Affaire Baupin : Sexe, politique, parole publique

mercredi 8 juin 2016.
 

Pour les femmes qui viennent de témoigner publiquement de leur expérience individuelle et collective du harcèlement sexuel, on a parlé « courage » par-delà la « honte », on a d’abord fait de la psychologie morale ; au sens noble du terme « vertu ». Manière de se cantonner à une vision sociale du « problème des femmes ». Heureusement, l’espace médiatique était prêt à entendre. Maintenant que des femmes, au plus haut de l’Etat (des ministres) valident leur démarche, l’affaire est enfin clairement politique, politique au sens de mise en espace public, de res publica. On le savait, mais c’est bien de le dire. L’affaire DSK est ainsi définitivement débarrassée de sa version privée et pathologique. Il s’agit bien de notre vie en commun. Du politique donc.

Puis la presse est allée voir du côté de la domination masculine, exception française, histoire du machisme en politique. Le plus intéressant, dans ce cas, est plutôt de montrer que c’est un monde, la vie des politiques, emblématique des autres mondes, dans lesquels nous vivons tous et toutes, emploi et cantine, bistro et famille. Mais voyons plutôt les choses du côté de celles qui font un geste d’émancipation.

Manifestation, le 11 mai à Paris, après les révélations des harcèlements sexuels dont huit femmes accusent Denis Baupin, le député EELV. Photo Dominique Faget / AFP D’abord il faut être plusieurs, un geste isolé étant condamné d’avance, ensuite il faut que le présumé agresseur se montre publiquement, ce qui fut fait avec la photo du 8 mars où des parlementaires hommes dénoncent les violences sexuelles. Colère des agressées et, surtout, indication que la domination masculine d’invisible devient visible, trop visible. C’est seulement « celui qui le dit qui y est », dit l’expression enfantine (déjà l’affaire Cahuzac). Rendre visible la domination masculine est d’une telle difficulté (contrairement à d’autres dominations sociales plus reconnues) qu’il est sûrement aisé de se croire à l’abri. C’est ce qui arriva à l’agresseur supposé.

D’où la possibilité du geste d’émancipation, l’élément public permettant le discours politique. Alors, le harcèlement : sexuel et sexiste, distingue la langue juridique française, en transposant la directive européenne de 2001, qui révisait la directive de 1976 sur l’égalité de traitement (d’où la loi Roudy de 1983), directive fondée sur l’article 119 du Traité de Rome de 1957. Lors de mon mandat d’élue au Parlement européen (1999-2004), j’appris, à cette occasion, une chose philosophiquement très importante. La violence sexuelle m’était jusque-là apparue comme un manquement à la liberté, liberté du corps et de la sexualité. « Mon corps m’appartient », dit le slogan, et toute atteinte à ce corps est une privation de liberté. Or, m’explique la députée nordique en charge de la révision, il s’agit aussi d’un empêchement à l’égalité. En ce sens, la chose s’intègre dans la question de l’égalité de traitement et cela se nomme « discrimination ».

La philosophe de passage dans le politique est éblouie : se croisent donc la liberté et l’égalité dans les affaires de harcèlement et de violence à l’encontre des femmes. C’est cela que disent celles qui parlent aujourd’hui : l’affaire est politique car elle montre, révèle, l’immense difficulté des femmes à être des égales libres dans un monde d’hommes, dans le monde des hommes ; où nous sommes.

Alors, on peut revenir au monde politique et s’interroger sur le sexe en politique ; pas la présence des femmes en politique, pas le débat sur l’exclusion/inclusion des femmes depuis deux siècles ; non, sur le sexe comme jouissance. Et voir ainsi que le débat sur la parité n’a pas fini de révéler sa puissance : puisqu’il s’agit du partage du pouvoir. Ainsi j’appris qu’une rumeur avait couru, contre toute vraisemblance, que j’avais « couché » pour être numéro deux de la liste européenne Bouge l’Europe en 1999. C’est plus fort que tout : il ne faut pas partager la jouissance du pouvoir, il ne faut pas mettre les deux sexes sur le même plan de la jouissance ; il faut réduire une femme à son sexe, réduire le cerveau d’une femme à son sexe.

Et puisque le pouvoir est jouissance, ce dont personne ne doute (excepté les rares qui pensent que c’est un fardeau !), comment fait-on ? Là, cela devient intéressant. Car on peut être convaincu de l’égalité des sexes (par exemple un député écologiste) et ne pas pouvoir la mettre en pratique tant la jouissance est un bien individuel. La rivale alors doit être replacée au bon endroit de la jouissance, comme sexe uniquement. Et le tour est joué. Sexe tu es, sexe tu resteras. Et on ne partage rien, pas même le plaisir sexuel puisque le harcèlement, il faut le dire, cela ne se conclut pas toujours en réalisation effective.

Cette nécessité de « garder » le pouvoir est comme une sensation forte dans le monde politique. Et cela s’exporte facilement dans les autres lieux de pouvoir masculin (professionnels et domestiques), dits parité économique, parité domestique (n’oublions pas que le partage du pouvoir n’est qu’une partie seulement de la question « égalité »). La parité politique fut donc contagieuse sans pour autant se disséminer dans d’autres sphères d’exclusion (celle des « racisé.e.s »). On peut s’en étonner et chercher à comprendre. Ce serait urgent.

La mise en espace politique de la violence sexuelle et sexiste (« violence de genre » est une expression dont il faut méditer ce qu’elle apporterait dans l’imaginaire politique) est une véritable mise en place permettant une mise en scène : plusieurs témoins/plaignantes, une provocation publique avec une image militante, un soutien de celles qui ont ou ont eu un pouvoir de gouvernement… Et, dernier élément supplémentaire : en portant plainte pour diffamation, l’agresseur se fait témoin de ce qu’on appelle depuis une directive de 1997, l’inversion de la charge de la preuve : où ce ne serait plus au plaignant de démontrer l’injustice mais au dominant de s’expliquer/se justifier. En portant plainte, il lui incombe, en quelque sorte, la charge de la preuve. Se dire diffamé oblige à une argumentation et, ainsi, comme par une ruse de l’histoire, cette affaire Baupin nous met directement sur le plateau de la politique féministe, dans son ambition la plus démocratique.

Geneviève Fraisse


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