Primaire PS : un cadeau risqué fait à Jean-Luc Mélenchon

mardi 23 août 2016.
 

Le PS organisera en janvier prochain une Primaire à laquelle devra participer François Hollande s’il veut être candidat à l’élection présidentielle. En apparence, le président piège ses concurrents socialistes, mais en réalité, c’est un cadeau risqué fait à Jean-Luc Mélenchon.

Il y a quelque chose de Tony Soprano en François Hollande. Cet art consommé du génie politique, employé à échafauder des manœuvres indispensables pour se sortir d’une difficulté, qui elles-mêmes génèrent de nouvelles difficultés, de plus en plus inextricables à mesure que le processus se répète. Un problème, une manœuvre. La manœuvre génère deux problèmes nouveaux. Qui eux-mêmes engendrent deux manœuvres supplémentaires, qui elles-mêmes… Et ainsi de suite…

La décision de tenir Primaire en janvier prochain, annoncée par Jean-Christophe Cambadélis, et initiée à l’Elysée, relève de ce processus à la Tony Soprano. En première approche, la manœuvre est de toute beauté. Les opposants à François Hollande vont être conduits à participer, ou non, à cette Primaire, dont il partira grand favori. De fait, ils seront liés par le résultat. De fait, ils ne se présenteront pas au premier tour de l’élection présidentielle. De fait, cela limitera, en principe, la possibilité d’éparpillement des voix supposées se porter sur le président-candidat.

Il fallait se saisir de l’opportunité au plus vite. Avec un candidat plafonnant aujourd’hui à 14 ou 15% dans les intentions de vote mesurées par sondage, avec un Mélenchon à la hausse, avec un bloc de gauche scotché à 30% des voix, il fallait faire quelque chose « de gauche », pour tenter de ramener à soi, autant que faire se peut, les électeurs de gauche en perdition. Car l’équation demeure.

Se « relégitimer » par la gauche

Pour participer au second tour de la présidentielle, il faudra passer la barre des 20%, s’approcher des 25%, le tout en espérant que le candidat LR sera affaibli, par une mauvaise campagne, Marine Le Pen, et une multiplication de candidatures de droite, de Dupont-Aignan à Ménard ou autres… Participer à la Primaire, tenter de se « relégitimer » par la gauche, c’est une façon pour François Hollande de sécuriser les dernières chances qui lui restent d’être réélu président en 2017.

Sauf que, à l’exemple de Tony Soprano, François Hollande met le doigt dans un engrenage redoutable.

D’abord, parce qu’en cherchant à ressourcer d’abord sa seule légitimité de gauche, le président se dépouille de son corps du roi en mode Ve République. Il s’abîme. Et surtout, au-delà de sa propre personne et de son destin, il abîme encore davantage la fonction. Cela pèsera, sur lui, au cas où il serait réélu, et sur ses successeurs. Le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, évoque la Primaire de la gauche de gouvernement en lançant un processus en totale contradiction avec la logique de la Ve République, son sens le plus profond, et qui contribue à détruire, encore et encore, la culture de gouvernement acquise sous les années Mitterrand. Les socialistes en sont revenus à la culture parlementariste et congressiste, qui place les intérêts de l’appareil au-dessus de l’intérêt général. Le processus de décomposition entamée avec les années Jospin se poursuit, sans que rien ne paraisse devoir l’arrêter.

Un beau cadeau pour la droite

En outre, il convient de prendre en considération la question du calendrier. Cette Primaire de la gauche de gouvernement devra se tenir en janvier. Deux mois après la Primaire de Les Républicains. Ce qui signifie qu’à cette date, François Hollande sera sous le feu du candidat LR depuis des semaines. Et c’est à ce moment qu’il devrait entrer en campagne pour la Primaire (au cas où il serait candidat), ce qui l’exposerait à un double feu : à droite, comme à gauche. Il suffit d’avoir entendu sur Europe 1, ce lundi, Arnaud Montebourg, qui prend déjà date en vue de la participation à la Primaire, pour prendre la mesure du problème. Pouvait-on faire à la droite plus beau cadeau ?

Enfin, quelle que soit la configuration de la Primaire, celle-ci présente tous les risques d’affaiblir encore plus la perception de l’image présidentielle par les électeurs, y compris et surtout ceux de gauche. L’alternative est simple. Ou bien les candidats qui lui seront opposés seront de modeste niveau, type Liennemann ou Filoche, et l’on contemplera alors le triste spectacle du corps du Roi en Ve République malmené par ses obligés. Ou bien les candidats sont de niveau supérieur, type Montebourg ou Hamon, et alors l’on assistera au tragique spectacle de l’idiot utile jouant les Brutus pour le compte d’Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. Notons qu’il se peut également que les deux cas de figure se cumulent, petits candidats et gros candidats s’additionnant pour poignarder Hollande… A socialiste, rien d’impossible. Et comme en l’état, il est inconcevable que la promesse d’une Primaire ne finisse par déboucher sur une candidature unique de François Hollande, il est aujourd’hui probable que le spectacle qui ne devrait pas avoir lieu finisse par se produire.

Sauf événement imprévu, donc improbable, la Primaire de la gauche de gouvernement va parler

Mesurons le paradoxe : en voulant renforcer François Hollande sur sa gauche, la mécanique de la Primaire risque de l’affaiblir encore davantage. Et tout cela dans un contexte où la popularité du président est au plus bas, où la gauche est dispersée façon puzzle, où la tentation gauchiste est de retour comme jamais, y compris dans les rangs même du PS, et où le populisme gagne chaque jour du terrain dans l’opinion…

« Avec la Primaire, on se donne les moyens d’éviter un nouveau 21 avril » disent les partisans de cette solution. Sur temps court, en ce mois de juin, la pilule médiatique peut passer. Mais pas sur temps long. En vérité, ce n’est pas la présidentielle de type 2002 qui menace la gauche en 2017, mais une présidentielle de type 1969.

69, année politique

Que de similitudes ! L’ensemble des forces de gauche à 30%. La gauche socialiste atomisée par l’onde de choc Mai 68, partagée en Defferre et Rocard (8% à eux deux), comme elle l’est aujourd’hui par quatre ans de pouvoir. La tentation gauchiste à son plus haut, Nuit debout, François Rufin et Frédéric Lordon jouant à la LCR 2.0. La droite en mesure de se partager un gâteau de 65% des voix, portée par une demande d’autorité sans pareil. Et la possibilité pour les électeurs de gauche, en déshérence, de se reporter sur un candidat en harmonie avec l’air du temps, en phase avec cette époque où une partie de la gauche entend renouer avec un discours mêlant populisme et millénariste. En 1969, ce candidat, issu du PCF, se nommait Jacques Duclos, et il avait obtenu, sur fond de naufrage politique de la gauche, 21% des voix, finissant troisième derrière Pompidou et Poher. En 2017, ce troisième homme pourrait être Jean-Luc Mélenchon.

Un moment historique Mélenchon

Car c’est bien cela qui menace François Hollande et le PS engagés dans l’organisation d’une Primaire de la gauche de gouvernement : que ce processus, qui porte en lui tous les germes de la division et de l’implosion, mène à placer Jean-Mélenchon sur une rampe de lancement d’où il pourrait prendre un envol de moins en moins évitable. Pouvait-il rêver plus beau cadeau ?

Les signaux faibles sont là, qui montrent qu’il est possible que nous approchions d’un moment historique Mélenchon, sur fond de disruption des gauches. Au vu des sondages qui se succèdent, nous n’en sommes plus à l’hypothèse d’école. S’il parvient à être candidat, s’il se pose en défenseur de la République, s’il renonce à ses péchés mignons de provocateur télévisuel, si la Primaire de la gauche de gouvernement abîme (comme il est probable) le président sortant (ou un autre candidat qui l’emporterait) Mélenchon peut espérer passer les 20% au premier tour de la prochaine présidentielle. En 2017, la gauche peut finir comme elle a fini en 69. Par un historique tête-à-queue.

François Hollande pourra-t-il l’empêcher, tel Tony Soprano rattrapant les conséquences de ses choix tactiques générateurs d’ennuis de haute volée ? Le temps presse, et le fusil Primaire est à un coup. Hollande va devoir en imposer s’il entend pouvoir dire à ses adversaires, façon Tony Soprano : « La prochaine fois, il n’y aura pas de prochaine fois ».


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