir point 2.1 et la note 24)

* Al-Quaïda en Irak

2002 : Arrivée de Zarqawi et d’autres djihadistes en Irak, où la guerre avec les USA est à l’horizon. Zarqawi passe un accord avec le régime de Sadam Hussein et les tribus qui le soutiennent.

Il noue notamment des contacts avec des responsables baasistes, dont un officier des services secrets de Saddam Hussein, qui jouera un rôle fondamental par la suite.

2004 : Zarqawi prête allégeance à al-Qaeda. Des groupes radicaux d’Irak et du monde entier se rallient à lui.

Très rapidement, la branche irakienne d’al-Quaïda devient la principale force militaire s’opposant à l’armée américaine et ses alliés chiites.

Elle mobilise les frustrations de sunnites irakiens contre les chiites désignés comme des renégats (takfir).

La politique antichiite du groupe de Zarqawi est une des principales causes de la rupture en 2006 entre la direction internationale d’al-Quaïda et sa branche irakienne.

* Fondation de l’Etat islamique d’Irak (octobre 2006)

Elle résulte de la fusion entre le groupe Zarquawi et des officiers baasistes qui constitueront l’armature militaire et sécuritaire de l’Etat islamique.

* Proclamation de l’Etat islamique en Irak et en Syrie (Daech) - (avril 2013)

* Conquête de Mossoul, deuxième ville d’Irak (7 juin 2014)

- Récupération de plusieurs centaines de blindés et de 5 000 auto-mitrailleuses.

- Confiscation d’avoirs bancaires (782 millions d’euros). Al-Baghdadi devient le plus riche des seigneurs de la terreur.

- Libération de prisonniers sunnites dont la plupart rejoindront Daech.

- Massacre de 800 détenus chiites.

Dans la foulée, Daech conquiert une partie de la Syrie : une raison supplémentaire pour ne pas considérer Daech comme une force anti-impérialiste.

* Proclamation du rétablissement du califat (29 juin 2014)

Le chef de Daech se proclame de cette façon comme ayant autorité sur l’ensemble des musulmans de la planète. Il appelle au jihad dans le monde entier et lance ainsi une OPA sur tous les mouvements jihadistes du monde, dont Boko Haram au Nigeria.

* La construction de l’Etat islamique

Elle passe par la mise en pratique du projet « De l’administration de la sauvagerie », publié entre 2002 et 2004 (voir plus haut le point 1.5)

La grande nouveauté par rapport à ce qu’avait fait auparavant al-Quaïda, est que Daech dispose d’un territoire vaste comme la Grande-Bretagne, peuplé de 8 millions d’habitants et de ressources très importantes.

2.4 Les ancêtres religieux de Daech

Une référence religieuse est incluse dans le nom même d’Etat islamique. Ce point particulièrement complexe est développé en annexe.(25)

Pour résumer, il s’agit d’un agrégat de courants minoritaires de l’Islam :

- Daech se réclame de l’Islam politique, et rejette ceux qui font de la religion une affaire strictement privée.

- Au sein de l’Islam politique, Daech est un courant strictement sunnite, qualifiant de « renégats » les autres courants musulmans.

- Un point commun avec les Frères musulmans, est un projet de société reposant sur les règles de vie censées avoir été en vigueur à l’époque du prophète, avec notamment un statut inférieur pour les femmes.

- Contrairement à ce que prônait le fondateur des Frères, ce projet n’est pas une perspective lointaine couronnant une islamisation progressive « par en bas ». C’est un projet devant être imposé dès maintenant par la terreur.

- Daech s’inspire notamment de Sayyid Qotb, un des idéologues des Frères qui a radicalisé le discours « réformiste » initial.

- Viennent s’y ajouter la tradition wahhabiste en vigueur en Arabie Saoudite, et une longue liste d’idéologues (on retrouvera les écrits de l’un d’entre eux chez Coulibaly et les frères Kouachi).

L’une des innovations essentielles de l’Etat islamique est la présentation du califat comme le dernier régime avant « la fin des temps » qui verra l’instauration de l’ordre voulu par Dieu.

Cette jonction entre l’idéologie jihadiste et l’imaginaire apocalyptique sert de justificatif à la démultiplication de la violence meurtrière et à l’instauration de l’esclavage.

Cette orientation est très attractive auprès de certains jeunes nourris de films ou jeux vidéo ayant une dimension apocalyptique.

2.5 Daech est aussi issu de la tradition baathiste et de la décomposition de l’Irak

2.5.1 Retour sur la tradition baathiste

Daech s’est construit sur les décombres de deux pays dirigés pendant des années par des baathistes(26) :

- les Assad pour la Syrie (depuis 1970, soit 46 ans),

- Saddam Hussein pour l’Irak (de 1970 à 2000).

Malgré leurs divergences, ces deux régimes ont de nombreux points communs ayant favorisé l’émergence de l’Etat islamique :

* l’Etat de droit y a cédé la place à une nébuleuse de polices politiques en charge de réduire les populations à l’obéissance sous la conduite d’un chef.

* Dès lors, seuls les réseaux et les liens personnels peuvent préserver l’individu ou lui permettre de connaître une ascension sociale.

* Le recours à la torture est d’un usage courant en Irak et en Syrie.

* De février à septembre 1988, le régime de Sadam Hussein a entrepris un véritable génocide contre les kurdes d’Iraq, conduisant à l’élimination de plus de 180 000 civils. L’épisode le plus célèbre est le bombardement aux gaz chimiques de la ville kurde d’Halabja le 16 mars 1988.

2.5.2 La politique occidentale de décomposition de l’Irak

Entre 1991 et 2003, la plus grande partie de population irakienne a été réduite à la misère par un blocus économique occidental implacable.

A partir de 2003, la politique américaine de démantèlement des forces armées de Sadam Hussein a laissé sans emploi des milliers de militaires. Daech a structuré son ossature militaire à partir d’eux.(27)

La coordination entre Al Qaida en Irak et ces officiers supérieurs a commencé lors de leur séjour commun dans des prisons de l’armée américaine.

Privés d’emploi après leur libération, nombre de gradés ont rallié les groupes les plus fanatiques et les plus résolument hostiles au processus de refondation de l’État irakien selon le schéma américain.

La définition de la stratégie militaire de Daech est principalement assurée par les anciens officiers irakiens. Parmi eux, au moins 7 généraux, 7 colonels et 3 commandants.

Rejoindre Daech permet par ailleurs à l’ensemble des militaires au chômage de sortir de la misère, et même d’améliorer considérablement leur situation matérielle : les combattants de l’Etat islamique sont en effet bien rémunérés (deux fois plus que dans l’armée irakienne).

Des milliers d’enseignants, de médecins et de fonctionnaires subalternes, ont été licenciés parce que membres du parti Baath, provoquant l’effondrement des services sociaux de base. Daech en a embauché un grand nombre pour construire son Etat.

Les hommes d’affaires, camionneurs et contrebandiers, qui avaient permis au régime de Sadam Hussein de contourner en partie l’embargo imposé par les USA, peuvent désormais poursuivre leur activité dans le cadre de l’Etat islamique.(28)

2.5.3 La sauvagerie des USA en Irak

La sauvagerie a été banalisée par l’occupant américain : suspension de l’habeas corpus, autorisation de la torture, enlèvements et assassinats extrajudiciaires.

Aux pensionnaires des prisons d’Afghanistan, d’Irak et de Guantánamo, l’armée américaine a enseigné le fait que le droit international humanitaire est un pantin dont on peut se jouer à sa guise.

2.5.4 La politique américaine d’exacerbation du confessionnalisme

- La population sunnite a été réprimée et marginalisée.

- En accord tacite avec l’Iran, les USA ont institutionnalisé un Etat dominé par les chiites et soutenu par des milices confessionnelles.

Cette situation n’a fait qu’empirer après le départ des troupes américaines, en 2011.

Dans un contexte d’insécurité socioéconomique sans précédent, la marginalisation des sunnites a créé une base sociale sur laquelle Daech a pu prospérer.

2.5.5 L’utilisation par Daech du sectarisme religieux

La création d’un Etat islamiste passe par le renversement du régimes irakien mis en place par les USA, puis par le régime syrien.

Tous deux sont basés sur le sectarisme religieux chiite (version alaouite dans le cas de Bachar).

Cela explique pourquoi, en rupture avec la tradition d’al-Quaïda dont il avait été la branche irakienne, Daech s’est appuyé sur la tradition anti-chiite du djihadisme sunnite.

2.5.6 Le ralliement du parti baath irakien à Daech

Le successeur de Saddam Hussein à la tête du parti a notamment adressé « un salut rempli de fierté, de considération et d’amour (...) aux héros et chevaliers d’Al Qaida et de l’État islamique ».(29)

2.5.7 La politique du dictateur syrien Bachar al-Assad

Pour réprimer le soulèvement syrien de 2011, Assad a en effet libéré des djihadistes entraînés, dont beaucoup sont devenus des leaders et combattants des groupes fondamentalistes.

Le conflit entre Bachar et ses opposants s’est traduit par une situation cahotique dans une grande partie du territoire syrien facilitant la mainmise des troupes de Daech.

2.6 Le financement de Daech

Ce point est détaillé en annexe.(30)

Comme al-Quaïda, Daech est financé par :

- des donateurs étrangers,

- des rançons suite à des kidnappings.

Mais, à la différence d’al-Quaïda, Daech dispose d’un territoire, ce qui le rend indépendant des financiers salafistes pétro-monarchiques.

Les ressources de « l’Etat islamique » se situeraient entre un et trois milliards de dollars par an, ce qui en fait l’organisation terroriste la plus puissante au monde financièrement. Daech combine :

- « impôts »,

- trafic d’antiquités,

- vente de pétrole, de gaz, de ciment, de phosphate, de coton, de produits agricoles, de produits prohibés par la religion musulmane, y compris les stupéfiants,

- vente de bijoux volés, de femmes, d’enfants, d’organes humains prélevés sur les prisonniers ou les esclaves.

Daech contrôle un territoire à peu près grand comme le Royaume-Uni qu’il gère avec une administration en charge de la police, des écoles et des tribunaux, l’accès à l’eau, à l’électricité (fourniture de groupes électrogènes) et à la nourriture (pain subventionné…).

L’Etat islamique verse aux combattants une rémunération confortable ainsi que des allocations familiales.

Il distribue à ses membres une partie des maisons, voitures et commerces des populations assassinées ou poussées à l’exil.

Il appelle ses partisans du monde entier à venir s’installer sur le territoire de son État... sur le modèle sioniste de la migration en Palestine.

2.7 Daech et les autres forces présentes en Syrie

Voir le document sur la Syrie présenté lors de la formation du 3 février (à paraître).

Troisième partie : Daech à l’extérieur de l’Irak et de la Syrie

3.1 Le processus de mondialisation jihadiste

Il y aurait en Irak et en Syrie environ 30 000 combattants étrangers provenant d’au moins 86 pays.(31)

La Tunisie caracole en première position avec 6 000 individus.

En deuxième position arrivent des Saoudiens avec 2 000 jihadistes.

La Turquie est également un important fournisseur de combattants.

Des groupes djihadistes ont prêté allégeance à Daech dans un grand nombre de pays.

3.2 Libye

Daech encourage désormais ses combattants à rejoindre la Libye, un riche pays pétrolier plongé dans le chaos qui compte :

* deux parlements et gouvernements rivaux,

* une zone centrale qu’aucun de ces deux pouvoirs ne contrôle,

* de nombreuses milices armées,

* des armes à profusion.

La Libye est la première et seule implantation territorialisée de Daech en dehors de l’Irak et de la Syrie.

Selon des sources sécuritaires proches du gouvernement de Tripoli, Daech contrôlerait désormais entre 20 et 23 % du territoire libyen(32).

3.3 Tunisie

* Attentat de Sousse (26 juin 2015),

* Décapitation d’un jeune berger, le même jour que les attentats du 13 novembre 2015 en France.(33)

* Attentat de Tunis (25 novembre 2015).

600 des Tunisiens partis faire le jihad à l’étranger seraient revenus au pays.

3.4 Afrique subsaharienne

Plusieurs groupes ont fait allégeance à Daech, dont Boko Haram au Nigéria.

3.5 Indonésie

L’attentat du 14 janvier 2016 contre le plus grand pays musulman du monde montre, une fois de plus, que les pays occidentaux ne sont pas les seules cibles de Daech.(34)

3.6 Pays occidentaux

Les attentats les plus spectaculaires à ce jour ont eu lieu en 2015 (Charlie hebdo le 7 janvier, Paris et Saint-Denis le 13 novembre). Environ 20 à 30 % des djihadistes partis des pays occidentaux pour faire le djihad seraient revenus dans leur pays d’origine.

Quatrième partie : le jeu des Etats étrangers

Le positionnement des différents Etats varie en fonction de leurs intérêts du moment. Leurs alliés d’un jour peuvent devenir rapidement leurs ennemis de demain, et réciproquement. Les justificatifs idéologiques avancés s’adaptent en permanence à ces circonvolutions.

- Kadhafi, par exemple, a été successivement la hantise des pays occidentaux, l’hôte de marque de l’Etat français, pour finir comme l’homme à abattre ;

- Bachar el-Assad a été un invité d’honneur au défilé du 14 juillet à Paris, puis un dictateur dont le départ été jugé indispensable, pour devenir ensuite un chef d’Etat avec qui il conviendrait de négocier et dont l’armée devrait être « préservée » ;

- Sadam Hussein a été l’homme des américains dans les années 1980, puis l’homme à abattre,

- Hier vilipendé, l’Iran est maintenant un partenaire de François Hollande ;

- Le PKK et les organisations qui lui sont liées sont toujours classifiées comme « organisations terroristes » par les USA ... qui assurent néanmoins aujourd’hui la couverture aérienne indispensable à leur progression au sol ;
- al-Quaïda, qui a organisé les attentats du 11 septembre 2001, et dont la branche irakienne a ensuite fondé Daech, a été initialement sponsorisée par les USA et l’Arabie Saoudite. Cinquième partie : quel positionnement pour Solidaires ?

5.1. Daech n’est pas le fruit d’une cause unique

Comme cela a été indiqué plus haut, Daech résulte au contraire de la conjugaison d’une série de facteurs (35) :
- le reflux partiel de la vague révolutionnaire de 2011,
- la contre-offensive de la réaction locale et internationale,
- trente ans d’expérience militaire djihadiste,
- un projet politique religieux, contre-révolutionnaire et totalitaire,
- la décomposition de l’Irak,
- la sauvagerie américaine en Irak,
- la politique des successeurs de Sadam Hussein,
- la politique de Bachar el-Assad.

5.2 Les dangers du « campisme »

Présenter Daech comme la conséquence d’une cause unique (ou tout au moins une cause fondamentale relativisant toutes les autres), est lourd de danger. Plus que de chercher à comprendre le réel, une telle approche sert le plus souvent à vouloir faire prévaloir un point de vue préétabli (et/ou les intérêts) de celles et ceux qui y ont recours.

1) Présenter Daech comme étant la conséquence ultime de la religion musulmane, sert souvent de prétexte à justifier un rejet de cette religion en tant que telle. 2) Expliquer la situation actuelle comme la continuation d’un conflit millénaire entre sunnites et chiites, permet de rejeter la barbarie actuelle sur une caractéristique « culturelle » qui serait inhérente aux peuples de la région ; 3) Présenter l’existence de Daech comme une forme de réponse aux agressions de puissances internationales ou régionales part souvent de la volonté de se démarquer avant tout de celles-ci, en relativisant la nécessité de combattre simultanément cette organisation ; 4) Partir avant tout d’une approche géopolitique répond avant tout aux préoccupations premières de celles et ceux dont le métier est de diriger des Etats et/ou de faire la guerre et/ou de vendre des armes (en évoquant au passage le fait qu’en France, l’armement représente 100 000 emplois).

Cette démarche débouche ensuite souvent sur la désignation d’un « ennemi principal » contre lequel doit être constitué le « camp » de tous ceux ceux qui le combattent. Trois variantes sont alors possibles :
- se rallier aux positions de membres de ce « camp »,
- relativiser les divergences avec tout ou partie d’entre eux,
- considérer qu’ils restent des adversaires, mais que par « réalisme » il est nécessaire de renvoyer à un futur indéterminé l’affrontement avec eux, voire de les « préserver temporairement ».

5.3 Une seule boussole : la solidarité avec les peuples en lutte

Indépendant de tout Etat (ou embryon d’Etat) et de tout parti politique, l’Union syndicale Solidaires n’a qu’une seule boussole : la solidarité avec les peuples, et les organisations syndicales et associatives partageant nos grandes valeurs. Le type de société mis en place par Daech, et son comportement concret étant à l’antipode des nôtres, nous ne pouvons qu’être en opposition radicale avec ce courant. Pour autant, nous refusons de nous mettre à la remorque de quiconque, et notamment d’Etats s’étant proclamés « en guerre » contre cette organisation, après avoir contribué à un moment ou à un autre, directement ou indirectement à la naissance de ce monstre. Les ennemis de nos ennemis .... sont également très souvent nos ennemis. Quelques lectures :

- Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

- MC Ebrari (avril 2015) : Islamic state framework text https://ebrari.wordpress.com/english/

- Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) Traduction partielle : http://www.solidarites.ch/journal/d... http://www.europe-solidaire.org/spi...

- Nabil Mouline : Génèse du djihadisme (Le Monde diplomatique - décembre 2015) http://www.europe-solidaire.org/spi...

- Mathieu Rey : L’Etat islamique est aussi la créature du baasisme (Le Monde, 17 novembre 2015) http://alencontre.org/moyenorient/i...

- Christian Chavagneux : L’argent de Daech (Altereco, 18 novembre 2015) http://www.alterecoplus.fr/internat...

- Nombreux reportages d’Hala Kodmani parus dans « Libération » http://www.liberation.fr/auteur/125...

- Daech et les femmes http://www.liberation.fr/planete/20...

http://www.francetvinfo.fr/monde/pr...

- Daech et les enfants

http://directinfo.webmanagercenter....

- Daech et le prélèvement d’organes sur des prisonniers et des esclaves

http://kapitalis.com/tunisie/2015/1...

- Attentat en Tunisie, et décapitation d’un jeune berger le même jour que les attentats du 13 novembre en France

http://alencontre.org/video/daech-f...

- Attentat du 14 janvier 2016 en Indonésie

http://geopolis.francetvinfo.fr/l-o...

Notes :

1. Voir la quatrième partie de ce texte.

2. Celia Mercier (3 décembre 2014) http://www.liberation.fr/planete/20... Ce qui suit est essentiellement tiré du dossier réalisé par Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

3. Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) Traduction partielle : http://www.solidarites.ch/journal/d... http://www.europe-solidaire.org/spi...

4. http://plus.franceculture.fr/la-ban...

5. Hala Kodmani (14 et 22 septembre 2014) http://www.liberation.fr/planete/20...

6. http://www.liberation.fr/planete/20...

7. MC Ebrari (avril 2015) : Islamic state framework text (chapitre 3) https://ebrari.wordpress.com/english/

8. http://www.liberation.fr/planete/20...

9. http://www.francetvinfo.fr/monde/pr...

10. http://www.europe1.fr/international...

11. http://directinfo.webmanagercenter.... des-detenus-syriens/

12. http://www.europe1.fr/international...

13. Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) Traduction partielle : http://www.solidarites.ch/journal/d... http://www.europe-solidaire.org/spi...

14. Hala Kodmani (14 septembre 2014 et 1er décembre 2015), Adam Hanieh (3 décembre 2015).

15. Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) http://www.europe-solidaire.org/spi...

16. Hala Kodmani (1er septembre 2015) http://www.liberation.fr/planete/20...

17. « Administration de la sauvagerie / Gestion de la barbarie »- Editions de Paris - commentaires d’Adam Hanieh (3 décembre) et Nabil Mouline (décembre 2015).

18. Hala Kodmani (1er septembre 2015) http://www.liberation.fr/planete/20...

19. Hala Kodmani (18 novembre 2015) http://www.liberation.fr/planete/20...

20. MC Ebrari (avril 2015), chapitre 2 : Islamic state framework text https://ebrari.wordpress.com/english/

21. Ce qui suit est essentiellement tiré du texte de MC Ebrari et du dossier réalisé par Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

22. Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) Traduction partielle : http://www.solidarites.ch/journal/d... http://www.europe-solidaire.org/spi...

23. MC Ebrari (avril 2015) : Islamic state framework text https://ebrari.wordpress.com/english/

24. Voir Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

25. Une annexe sur les racines religieuses de Daech sera rapidement disponibles.

26. Mathieu Rey : L’Etat islamique est aussi la créature du baasisme (Le Monde, 17 novembre 2015) http://alencontre.org/moyenorient/i... Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

27. Voir Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech http://www.madaniya.info

28. Adam Hanieh : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) http://www.europe-solidaire.org/spi...

29. Haytham Manna (septembre 2014) : Dossier sur le Califat de Daech, chapitre 3 http://www.madaniya.info

30. Annexe sur les finances de Daech http://www.europe-solidaire.org/spi... 00002528.html

31. http://lapresse.tn/15122015/107705/...

32. Ali Bensaâd (13 décembre 2015) http://www.liberation.fr/debats/201...

33. http://alencontre.org/video/daech-f...

34. http://geopolis.francetvinfo.fr/l-o...

35. Voir notamment : A Brief History of ISIS (Jacobin, 3 décembre 2015) http://www.europe-solidaire.org/spi... Gilbert Achcar - Le peuple veut, Actes Sud (2013) pp 143-154). Haytham Manna chapitre 1 http://www.madaniya.info MC Ebrari https://ebrari.wordpress.com/english/


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