États-Unis : Au-delà de 2016, les pro-Sanders préparent 2020, 2024 et même 2030

vendredi 8 juillet 2016.
 

1) Les pro-Sanders préparent l’acte II de la révolution politique

Le vote en Californie marque la fin du cycle des primaires. Mais déjà, pour le mouvement initié par le sénateur socialiste du Vermont, l’heure est à la préparation de l’avenir. Dans une semaine, à Chicago, le « sommet du peuple » posera peut-être les bases d’une nouvelle organisation.

Pour la deuxième fois en un an, Charles Lenchner va laisser pour quelques jours ses « deux chats communistes sectaires » (Charles a un côté provocateur assumé  !) quitter son appartement de Brooklyn et tailler la route vers Chicago. Pour la deuxième fois en un an, il va réfléchir à Sanders et à la « révolution politique ». « Je me souviens très bien de la réunion de mai 2015, commence-t-il, après un débat au Left Forum (1). Bernie Sanders venait de décider de participer aux primaires démocrates, non en troisième candidat. Je me souviens très bien de la grande colère qu’il avait dû affronter. » Engagé dans la campagne du sénateur du Vermont depuis un petit mois, ce consultant marketing, ancien militant de la cause des Palestiniens en Israël, ancien du mouvement Occupy Wall Street, avait appuyé la décision de Sanders. Celui qui est devenu depuis l’un des fondateurs de « People for Bernie » prend une gorgée d’eau fraîche et savoure ce qu’il va dire  : « Un an après… » Il n’en dit pas plus et laisse un blanc, que nous remplissons. Un an après, à la veille du dernier « Super Tuesday » de la saison, avec notamment la Californie en jeu (lire ci-contre), Bernie Sanders a recueilli dix millions de voix (43 % des suffrages exprimés). Soit le score le plus important remporté de toute l’histoire politique moderne par ce que les commentateurs politiques nomment un « insurgent », dont la traduction française pourrait se placer entre « outsider » et « insurgé ». « Un an après, reprend Charles, cette campagne est une boussole  : nous avons vu nos forces, nous avons aussi repéré nos faiblesses. Surtout, elle a montré à quel point l’establishment démocrate était faible. » Une boussole, certes, mais pour aller où  ? C’est la question qui sera débattue lors du « sommet du peuple », à Chicago, du 17 au 19 juin. Y prendront notamment la parole Naomi Klein, la journaliste et militante altermondialiste, Cornell West, philosophe africain-américain, RoseAnn DeMoro, la présidente du syndicat des infirmières, l’un des seuls à avoir officiellement apporté son soutien à Sanders.

Charles Lenchner y croisera peut-être un autre New-Yorkais, Michael Zweig, professeur d’économie à l’Université Stony Brook, qui sera à peine sorti de la conférence de deux jours dont il est la cheville ouvrière, « Comment fonctionnent les classes sociales  ? ». « La difficulté va être de gérer deux “après”, estime-t-il. En même temps que la construction du mouvement se pose, il faut se demander ce qu’il faut faire pendant la campagne. » Là, clairement, deux « écoles » s’affrontent. Les uns estiment que Sanders doit officiellement apporter son soutien à Hillary Clinton afin de faire barrage à Donald Trump. Les autres le pressent de se présenter en troisième candidat lors du scrutin de novembre. John Mason fait partie des premiers. Kshama Sawant des seconds. John est professeur de science politique à l’université William Paterson. Francophone et francophile, il s’est engagé dans la campagne de Sanders et porte au revers de sa veste un gros pin’s bleu ciel sur lequel apparaissent seulement une chevelure blanche, des sourcils blancs et des lunettes, ne laissant aucun doute pour autant sur l’identité du personnage. Kshama est conseillère municipale socialiste à Seattle, la première à être élue dans une assemblée locale sous cette étiquette depuis les années 1920. Elle s’est trouvée à la pointe de la bataille pour le Smic à 15 dollars que la ville du nord-ouest du pays a été la première à adopter, avant que les États de Californie et de New York n’en fassent leur loi. Arguments.

Soutien à Clinton ou être le troisième candidat ?

Pour John, c’est certain, « Sanders ne fera pas une “erreur Nader” ». Référence au candidat des Verts qui, en 2000, avait grignoté suffisamment de voix pour être accusé d’avoir favorisé l’élection de W. Bush face à Al Gore. « On peut avoir une campagne autonome à côté de celle de Clinton, ajoute l’universitaire. La prochaine campagne de Bernie sera celle qu’il va mener auprès de la classe ouvrière blanche afin qu’elle ne vote pas Trump. » Puis, en cas de victoire de Clinton, « Bernie peut peser jusqu’à la composition du cabinet. Pourquoi pas imposer la nomination de Stiglitz (prix Nobel d’économie, critique des politiques néolibérales - NDLR)  ? »

Kshawa développe un tout autre raisonnement. « Pourquoi, en ce moment historique, alors que des dizaines de millions d’Américains cherchent une réponse en dehors de l’establishment, devrions-nous suivre le Parti démocrate  ? Le problème, ce n’est pas le candidat. Les bons candidats qui se présentent pour de mauvais partis produisent toujours de mauvaises choses. Si Sanders se présente en indépendant en novembre, Trump ne pourra pas avoir le monopole du vote anti-establishment. Mais si Bernie apporte son soutien à Clinton, il ne faudra pas le suivre. Notre légitimité, nous la devons au mouvement, pas à Bernie. » Membre de la même organisation, Socialist Alternative, Philipp Locker insiste  : « L’expérience d’une année de campagne primaire est concluante  : il n’y a aucune possibilité de changement dans le cadre du Parti démocrate. La preuve  : Bernie n’a pas réussi à obtenir la nomination. Le meilleur moyen de tuer notre mouvement naissant, ce serait d’apporter un soutien à Hillary Clinton. Si Sanders se présente en novembre et obtient 5, 10, 15 millions de voix, ce serait un tremblement de terre dans la vie politique. »

Entre ces deux options, Charles Lenchner n’a aucun doute sur le choix stratégique de Sanders. Il écrit déjà le scénario  : « Jusqu’à la convention (qui aura lieu du 25 au 28 juillet à Philadelphie - NDLR), Sanders va continuer à marteler son message et à ne pas obéir à Clinton. À la convention, il va y avoir un bras de fer puis un accord. Sanders va faire campagne pour Clinton, mais à sa façon, certainement pas sur ordre de la candidate. Puis, après, il va utiliser la liste de noms pour monter son organisation. »

Ce qui nous amène au deuxième temps  : le futur lointain. Une organisation, mais comment et où  ? « Les sandernistas veulent se structurer en courant organisé au sein du Parti démocrate », annonce John Mason. Pour Michael Zweig, ce serait une erreur  : « Le Parti démocrate va devenir un endroit très inamical pour les militants radicaux. Tous ces jeunes qui ont suivi Sanders pendant la primaire n’ont, à mon avis, pas grand-chose à faire du Parti démocrate. » L’autre écueil pour cet universitaire, également très proche du syndicalisme et du mouvement anti-guerre  : « La constitution d’un troisième parti qui annoncerait la fin du mouvement. » Donc  ? « Il faut un mouvement à la fois dedans et dehors. À l’image de ce que fit la Rainbow Coalition de Jesse Jackson. Sauf que Sanders n’est pas un Jesse Jackson et il n’y a personne d’autre. Or, il ne peut y avoir un tel mouvement sans leader charismatique. Un ou plusieurs, mais au moins un. C’est ce qui ne me rend pas très optimiste. »

Organiser sa propre convention

Pour un certain nombre de volontaires de la campagne de Sanders, après-demain se prépare demain. Ils ont publié un document de trois pages en forme de « feuille de route ». Premier acte à poser selon eux  : que Sanders organise, à côté de la convention démocrate, sa propre convention dont le thème central serait la transformation politique de l’Amérique et qui poserait les bases d’une organisation indépendante. D’autres militants « sandernistas » engagent la bataille pour un Congrès plus progressiste… en 2018. Leur initiative a été baptisée « Brand New Congress » (Un Congrès flambant neuf). Déjà, dans quelques circonscriptions, le sénateur du Vermont a décidé de défier la direction du Parti démocrate. Il soutient ainsi Tim Canova, un professeur de droit, qui s’oppose à la députée sortante de Floride, Debbie Wasserman-Schultz, également présidente du Parti démocrate, très vivement critiquée par le camp Sanders pour avoir outrageusement favorisé Hillary Clinton. Pour le député du Minnesota, Keith Ellison, l’enjeu ne se limite pas aux circonscriptions. « Nous avons besoin de militants qui se présentent aux conseils d’école, décrit-il au New York Times. Aux conseils municipaux. Aux cantonales. Aux comités d’urbanisme. Partout, pour développer partout le message de Bernie dans les communautés locales. » « L’une des clés réside dans la convergence des groupes sous le “parapluie” Sanders, ajoute John Mason. Par exemple, sur la question de la fracturation hydraulique, cela se produit déjà avec les écologistes et les communautés amérindiennes, car les projets se développent principalement sur leur territoire. »

Les syndicats constituent un autre enjeu majeur. « Ils demeurent la principale force organisée de la société », pointe Justin Molito, organisateur du Syndicat des écrivains de la côte Est. Les directions syndicales se sont souvent prononcées pour Clinton alors que la base était pro-Sanders. « Ce qui a provoqué, dans certains syndicats, une révolte des syndiqués qui poussent à changer les règles du soutien officiel apporté aux candidats, pourquoi pas en faisant voter la base », reprend le syndicaliste écrivain. « Il ne faut pas se tromper sur le soutien de certains syndicats, explique Charles Lenchner. SEIU a soutenu Clinton, mais dès que celle-ci sera élue, il poussera pour l’adoption du Smic à 15 dollars, qui n’est pourtant pas la proposition de Clinton mais celle de Sanders. » Autrement dit, la « révolution politique » ne s’arrête pas ce soir, en Californie, ni le 8 novembre, à Washington.

Christophe Deroubaix, L’Humanité

2) En Californie,la conquête du futur

C’est plus qu’une victoire honorifique que recherche Bernie Sanders dans le plus peuplé (39 millions d’habitants) des États du pays. Même pas un baroud d’honneur. Mais un nouveau levier pour engager en position de force la suite du processus. Considérée comme chimérique par de nombreux commentateurs, il y a quelques semaines, la victoire du sénateur du Vermont fait désormais figure de possibilité. Les derniers sondages le donnent à une poignée de points d’Hillary Clinton. La détermination de l’outsider oblige la favorite à poursuivre sa campagne, même si le doute n’est plus permis  : l’ancienne secrétaire d’État obtiendra bien l’investiture du Parti démocrate, forte d’une avance en nombre de délégués insurmontable pour son adversaire. Mais Sanders a trop d’expérience pour confondre « mathématique » et politique. « L’objectif de la campagne de Sanders, ce n’était pas 2016, mais 2020, 2024 ou même 2030. Même sans lui. Sauf que les choses sont allées beaucoup plus vite que prévu », rappelle John Mason, professeur de science politique à l’université William-Paterson.

La « révolution politique » qu’il appelle de ses vœux ne s’arrête pas, car le chemin vers la nomination est obstrué. Et comment continuer à la construire sans porter ce message en Californie, cet éternel laboratoire américain  ? Dans les années 1970, c’est ici que la révolution conservatrice a donné ses premières moissons avant de porter Ronald Reagan, un ancien gouverneur de l’État, à la Maison-Blanche. Le climat politique a bien changé depuis dans cette partie du pays à la pointe des changements démographiques (40 % des habitants sont blancs, 37 % latinos, 15 % asiatiques et 7 % noirs)  : le progressisme y est désormais dominant. Le Smic à 15 dollars de l’heure est devenu, cette année, la norme. L’impôt sur les plus hauts revenus y a été alourdi dès 2012 afin de financer le système public d’éducation. Les politiques novatrices en matière de transport et de développement durable se multiplient. Le gouverneur de l’État, Jerry Brown, a officiellement apporté son soutien à Hillary Clinton, jugée la plus à même de battre Trump, mais a loué la campagne de Sanders « contre le 1 % », qui lui rappelle sa propre campagne, lors des primaires de 1992, perdue face à un démocrate centriste  : Bill Clinton… Faut-il y voir un message subliminal de la part du très respecté gouverneur  ? C. D.


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