Souffrance animale dans les abattoirs : enjeux éthiques, alimentaires...

mardi 17 mai 2016.
 

- A) Pour nourrir l’humanité avec humanité (association L214)

- B) Produire plus, le plus vite possible, au mépris des animaux et des hommes

- C) Le changement se fera par le bas par Vincent Message Écrivain

- D) L’abattoir néolibéral et la consommation aliénée

Quels enseignements doit-on tirer des scandales dans les abattoirs ?

A) Pour nourrir l’humanité avec humanité

par Brigitte Gothière Cofondatrice et porte-parole de l’association L214

Tout le monde a été choqué par les récentes images de mise à mort des animaux dans différents abattoirs de France. Comme si nous ne le savions pas. Au fond, nous refusions simplement de soulever une question dérangeante. Avec ces vidéos, nous voici face aux implications terribles de notre routine alimentaire, face à nos responsabilités individuelles et collectives. On aimerait continuer de croire qu’on peut élever et tuer les animaux sans les faire souffrir. C’est oublier que ces images insoutenables achèvent des histoires tragiques qui commencent dans les élevages  : tri, sélection, séparation, mutilations, auxquels s’ajoutent promiscuité et entassement dans les élevages industriels, majoritaires en France.

Tuer avec dignité et respect  : en abattoir, aurait-on inventé la magie  ? Non, mais on a inventé le langage qui maquille habilement des faits ignobles sous des mots rassurants. Les animaux sont étourdis… Un mot doux pour désigner le défoncement du crâne et la destruction d’une partie du cerveau, l’asphyxie violente ou les décharges électriques. Étourdis  ? Parce qu’on a encore besoin d’eux vivants au moment de la saignée, entendez l’égorgement, pour que les animaux se vident rapidement de leur sang grâce à leur cœur qui bat encore. D’autres encore ne sont pas étourdis, mais égorgés en pleine conscience pour des motifs religieux, tandis que les poissons agonisent longuement dans les filets ou sur le pont des bateaux. Quelle que soit la méthode, les animaux sont tués contre leur gré, souvent dans de grandes souffrances, conscients de leur mort imminente, terrifiés par ce qui leur arrive.

Entre les êtres humains et les autres animaux, il y a des différences. Les découvertes en éthologie nous apprennent qu’il y a surtout de grandes similitudes  : en particulier le désir de vivre sa propre vie le mieux possible. Nos habitudes et notre culture nous retiennent dans un paradoxe, nous privent de cohérence  : nous ne voulons pas maltraiter et tuer sans nécessité… et nous le faisons pratiquement tous, chaque jour, en déléguant à d’autres le soin de faire le sale boulot.

On s’autoconvainc que c’est un mal nécessaire  : il faut bien manger. Et on s’appuie sur l’exemple de nos ancêtres. Mais avaient-ils le choix  ? Aujourd’hui, nos connaissances en nutrition nous permettent de nous passer de ces produits, de nous alimenter de façon vegan tout en étant en bonne santé. Nous sommes d’ailleurs plus nombreux chaque jour à le faire.

Nos choix ont un impact sur les autres. Ici, les autres sont les animaux en tout premier lieu et c’est une raison suffisante pour évoluer. Par ailleurs, la production et la consommation de produits d’origine animale sont lourdes de conséquences sur l’environnement, la santé publique et le partage des ressources. Les difficultés récurrentes des éleveurs ou des pêcheurs, les conditions de travail ahurissantes des ouvriers dans les abattoirs finissent de démontrer que ce système est néfaste, du premier au dernier maillon de la chaîne – système soutenu par des pouvoirs publics peu enclins au changement, inféodés à des lobbies centrés sur leurs intérêts particuliers.

Des injustices du passé sont aujourd’hui condamnées, comme l’esclavage humain ou le statut inférieur assigné aux femmes. Elles étaient soutenues par des intérêts puissants, elles aussi ancrées dans la conscience collective au point que la majorité les croyait normales, naturelles, nécessaires. La discrimination arbitraire – appelée spécisme – qui balaie les intérêts fondamentaux des animaux pour le moindre désir humain (un bout de viande, un verre de lait) est aussi amenée à disparaître. Un jour, nous mettrons ensemble fin à une ère d’injustice envers les animaux parce que c’est possible, parce que c’est logique, parce que c’est ce qu’il est juste de faire.

B) Rien n’est simple au pays de l’indignation facile

par Francis Wolff Philosophe

Les vidéos des abattoirs mises en ligne par l’association L214 ont provoqué une réprobation salutaire et une indignation unanime  : « Comment peut-on, à l’abri des regards, traiter des animaux comme des choses  ? » (On aimerait la même unanimité quand, au vu de tous, on traite des êtres humains comme des animaux – je pense aux réfugiés –, mais c’est une autre histoire).

L’histoire dont il s’agit ici est celle du productivisme contemporain. Produire plus, le plus vite possible, au mépris des animaux et des hommes. Car ce ne sont pas quelques hommes, filmés à leur insu dans des séquences mises bout à bout, qui doivent être mis en cause. C’est un système et il broie également les bêtes élevées, comme des marchandises, réduites à leur poids de viande, et les êtres humains travaillant comme des brutes réduites à leur force de travail. Qui accuser  ? Les travailleurs des abattoirs victimes des rythmes saisonniers que leur impose le marché  ? Les éleveurs qui se révoltaient récemment contre leurs conditions de survie  ? Plutôt les circuits de la grande distribution qui imposent à des prix censés être « toujours plus bas » des barquettes sous Cellophane  ? Sans doute, mais n’est-ce pas la concurrence qui leur a permis de dévorer les commerces de proximité  ? Alors, les consommateurs  ? Lesquels  ? Les privilégiés qui peuvent acheter au prix fort de la « bonne viande » chez leur boucher traditionnel  ? Ou la majorité de ceux qui se procurent des saucisses à l’hyper pour faire la fête autour d’un barbecue amical  ? Rien n’est simple au pays de l’indignation facile. Les animaux aussi sont écrasés par ce système qui marchandise le vivant. Mais ils ne sont pas victimes de « l’homme » en général, comme le répètent ceux qui opposent l’Homme, éternel bourreau, à l’animal, éternelle victime. L’Homme n’existe pas  : il y a des hommes, et en deçà, des modes de vie, des conditions sociales et des histoires. L’animal non plus n’existe pas. Car on ne peut regrouper dans une même catégorie les chiens et leurs puces, les chimpanzés et les huîtres. Ce qui existe, c’est une immense variété des formes de vie. C’est aussi mille histoires entre hommes et animaux, parfois belles, parfois tragiques  : le chasseur et son chien, le pêcheur tranquille, l’éleveur prudent, le cochon de la famille qu’on tuait les jours de fête  ; c’est aussi des luttes contre les bêtes nuisibles qui ravagent les cultures ou les troupeaux  ; enfin des récits d’apprivoisement, d’amitié, de coexistence ou de combat – qu’on ne saurait réduire à cette pathologie contemporaine qu’est l’élevage industriel.

Ces histoires nous ont donné des obligations différenciées. Non vis-à-vis de l’animal en général (que nous devrions « libérer », comme le répètent ingénument ceux qui se trompent de combat et de victimes), mais vis-à-vis des différentes faunes dont nous avons reçu la garde. Vis-à-vis de nos animaux de compagnie, nous ne devons pas rompre le « contrat affectif » qui nous lie à eux en les « libérant », comme des bêtes sauvages, au bord des autoroutes, au mois d’août. Vis-à-vis des espèces sauvages, nous devons respecter les équilibres écologiques en défendant la biodiversité, tantôt au profit des espèces menacées, tantôt au détriment des bêtes nuisibles. Et les « animaux de rente », qui nous donnent, depuis plus de 10 000 ans, leur miel, leur lait, leur cuir ou leur viande, nous avons le devoir de les élever dans des conditions qui les préservent des prédateurs et respectent les exigences biologiques de leur espèce. L’oubli du contrat moral que nous avons vis-à-vis des autres espèces n’est qu’un aspect de la folie du productivisme contemporain et il est la cause profonde des scènes horribles des abattoirs.

C) Le changement se fera par le bas par Vincent Message Écrivain

Les abattoirs sont le lieu de la souffrance, de la mort banalisée, de l’horreur à chaque minute. À la suite des actes de cruauté révélés cette année dans plusieurs régions de France par l’association L214, le gouvernement a fait quelques annonces  : il est question de généraliser la présence de responsables de la protection animale dans les établissements et de leur donner le statut de lanceurs d’alerte afin qu’ils osent parler s’ils se trouvent témoins d’exactions. Ordre a aussi été donné aux préfets de procéder à des inspections dans l’ensemble des abattoirs. Pour qui suit un peu ces questions, il est clair que ces mesures ne seront mises en œuvre que si la vigilance citoyenne ne se relâche pas un instant, que si nous sommes nombreux pour contrer l’influence que l’agro-industrie exerce sur le gouvernement, à vérifier que les annonces sont bien suivies d’effet et ne sont pas avant tout destinées à aider un secteur dont le modèle économique vacille.

Mais s’ils représentent un bon début, de tels changements ne pourraient de toute façon améliorer la situation qu’à la marge. Il est assez illusoire de penser qu’on peut abattre chaque année en France 747 millions de poulets, 23 millions de cochons, 4 millions de bovins en leur garantissant les conditions d’une vie décente et d’une mort sans souffrance. Que ce soit dans les fermes ou dans les abattoirs, les exigences de productivité, la recherche de rentabilité l’emporteront toujours sur le souci du bien-être animal.

Le changement réel n’est donc pas dans ces mesurettes. Il est entre nos mains – il se fera par le bas. Pour qu’il commence à poindre, nous devons finir de prendre conscience que l’élevage industriel est le lieu d’une violence qui contredit toutes les valeurs que nous voulons défendre. Il reflète bien la réalité de nos économies libérales qui exploitent et écrasent les plus faibles, mais il est l’exact opposé du monde que nous voulons construire.

Et s’il est temps que cette cause soit reconnue par tous les progressistes comme légitime et importante, c’est qu’il n’y a plus de temps à perdre. L’exigence éthique, en la matière, se double d’une urgence écologique. L’élevage est responsable de 14 % des émissions de gaz à effet de serre et d’une très grande partie de la déforestation  ; la surpêche vide les océans  ; la pisciculture massive les pollue. Prendre au sérieux la crise écologique, faire en sorte que les générations futures puissent habiter la Terre dans de bonnes conditions passent donc nécessairement par une action sur ce front-là.

En France, la première étape pourrait être, très simplement, de créer du choix là où l’alimentation omnivore est pour l’instant posée comme comportement par défaut. Toutes celles et ceux qui ont essayé le savent  : il reste très difficile de manger végétarien, a fortiori végétalien ou vegan dans l’espace public. Des cantines de restauration collective aux boulangeries, des bistrots aux supermarchés, nous devons faire entendre la demande pour que l’offre se développe. Il n’est pas normal que s’alimenter sans tuer soit encore un parcours d’obstacles, alors que tout prouve désormais que c’est un choix plus rationnel du point de vue de la santé publique, de la préservation de l’environnement et du respect des animaux.

Aujourd’hui, nous devons nous engager sur le long chemin qui mènera à la fin de l’exploitation animale. Ce combat est le prolongement logique de celui qui nous a vu abolir l’esclavage. Il se fera en parallèle de celui que nous continuons de mener pour faire reculer la domination masculine, le racisme ou l’assujettissement des salariés à une petite élite économique. Dans l’appel à la convergence des luttes, de plus en plus audible dans nos esprits, de plus en plus concret dans nos rues, la défense des espèces animales a toute sa place à prendre.

D) L’abattoir néolibéral et la consommation aliénée

par Périco Légasse, journaliste à Marianne et critique gastronomique

Le capitalisme néolibéral financier est à bout de course. La preuve, il n’hésite plus à fomenter des guerres pour asseoir ses parts de marché. Humiliant les Nations unies, l’oligarchie américaine n’a pas hésité à monter de toutes pièces une affabulation sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein pour faire tomber un régime qui entravait son contrôle géopolitique du Proche-Orient. Qu’importe la mort de centaines de milliers d’innocents à Bagdad, Damas, Madrid ou Paris, au regard des intérêts de Wall Street et du Pentagone  ? Quel rapport avec le scandale des abattoirs français et le débat sur la souffrance animale  ? Il est simple, l’impérialisme américain entend désormais asseoir sa domination économique sur l’hémisphère Nord de façon structurelle et ne recule devant rien. Le fameux traité de libre échange transatlantique (Tafta) n’en est que la façade institutionnelle. L’objectif est de faire de l’euro (ersatz du mark) un appendice du dollar et de réduire l’Europe à une colonie commerciale aux ordres.

Sa nouvelle arme, la consommation globalisée. Pour cela, le néolibéralisme financiarise notre alimentation. À travers le lobby OGM, à travers celui du sucre et ses grandes enseignes mondialisées, à travers celui de la viande industrielle qui inonde les rayons de la grande distribution avec des produits infâmes. Les farines carnées qui rendent la vache folle, le cheval roumain dans les lasagnes Findus et les atrocités filmées dans les abattoirs d’Alès, du Vigan et de Mauléon obéissent à la même logique  : produire à moindres coûts pour gagner des parts de marché tout en jetant l’anathème sur les bons artisans. Qu’importent l’environnement, l’éleveur, le client et l’animal, du moment que le productivisme financiarise la ressource. Tout le monde est content, les puissances agroalimentaires qui ont industrialisé nos campagnes avec la complicité de Bruxelles et de la FNSEA, la publicité qui empoche des milliards en lavant les cerveaux et la grande distribution qui remplit les chariots de malbouffe à bas prix en étranglant les producteurs.

C’est ce système qui conduit la filière de la viande à produire toujours plus vite et toujours moins cher pour rester compétitive. C’est ce système qui transforme les élevages en usines à barbaque en gavant le bétail de tourteaux de soja OGM, et c’est aussi ce système qui impose aux abattoirs de tuer une bête toutes les minutes s’il veut garder le marché. Et derrière l’image de l’agneau déchiqueté, du cochon torturé et du bœuf égorgé à vif dont le sang et la souffrance souillent tous ceux qui savent et ne font rien, à tous les échelons de la filière, transparaissent les masses auxquelles cette ignoble production est destinée. On parlait autrefois de chair à canon quand on envoyait le prolétariat en première ligne, il convient de parler aujourd’hui de chair à parts de marché, animale et humaine, puisque derrière le couteau qui massacre la bête se cache la maladie qui guette le consommateur empoisonné. Ne change rien, dit le lobby pharmaceutique à celui de la malbouffe, tu m’envoies des clients. Les scandales alimentaires pullulent, dévoilés ou mis sous silence, alors que le monde développé compte 13 % de diabétiques. Démantelée par le gouvernement de François Fillon, la DGCCRF (répression des fraudes) était un rempart contre ces comportements illicites. Elle n’a pas été reformée par une gauche aux ordres de la doctrine Macron. Du coup, la puissance publique, absente ou inefficace, ne fait plus peur aux voyous qui s’en donnent à cœur joie pour transformer notre société en camp de consommation. Au citoyen consommateur à s’en émanciper en modifiant ses mœurs et ses choix alimentaires  : manger, c’est voter  !


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message