Les secrets de la "machine à cash" du FN

lundi 14 mars 2016.
 

Challenges a eu accès au rapport de police sur le financement des campagnes électorales du Front national. Une affaire qui menace Marine Le Pen. L’Etat major du Front National est mis en cause dans la synthèse de l’enquête de police sur le financement des campagnes électorales de l’extrême droite.

C’est un document accablant pour les dirigeants du Front national. La synthèse de l’enquête de police sur le financement des campagnes électorales de l’extrême droite, que Challenges a pu consulter, met en cause tout l’état-major du Front : sa présidente Marine Le Pen, son secrétaire général Nicolas Bay, son trésorier Wallerand de Saint-Just et trois de ses vice-présidents Steeve Briois, Jean-François Jalkh et Florian Philippot.

Transmis aux juges Aude Buresi et Renaud Van Ruymbeke début août 2015, ce rapport détaille comment le micro-parti Jeanne, créé en 2010 par des proches de la patronne du FN, a utilisé les règles de remboursement public des campagnes législatives de 2012 pour brasser quelque 9 millions d’euros. Une formidable machine à cash qui a tourné à plein régime sur le dos des contribuables, soupçonnent les enquêteurs.

532 kits facturés

Le système a été minutieusement décortiqué par la brigade financière. Le principe : un gonflement artificiel des frais des candidats frontistes – tracts, affiches, sites internet, etc. -, afin de maximiser les remboursements de l’Etat (versés après coup à ceux qui récoltent plus de 5% des voix). Une note du 2 février 2012 signée de Steeve Briois et validée par Jean-François Jalkh spécifiait même que "l’investiture du FN n’est validée qu’après signature du bon de commande relatif au kit de campagne". Les bénéficiaires : les prestataires via des marges ultra-élevées, le micro-parti Jeanne qui prêtait l’argent aux candidats moyennant intérêts (une manne de 360.000 euros en 2012) et le Front via des largesses accordées en retour par les prestataires.

Au total, quelque 532 kits ont été facturés durant les législatives de 2012, dont la très large majorité à 16.650 euros. A ce tarif, les candidats recevaient 70.000 exemplaires du journal de campagne, 4.000 tracts, 10.000 cartes postales et 1.000 affiches. Et ce quel que soit le nombre d’habitants ou la taille de la circonscription. "Entendus, certains candidats indiquaient avoir été livrés en trop grande quantité et/ou trop tardivement pour faire une bonne campagne, pointe le rapport. La plupart ne savait même pas ce qui leur avait été réellement et précisément fourni." Plusieurs candidats ignoraient tout bonnement qu’ils avaient droit à un site internet personnalisé…

Des candidats prête-noms

Plus grave, le "kit" a été fourni à des candidats qui n’ont pas fait campagne. Devant les policiers, Jacqueline Largeteau, candidate dans le Puy-de-Dôme, a admis n’avoir jamais mis les pieds dans sa circonscription durant la campagne, tandis que Katia Terras et Bruno Petit, candidats en Haute-Savoie et dans le Morbihan, ont avoué ne s’y être rendus que le jour du vote... "Ces candidats s’avéraient donc être des prête-noms comme certains se qualifiaient eux-mêmes lors de leur audition", résume le rapport. Ou plus exactement des candidats quasi-fantômes. "Les affiches et les tracts ont été utilisés, simplement ce sont les militants qui les ont collés et distribués", défend Dominique Martin, secrétaire départemental du FN en Haute-Savoie.

Les enquêteurs soupçonnent aussi des surfacturations. Inclue dans le « kit », la prestation de l’expert-comptable, Nicolas Crochet, était facturée à un prix différent selon que le candidat soit ou non remboursé par l’Etat. Les candidats décrochant plus de 5% des voix – et donc remboursés - lui devaient 1.200 euros, tandis que les autres ne payaient que 350 euros… A Paris, six candidats ont obtenu le tarif réduit, tandis que douze ont payé le maximum, "alors que les comptes de campagne de ces candidats étaient tous identiques et présentaient donc la même charge de travail pour Nicolas Crochet et son cabinet", pointe le rapport.

Un monopole très rentable

Grande bénéficiaire du système, l’agence de communication Riwal jouissait d’un monopole sur la réalisation des "kits" et jouait le rôle d’interlocuteur unique des imprimeurs. Une position très confortable. La société dégageait des marges de 52% sur les affiches officielles et de 38,6% à 68% sur les prestations du "kit". Frédéric Chatillon, le patron de l’agence et proche de Marine Le Pen, a lui-même affirmé aux enquêteurs avoir "réalisé une marge de l’ordre de 70%" sur la propagande officielle de la présidentielle ! Sa société s’est ainsi fait rembourser 2,56 millions d’euros par l’Etat pour des coûts réels inférieurs à 700.000 euros…

Contacté le 16 février, l’avocat de Riwal souligne que ces niveaux de marge n’ont rien d’exceptionnel dans ce métier et qu’il s’agit de "marges brutes". Entendu par les juges début décembre, François Logerot, le président de la Commission nationale des comptes de campagne, l’organisme public qui contrôle les dépenses des candidats, avance au contraire que les sociétés similaires à Riwal dégagent généralement des marges "de 10 à 15%".

Etrange inversion des rôles

Brutes ou nettes, ces marges ont donné les moyens à Frédéric Chatillon d’effectuer un investissement de 300.000 euros dans la société singapourienne Giift.com, via une fausse facture à une société hongkongaise Ever Harvest. Elles ont surtout permis à Riwal d’accorder quelques cadeaux au Front, soupçonnent les enquêteurs. Dans une étrange inversion des rôles, l’agence a sous-traité en 2012 au FN l’impression d’une série de tracts thématiques. "Cette facture qui s’élevait à 412.000 euros n’avait coûté au Front national qu’au plus 85.000 euros au vu des factures fournies en justificatif par le trésorier du FN lui-même, Wallerand de Saint Just", relève le rapport. Soit une marge de quelque 80% pour le Front !

En 2013, la société Riwal a aussi pris en charge la fourniture de 44 duplicopieurs pour les fédérations du Front national et de deux copieurs pour la permanence de Marine Le Pen. Elle accordait un crédit fournisseur quasi-permanent au FN – qui atteignait 942.967 euros fin 2013 – et a salarié en mai et juin 2012 deux cadres du parti, Nicolas Bay et David Rachline. Une conseillère de Florian Philippot a également été rémunérée plusieurs années sous le statut d’auto-entrepreneure par Unanime, une société dirigée par la compagne de Frédéric Chatillon.

Même si elle n’a pas été mise en examen, difficile pour la patronne du FN de se défausser totalement. « Un système national avait été imposé par le Front national tant à ses candidats aux législatives 2012 lors d’un « conseil national élargi » du 1er mai 2012, qu’aux imprimeurs historiques du Front national dès avant les cantonales 2011 lors d’une réunion organisée et animée par les responsables nationaux du parti dont Marine Le Pen, nouvellement présidente », souligne le rapport. L’expert-comptable Nicolas Crochet a, quant à lui, indiqué « avoir négocié ses honoraires directement avec Marine Le Pen et Jean-François Jalkh »... En septembre, le Font national a d’ailleurs été mis en examen en tant que parti pour complicité d’escroquerie. Du jamais-vu.

Contactés, les dirigeants du Front national, Nicolas Crochet et les responsables de Jeanne n’ont pas souhaité répondre aux questions de Challenges.

Par Laurent Fargues


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