L’Autriche retrouve sa nostalgie brune

dimanche 22 mai 2016.
 

La percée du FPÖ, en tête de la présidentielle, traduit l’extension sur le continent d’une contagion nationaliste et xénophobe, symptôme des crises du «  modèle  » austéritaire.

A) Nouvelle tache brune sur le visage de l’Europe

L’extrême droite a effectué une nouvelle percée en Europe. Norbert Hofer, le candidat du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), est arrivé très largement en tête du premier tour de l’élection présidentielle de dimanche. Avec 36,4 % des suffrages, il réalise le meilleur score jamais obtenu par son parti depuis la guerre et pulvérise même le niveau atteint par feu le tribun Jörg Haider, qui accéda au gouvernement en coalition avec la droite au tournant des années 2000, malgré ses propos sur le caractère « convenable de la politique de l’emploi du IIIe Reich ».

Le résultat a fait l’effet d’une bombe à Vienne, où les sondages attendaient certes le FPÖ à un haut niveau mais pas en pareille position de force. L’extrême droite profite du désarroi des électeurs qui ont massivement sanctionné les deux principaux partis autrichiens – le SPÖ (social-démocrate) du chancelier Werner Faymann et l’ÖVP (chrétien-démocrate) –, réunis au sein d’une grande coalition. L’un et l’autre ne dépassent pas les 12 % des voix et seront, pour la première fois, absents du second tour de ce type d’élection.

C’est donc au candidat Vert, Alexander Van der Bellen, arrivé second avec 20,4 % des voix, qu’échoira la redoutable tâche de rassembler le 22 mai prochain, date du deuxième tour, pour empêcher l’installation d’un président d’extrême droite à Vienne. Si la Constitution autrichienne confère des pouvoirs surtout protocolaires au président, ce dernier n’en accède pas moins à la fonction de chef des armées, nomme le chancelier et peut dissoudre l’Assemblée en certaines circonstances. Norbert Hofer n’a pas caché qu’il userait de ces prérogatives-là si la majorité parlementaire ne suivait pas ses recommandations pour une fermeture des frontières aux réfugiés. Et une nouvelle probable victoire du FPÖ, en cas de législative anticipée, ouvrirait alors la route de la chancellerie (le véritable exécutif) aux nationalistes. Le FPÖ a instrumentalisé la peur du déclassement qui habite nombre de citoyens face à l’afflux de migrants, avec d’autant plus d’efficacité qu’une partie de la population subit une progression du chômage et surtout de la précarité suite aux réformes promues par la grande coalition pour renforcer la flexibilité. Le sociologue viennois Jörg Flecker alerte depuis quelques années sur les « fragilisations » que cela provoque au sein de la société, en minant « la vie collective, sociale et politique » du pays. Le funeste modèle de la «  grand coalition  »

Les deux grands partis associés au pouvoir sont perçus par une bonne part de l’électorat populaire comme décalés des préoccupations des citoyens quand ils branchent leur pays sur une sorte le pilotage automatique ordolibéral. Cette situation n’est pas sans rappeler une certaine donne française où une extrême droite aux aguets, bénéficiant des mêmes désarrois, cherche aussi à s’emparer des plus hauts leviers du pouvoir. Marine Le Pen s’est d’ailleurs félicitée vite et bruyamment du résultat « magnifique » obtenu par le FPÖ, une des formations avec laquelle elle a formé un groupe au Parlement européen.

La débâcle des deux grands partis autrichiens illustre ainsi le funeste contresens des apprentis sorciers français qui appellent à se conformer au modèle de la « grande coalition » pour surmonter la crise. Partout, le national-libéralisme prospère sur les réformes de structure présentées par Bruxelles et Berlin comme incontournables, et mises en musique par ce type d’attelage. Celles-là aggravent souffrances sociales et rejets du politique. Pour éviter la progression des pustules brunâtres sur le visage de l’Europe, il est plus que temps de rompre avec ces logiques et donc de renforcer les résistances salvatrices au modèle austéritaire qui émergent aussi sur le continent.

Bruno Odent, L’Humanité


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