Jean-Luc Mélenchon : Le pari d’une candidature précoce et de la personnalisation

mercredi 30 mars 2016.
 

En se déclarant aussi tôt, on s’expose naturellement à la critique, qui peut corroder comme endurcir. Celle des fâcheux plus ou moins inspirés par l’extrême droite - sur la fortune supposée de Jean-Luc Mélenchon, sur son mauvais caractère fabriqué, sur sa vénération démoniaque de l’affreux Poutine voire sur sa double parenté hitléro-stalinienne pour les plus délirants, le tout illustré par force photos rebutantes, fait partie d’une musique de fond qui l’accompagne depuis longtemps, quoiqu’il fasse. Elle ne mérite que le mépris. Les médias joueront également leur partition ambigüe. Elle est celle d’une validation utile par la discussion raisonnée des propositions du candidat mais aussi d’une démolition par des chiens de garde soucieux de faire respecter l’ordre et la discipline politique exigés par le conformisme capitaliste de leurs actionnaires. Contre eux, Jean-Luc Mélenchon a théorisé une « stratégie de la conflictualité » car celle-ci « créé la conscience » (1). Elle fonctionne souvent comme le montre son dernier passage à l’émission « on n’est pas couché », où les différentes manipulations médiatiques sur ses propos en matière de politique étrangère ont accru le soutien à sa candidature sur le site jlm2017. L’expérience depuis 2012 montre cependant que le combat permanent épuise au risque d’y laisser un peu de lucidité. À Jean-Luc Mélenchon de ne pas succomber à la tentation de vouloir tout commenter et de multiplier ainsi les occasions de tomber trop souvent dans les chausse-trappes qui lui seront dressés pour « faire du buzz » (2).

La personnalisation assumée par Jean-Luc Mélenchon d’une candidature lancée sans consultation ni approbation du FDG choque certains pour qui elle relève non pas d’une culture de gauche authentique mais d’une conception désuète voire autoritaire de la politique (3). Nous ne voulons certes pas, une nouvelle fois, élire un monarque à durée limitée qui n’en fera qu’à sa tête une fois celle-ci ceinte de la couronne élyséenne et qui ne gouvernera que par la distribution de ses grâces à sa cour. Pour échapper radicalement à ce doute, certains suggèrent de partir en « voyage » c’est à dire ne plus participer à la comédie électorale, d’abandonner la société politique, de renoncer à l’État-nation pour créer « un tissu humain riche » à la place c’est-à-dire quelque chose qui ressemble aux communautés locales autosuffisantes décrites dans le livre L’insurrection qui vient (4). Mais, on ne se sent pas de taille à jouer au Mad Max dans un monde d’après l’apocalypse parcouru de bandes plus ou moins brutales. On n’a pas envie non plus, mais peut être sommes nous intoxiqués par l’histoire, de concourir au délitement du lien social et au recul de la civilisation qui pourraient être, vu l’intensité actuelle de la division du travail, d’une ampleur au moins équivalente à celle subie en Europe occidentale avec la disparition de l’Empire Romain.

Si la gauche doit, une fois encore, renaître dans la démocratie, la seule solution est elle, comme le rêvent ses bureaucraties politiques, dans le surgissement d’un mouvement populaire, de propositions qui remontent de la base, dans une alliance étroite entre les partis de gauche, dans la sélection d’un jeune inconnu ou mieux inconnue et enfin à l’apothéose – le tout en 15 mois ? Peut être - pour autant que cela ne débouche pas sur la mise sur le pavois d’un nouveau Tsipras. Mais, au nom de quoi devrions nous refuser que d’autres configurations soient testées, comme celle offerte par Jean-Luc Mélenchon, qui au moins affiche clairement son intention d’être le Cincinnatus de la Ve république et qui devra de toute façon composer pour obtenir une majorité parlementaire ?

Et puis, face aux triomphes des idées ultra-libérales et sécuritaires dans les élites gouvernementales, de pseudo-gauche comme de droite, face au Front national, l’urgence n’est elle pas celle du combat idéologique plutôt qu’organisationnel, en utilisant les ressources résiduelles disponibles dans la classe politique de gauche c’est-à-dire sa fraction non complètement compromise par François Hollande. Elle est aujourd’hui affreusement rétrécie et nous n’y voyons personne d’autres que Jean-Luc Mélenchon (5).

La double clarification bienvenue qu’apporte la candidature de JLM

Clarification vis-à-vis des autres composantes du Front de gauche et notamment du PCF tout d’abord. La ligne de ce dernier est devenue incompréhensible. D’un côté, les communistes critiquent sans concessions l’action gouvernementale, notamment sur le terrain économique et social - mais moins ardemment pour sa frénésie bétonnière et anti-environnementale. De l’autre, le PCF persiste à trouver le parti socialiste « moins pire » que la droite et il caresse l’espoir de l’en écarter encore plus en 2017 grâce à un rassemblement des forces de gauche. Nous n’y croyons pour notre part pas du tout, pour la simple raison que les électeurs ont refusé d’endosser cette stratégie à chaque scrutin depuis 2012. Le gain pour le PS de rallier le PCF est donc devenu marginal sauf à ce que celui-ci parvienne à bloquer toute candidature à la gauche de François Hollande en 2017. La pente naturelle des choses est donc que le PCF voire le FDG disparaisse de la présidentielle pour permettre le maintien des députés communistes aux élections législatives suivantes. En se portant candidat, Jean-Luc Mélenchon, après avoir beaucoup pratiqué l’apaisement au sein du FDG, oblige finalement le PCF à choisir entre radicalité et accommodements plus ou moins résignés aux socio-libéraux.

Clarification vis-à-vis des personnalités de gauche qui ont lancé l’idée de primaire pour désigner le candidat de toute la gauche ensuite. Une primaire est un moyen efficace de choisir les personnalités en compétition au sein d’un parti, comme le parti socialiste en vue de la présidentielle de 2012 ou bien « les républicains » en préparation de celle de 2017, pour autant que les perdants acceptent de soutenir le vainqueur lors du scrutin officiel. Elle change de nature quand elle prétend s’étendre à l’ensemble d’une « gauche » principalement définie comme une collection d’individualités « de Mélenchon à Macron » en affirmant motu poprio un continuum idéologique pourtant brisé entre le parti socialiste et les mouvements à sa gauche, comme si maintenir une durée légale du travail ou la laisser être fixée par les entreprises, avec un plafond qui nous renvoie à la première moitié du 19e siècle en matière de protection des salariés, relevait du même engagement politique. En réalité, pour beaucoup des fées plus ou moins intentionnées qui se battent pour avoir une place autour du berceau, la tentation, qui est également leur plus petit dénominateur commun, est grande de faire de la primaire une machine à écarter le plus en amont possible de l’élection présidentielle la « mauvaise gauche », celle qui a fait un bras d’honneur au projet de Traité constitutionnel européen en 2005. En refusant de s’y soumettre, Jean-Luc Mélenchon renvoie les soutiens de la primaire à leur responsabilité, qui est de tenter d’obliger le président sortant à justifier son bilan devant les militants socialistes et apparentés.

(1) Revue Charles n°7 page 69, entretien intitulé de manière significative « Nous révolutionnerons les médias ».

(2) Les journalistes mouches du coche étaient d’ailleurs déjà à l’œuvre dès la première réunion publique de Jean-Luc Mélenchon le lundi 15 février 2016 au théâtre Déjazet à Paris cf http://www.lesinrocks.com/inrocks.t....

(3) Cf. l’anathème lancé par Philippe Marlière, « politologue », eplus.nouvelobs.com/contribution/1481855-melenchon-candidat-a-la-presidentielle-il-tourne-le-dos-a-l-histoire-de-la-gauche.html.

(4) http://www.liberation.fr/debats/201...

(5) Celui-ci n’est pas un chevalier complètement immaculé car il a appelé à voter François Hollande dès le soir du 1e tour (pouvait on faire autrement ?) mais du moins n’en a-t-il tiré aucun profit personnel en terme de position élective ou ministérielle.


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