2016 : Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT et proche du MEDEF, appelle le gouvernement à écraser jusqu’au bout les salariés

mardi 8 février 2022.
 

- A) Laurent Berger à toutes les sauces face aux salariés défendant leurs protections par le Code du travail

- B) Dernier interview de Laurent Berger dans Le Parisien

- C) Loi travail : quand Laurent Berger fait le job du gouvernement (Le Figaro)

- D) Quand la CFDT fait le "sale boulot"

Laurent Berger à toutes les sauces face aux salariés défendant leurs protections par le Code du travail

Manuel Valls intervient à l’Assemblée nationale en prenant qui pour exemple ? Laurent Berger.

Le Parti Socialiste envoie un député agresser Philippe Martinez sur le plateau de Pauline Malherbe... en prenant qui pour exemple ? Encore Laurent Berger.

Le haut du gratin libéral se retrouve lors des "rencontres économiques" en présence de "Laurent Berger, Pierre Gattaz, Pierre Moscovici, Emmanuel Macron" (l’ordre des noms est celui du compte rendu officiel sur le web).

La mobilisation des salariés pour la défense de leurs paies et de leurs droits permet d’espérer un recul du MEDEF et du gouvernement par un retrait de la loi de la honte. Qui monte encore et toujours au créneau, dans les journaux écrits et télévisés pour y faire face ? Laurent Berger. Il est effectivement excellent dans la défense des intérêts du grand patronat et des milieux fortunés, dans l’agression systématique contre les syndicats de défense des salariés.

Le 26 mai, il a critiqué sur les antennes de France INFO la journée d’action car "Cela perturbe les salariés et l’ensemble des citoyens y compris l’économie". Bigre ! sur une telle orientation pour un syndicaliste, nous travaillerions encore 12 heures par jour, toute la semaine et toute l’année.

Le même jour, dans Le Figaro, il joue la fibre de l’affolement des personnes âgées devant les images des chaînes d’information « L’état d’affrontement dans le pays m’inquiète »

Laurent Berger ne présente pas la loi El Khomri comme un compromis mais comme correspondant à la "philosophie" de son syndicat, la CFDT. "Sur le fond, nous soutenons la philosophie du texte car créer de la norme au plus près des entreprises, par la négociation collective, est une bonne chose." (Le Figaro) Notons qu’il rêve debout (ou fait semblant) en présentant les relations "au plus près des entreprises" comme idylliques pour les salariés, en l’absence de référence à la loi sur des questions majeures. Que ces rapports entre chef d’entreprise et salariés soient parfois possibles, d’accord mais c’est évidemment bien loin de constituer la réalité d’ensemble.

Dans Le Monde, il se pose en jusqu’auboutiste de la loi sans modification : " Il est hors de question que le gouvernement renonce à ses engagements, que ce soit en retirant la loi ou en la vidant de sa substance."

Partout, il reprend la méthode systématique des briseurs de grève en mettant en avant la peur du rouge, en assimilant les salariés en grève à des éléments dangereux pour la société. "Je n’ai pas peur des vociférations de l’extrême gauche, quels que soient ses porte-voix"

Il laisse bien voir son orientation politique naturelle en méprisant comme extrême gauche :

- les syndicalistes qui essaient de défendre les salariés face au capitalisme intransigeant et glouton d’aujourd’hui.

- les frondeurs socialistes, le PCF, le PG, l’extrême gauche, plusieurs courants républicains et autogestionnaires, tous profondément choqués par le recul historique que représente cette loi.

- les syndicats de lycéens, d’étudiants et autres organisations de jeunesse (CGT Jeunes, Solidaires Etudiant-e-s, UNEF, FIDL, SGL, UNL, DIDF Jeunes, Génération Précaire, JOC, Maison des Potes, MRJC, OLF, Les effronté-e-s, SOS Racisme, AL, Ensemble, Jeunes Ecologistes, Jeunes Socialistes, Mouvement des Jeunes Communistes, ND Campus, NPA Jeune, Réseau jeune du Parti de Gauche, UEC) dont l’intitulé du communiqué unitaire signale bien l’angoisse devant l’avenir promis par cette loi : " Précaires un jour, précaires toujours ? Les jeunes, étudiant.e.s, et lycéen.ne.s disent non au projet de loi Travail !"

B) Dernier interview de Laurent Berger dans Le Parisien

LE PARISIEN. Le gouvernement affirme qu’il ne retirera pas la loi. Vous en doutez ?

BERGER. Qui sait ? Mais je le dis avec force : il est hors de question que le gouvernement renonce à ses engagements, que ce soit en retirant la loi ou en la vidant de sa substance.

Note de la rédaction : Il a dû apprendre cette phrase par coeur pour la répéter partout sans modification. Dans son rôle de jaune en pleines grèves, Laurent Berger pourrait au moins se taire

Etes-vous étonné par l’aggravation de la contestation de la loi Travail ?

BERGER. Non, pas particulièrement. Je pense qu’il y a un jeu de posture de plus en plus marqué entre la CGT et le gouvernement et que ce face-à-face ne permet plus de traiter du vrai sujet de cette loi qui est le travail.

En ciblant ses attaques sur la CGT, Laurent Berger s’inscrit dans la tradition du patronat d’extrême droite. Ce n’est pas glorieux. Cela lui permet de ne pas aborder la question de la baisse de revenus entraînée par cette loi, en particulier par l’énorme baisse de la rémunération des heures complémentaires et supplémentaires.

LE PARISIEN. La CGT s’oppose à la priorité donnée aux accords d’entreprise sur la convention collective ou sur la loi...

BERGER. Il y a beaucoup de fantasmes dans tout cela. Ce changement de hiérarchie ne touche ni le smic, ni les salaires, ni les règles de sécurité. Il ne concerne que l’organisation et le temps de travail et rien d’autre.

Note de la rédaction : Toucher au temps de travail, c’est évidemment toucher au salaire. Quand on est payé 35h et qu’on va travailler 39h payées 35h, cela fait 4 heures de travail donné gratuitement à des patrons et actionnaires qui s’engraissent déjà largement trop sur notre dos. Quand les horaires sont calculés de façon à faire disparaître les heures supplémentaires, c’est également du travail donné gratuitement aux dépens de notre famille car nous devrons travailler plus certaines semaines, au gré des "besoins" de l’entreprise.

LE PARISIEN. Le gouvernement est responsable de cette dégradation ?

BERGER. Le gouvernement a péché par une absence de pédagogie qui a laissé la voie libre à toutes les intoxications et à tous les radicalismes, de la CGT à l’extrême gauche. Le gouvernement n’a pas assez explicité tous les nouveaux droits qui étaient ouverts aux salariés, le compte personnel d’activité, la garantie jeunes mais aussi une protection renforcée pour les femmes de retour de maternité, la lutte contre les travailleurs « détachés » ou encore contre le sexisme en entreprise. Renoncer à cette loi serait renoncer à tous ces droits, ce qui serait inacceptable.

Note de la rédaction : Il est vraiment gonflé ce Laurent Berger. le voilà qui reproche au gouvernement de ne pas assez prendre les salariés pour des cons, de ne pas assez vanter de prétendus nouveaux droits, très mineurs et qui ne font qu’institutionnaliser la précarité, en particulier pour les femmes et les jeunes.

Le Compte Personnel d’Activité, accompagnement social de la précarisation

C) Loi travail : quand Laurent Berger fait le job du gouvernement (Le Figaro)

Face au silence des membres du gouvernement, c’est le patron de la CFDT qui se retrouve obligé de monter au créneau pour défendre la réforme. Lundi, il a débattu sur RTL avec le leader de la CGT, Philippe Martinez.

Dans un monde normal, un gouvernement défend ses projets de loi devant l’opinion. Las, l’exécutif a préféré ces dernières semaines condamner les casseurs et les blocages plutôt que d’expliquer les avantages de la loi travail. À part Myriam El Khomri, la ministre en charge de la réforme, les autres membres du gouvernement sont restés aux abonnés absents. Emmanuel Macron, le titulaire de l’Économie, a même jeté de l’huile sur le feu en jugeant que le texte n’allait pas assez loin. Quant au PS, on a frisé le silence radio…

Résultat, c’est Laurent Berger, le patron de la CFDT, qui se retrouve obligé de monter au créneau pour défendre un texte qui, depuis qu’il a été expurgé de certains éléments comme le plafonnement des indemnités prud’homales, convient au syndicat réformiste. « La négociation dans les entreprises peut permettre de développer la présence syndicale dans les entreprises et davantage des droits aux plus près des salariés, adaptés à leur réalité », a ainsi expliqué lundi Laurent Berger sur Europe 1, pour défendre le fameux article 2 très critiqué du projet de loi. C’est d’ailleurs lui qui, le soir même sur RTL, a fait face à Philippe Martinez, son homologue de la CGT, pour un débat pour/contre la loi travail unique en son genre.

Mais devoir faire le job du gouvernement « incapable de donner du sens » au texte, agace Laurent Berger car cela alimente les accusations autour d’une CFDT « syndicat officiel ». Sous-entendu, celui des élites, coupé du terrain. En adoptant la posture de l’opposant tous azimuts, Philippe Martinez ne court pas ce risque… Dimanche sur BFMTV, le leader de la centrale de Montreuil s’est d’ailleurs ingénié à montrer qu’il n’était pas en cour : « J’ai eu pour la première fois depuis deux mois un appel téléphonique du premier ministre hier matin. »

- D) Quand la CFDT fait le "sale boulot"

Source : https://www.nouvelobs.com/societe/s...

En sociologie, le "sale boulot" désigne ce que les autres ne veulent pas faire, le médecin se déchargeant sur les infirmières et les aides-soignantes, les grands patrons sur leurs collaborateurs, en cascades.

On peut se demander qui, depuis trente ans, a fait le sale boulot dans les relations sociales en France. Négocier est devenu une manière plus légitime de pratiquer l’art du compromis afin d’obtenir des avancées sociales, actuellement improbables, ou, à tout le moins, d’accompagner par une politique de moindre mal les exigences des adversaires.

Depuis la fin des années 1970, la CFDT dans sa direction puis dans presque toutes ses composantes a progressivement effectué cette adaptation. Elle a restreint le périmètre de son répertoire d’action (la grève comme "vieille mythologie"). Elle a restreint l’ambition qui la portait à se dire plus qu’un syndicat et moins qu’un parti. Elle a tenté de capter l’attention d’un patronat diversement réformateur : dans un dialogue confidentiel et informel avec des grands patrons hors organisations patronales, ou avec le Medef de Seillière et de Kessler, au moment de la refondation sociale. Elle a donné des gages controversés aux gouvernements de droite et de gauche, au point d’être vilipendée lors de grands conflits sociaux où elle a pris la décision de sonner l’heure du repli et du compromis.

Son associé-rival, la CGT, n’est pas pour autant parvenu à résister par de tout autres moyens aux remises en cause du compromis social des années 1950.

Essor électoral

Est-ce le résultat de tout ce travail qui a conféré à la CFDT une première place, encore fragile, dans le champ syndical ? Cet essor électoral enregistrerait ainsi la mutation du salariat et la transformation des modes de gestion légitimes des rapports sociaux en France.

Paradoxalement, le mouvement dit des "gilets jaunes", aux antipodes des pratiques de la CFDT, a obtenu en quelques semaines un certain nombre d’avancées, mais sur des points qui sont beaucoup moins complexes que le travail syndical au quotidien.

Paradoxalement, l’exécutif qui pouvait avoir là un allié pour envisager des modalités de sortie de crise n’a guère écouté les propositions de la confédération.

Paradoxalement, les patronats ont, sauf exceptions, évité de réfléchir sur les reconfigurations possibles des rapports sociaux que permettraient des perspectives négociées de réformes non régressives.

Les dirigeants de la CFDT ne sont pas parvenus à gagner leur pari : faire reconnaître que le sale boulot n’était pas un boulot sale, mais un travail indispensable comme les autres "sales boulots" et casser l’équivalence entre traitement social et "social traître". Les coalitions ou "nébuleuses" réformatrices n’ont jamais pu en France produire des effets sans soutiens-adversaires radicaux et mobilisés.

Et si tous les cédétistes, prenant appui sur l’énergie collective actuelle, allaient peupler, avec tous les autres syndicalistes, individuellement, avec leur boîte à outils sophistiquée, les allées du "grand débat" ?

Michel Offerlé

Professeur émérite à l’Ecole normale supérieure, il a publié "Les patrons des patrons. Histoire du Medef" (Odile Jacob, 2013). Il a dirigé "La profession politique, XIXe-XXIe siècles" (Belin) et "Patrons en France" (La Découverte).


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