Violences policières : le rapport accablant de « Reporterre »

mardi 5 juillet 2016.
 

Fin avril, une Mission civile d’information a été décidée par un ensemble de journalistes, citoyens et députés afin d’évaluer les violences policières lors des manifestations contre la loi travail. Leur rapport, long de 80 pages, et publié mercredi sur le site de Reporterre, énumère de nombreux témoignages et entretiens réalisés à Rennes, Paris, Toulouse et Nantes.

« Oreille fendue » et « mollet pété »

« Le policier en tête jette une grenade. Romain Dussaux, un observateur indépendant filmant les événements, est touché à la tête. Il s’effondre au milieu de la foule, la tête ensanglantée. Plaie ouverte à la tempe, fracture temporale avec enfoncement de la boîte crânienne, œdème cérébral. Il a été maintenu onze jours dans le coma artificiel ».

Divisé en plusieurs parties, il recense les différentes violences dont sont victimes les manifestants.

Première partie : les blessures, mutilations, violences et tirs dans le dos sont énumérés. Des dizaines de blessures par grenades de désencerclement, grenades lacrymogènes, balles de lanceurs de défense (LBD) et matraques sont évoquées :« Je me suis pris un tir de flashball dans l’oreille. Maintenant elle est fendue », explique à l’association « L’assemblée des blessés 44 » un manifestant présent à Nantes, le 31 mars. Il a même fourni une photo, on ne peut plus explicite, de sa plaie.

A Caen, Rennes et Nantes, manifestants, enseignantes, les secouristes bénévoles, appelés aussi « street medics », racontent les mêmes situations de violences : « Une grenade a pété juste sur mon mollet ». Les mêmes termes reviennent : plaies, brûlures, tirs tendus, blessures, saignements, hématomes.

« Les grenades pleuvaient »

Les rapporteurs du document soulignent également le climat anxiogène à travers de nouveaux exemples. Ils dénoncent la mise en place de dispositifs générant des tensions comme la présence, au plus proche des cortèges, des forces de l’ordre, « l’encadrement policier spectaculaire et omniprésent », note un « street medic » de Paris, dans un communiqué post-manifestation du 28 avril. Usage des bombes lacrymogènes, cortèges coupés délibérément, enfermement des manifestants au sein d’un dispositif sans issue, mise en joue, interpellations sont illustrés par des cas précis. Des moyens considérés comme « disproportionnés » dans le rapport. Le document condamne « l’usage non-conforme de l’armement » des forces de l’ordre :« Des collègues et moi avons aperçu des personnes recevant des tirs tendus de grenades lacrymogènes au front, dans la mâchoire, au postérieur et dans les jambes », témoigne Laurie Tissière, une manifestante du 10 mai, à Nantes. « A Nation, nous avons pris en charge une personne dont une artère avait été sectionnée, au niveau de la cheville, par un tir tendu de la police. Elle avait donc une hémorragie pulsatile, ce qui la rendait indéplaçable. Nous sommes restés avec elle, pendant que les grenades lacrymogènes pleuvaient partout », évoque un « street médic » de la manifestation, du 1er mai, à Paris.

Dans une nouvelle partie, importante, elle aussi, les rapporteurs notent la multiplication de « répressions sans discernement » dont les agressions sur des journalistes et des photographes, du matraquage à terre mais aussi des menaces, des intimidations et de la destruction de matériel.

Les étudiants, lycéens, passants, secouristes témoignent à la suite, dénonçant, notamment, de choquantes lancées de lacrymogènes, aux alentours d’écoles et de jardins d’enfants : « Le cortège est passé à côté de l’école primaire et les CRS se sont mis à lancer beaucoup de grenades lacrymogènes. C’était irrespirable. Les enfants ont été confinés dans le gymnase. Certains ont été traumatisés », décrit un membre du personnel d’une école nantaise.

Un manque de coordination des équipes policières

« Le plus gros souci, ce sont des questions de dispositif et de choix tactique », explique Grégory Joron, secrétaire national CRS d’Unité SGP Police FO. Dans un entretien retranscrit dans le rapport, le représentant des forces de l’ordre tente d’apporter des explications aux défaillances recensées : elles seraient dues au manque de moyens et une suractivité des compagnies. « On enchaîne les événements terroristes, la mission de Calais, qui est très pénible, et les multiples manifestations contre la loi travail. Les fonctionnaires de police et surtout les CRS sont suremployés », confie-t-il à la rapporteure de Paris. Mais il s’agirait, également, d’un défaut de coordination entre les différents groupes d’intervention : les escadrons de gendarmerie, les CRS et les effectifs locaux de la préfecture de police de Paris. « Je le déplore souvent, on n’a pas de réunion de coordination où l’on pose les bases ». Il reconnaît que les rôles de chacun ne sont distribués qu’un quart d’heure, une demi-heure avant la manifestation. Aussi fait-il référence à des « cafouillages » : quand certains ont pour ordre d’être sur la défense, d’autres jouent l’attaque…

« Certains collègues se permettent des choses qu’ils ne se seraient jamais autorisées auparavant »

Alexandre Langlois, secrétaire national de la CGT Police, explique notamment que les affrontements sont le résultat d’une sorte d’escalade : « Des deux côtés, les gens ont envie d’être plus violents. Les manifestants qui se prennent des gaz lacrymos et qui n’ont rien fait, ont un réflexe bêtement humain qui est de se venger sur la personne qui a fait ça ». Il appuie sur les faiblesses de l’état d’urgence : « la procédure administrative est devenue très molle. Certains collègues se permettent des choses qu’ils ne se seraient jamais autorisées auparavant ».

Lors de la manifestation du 23 juin, Danielle Bouhanna, retraitée parisienne, expliquait : « J’ai fait toutes les manifestations contre la loi travail. J’étais contre l’état d’urgence. Je n’ai jamais voulu d’une dictature ! J’ai vu des choses, pendant les rassemblements, des violences policières, qui ne m’ont pas plu ».

« On leur dit "vous tirez sur la foule", pour qu’elle dégage »

Alexandre Langlois, de la CGT, justifie :« Les collègues ne savent souvent même pas où ils ont tiré. Ils ne savent même pas s’ils ont touché quelqu’un. Et c’est ça le problème, c’est une gestion de foule globale mais pas individualisée pour les personnes qui posent problème. On leur dit : "Vous tirez sur la foule", pour qu’elle dégage ». Luc Escoda, secrétaire régional d’Alliance Midi-Pyrénées, avoue : « Parfois, on nous fait faire n’importe quoi, n’importe comment. Notre commandement n’est parfois pas clair. Il peut arriver qu’on intervienne trop tard, qu’on voit des gens casser ou s’en prendre à nous, et on n’est pas assez réactifs : c’est là où ça gueule. Ce n’est pas dû à des longueurs dans la transmission des instructions, mais à des lacunes en termes de décisions ».

Aux lacunes, les rapporteurs formulent des recommandations, en guise de conclusion : interdiction de l’usage des grenades de désencerclement ou des LBD, recadrement des compagnies d’interventions, interdiction des policiers en civil ou encore respect des secouristes et des journalistes. Les rapporteurs affirment avoir tenté de joindre les préfets des quatre villes de référence et le cabinet du ministre de l’Intérieur, pour les sensibiliser, en vain.

Audrey Fisné


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