Dans les entrailles du hollandisme

dimanche 18 septembre 2016.
 

Un ex-conseiller de Myriam El Khomri lève le voile sur la genèse de la loi travail. Un voyage hallucinant où l’on découvre qui détient le vrai pouvoir.

On ne ressort pas indemne du « petit bout de chemin » dans les entrailles du pouvoir de la présidence Hollande que ­raconte Pierre Jacquemain. Ex-conseiller « stratégie » de la ministre du Travail, Myriam El Khomri, il a démissionné en février de ses fonctions, précisément en raison de son opposition à la loi qui porte désormais le nom de son ancienne patronne. L’auteur d’Ils ont tué la gauche (Fayard, 198 pages, 16 euros) lève aujourd’hui « le voile sur la fabrique de la politique » du quinquennat finissant, depuis cet observatoire ô combien privilégié. Ce qu’il révèle est à la hauteur de l’« imposture » de François Hollande qu’il dénonce dans son livre, et aujourd’hui ressentie comme telle par des millions de ses électeurs de 2012 : un monde très loin des promesses du candidat, où la « technocratie » – experts et énarques coupés du peuple et fiers de l’être, dont François Hollande est le premier et le pur représentant, selon l’auteur – « a pris le pas sur la politique ». C’est aussi l’histoire de la cruelle prise de conscience d’un militant de gauche proche de Clémentine Autain, passé de la Mairie de Paris au secrétariat d’État à la Ville puis au ministère du Travail, au fil des promotions de sa patronne. Matignon va jusqu’à réécrireles réponses de la ministre

Une histoire qui commence avec l’affaire dite de la « chemise arrachée » chez Air France, en octobre 2015, le mois suivant la nomination de Myriam El Khomri rue de Grenelle. Alors que Pierre Jacquemain espère de sa ministre « une parole de gauche » qui « dénonce la violence des dirigeants de l’entreprise », c’est le contraire qui se produit. Sur ordre de Manuel Valls, explique-t-il. Première désillusion. À la manœuvre pour imposer les consignes de Valls, le directeur de cabinet de la ministre, dont elle a hérité de son prédécesseur au gouvernement, François Rebsamen. Un collaborateur « fidèle parmi les fidèles » du premier ministre, et qui va très vite occuper dans l’ombre les fonctions de « véritable ministre du Travail » à la place de Myriam El Khomri. « Le projet de loi travail, c’est lui, affirme l’ex-conseiller. C’est lui, à travers l’autorité politique de Manuel Valls et non de sa ministre. »

Au fil des semaines, Myriam El Khomri et la plus grosse partie de son équipe sont évincées de l’élaboration de la loi travail, remplacées par son directeur de cabinet dans les séances de travail avec Matignon, qui pilotait le dossier en direct. À tel point que, le 23 janvier, soit deux jours avant la remise officielle du rapport Badinter qui se discutait alors chez Manuel Valls, la ministre « n’était au fait de rien », raconte Pierre Jacquemain. Jusqu’à ce déjeuner de travail du 14 février, convoqué par Myriam El Khomri « dans l’urgence des directives imposées par ­Matignon ». Les membres de son cabinet assistent, médusés, à « l’enterrement de près d’un siècle de droits et d’acquis sociaux ». Là encore, le « dircab » mène la danse, distillant les informations au compte-gouttes. À ses côtés, la ministre fait « grise mine. Presque dévastée », note Pierre Jacquemain.

Trois jours plus tard, c’est la sidération, avec la publication dans la presse de l’avant-projet de loi, que l’entourage de la ministre n’a toujours pas vu. « Surprise générale au sein du cabinet. Les principaux conseillers concernés par les mesures-choc n’avaient pas été sollicités, rapporte Pierre Jacquemain. Le projet de loi avait été rédigé en chambre. L’équipe techno. Entre le directeur de cabinet de la ministre, les équipes du premier ministre et sans doute quelques experts des services de Bercy. Loin du regard de la ministre du Travail. »

Ainsi chaperonnée, Myriam El Khomri change son discours, collant aux « éléments de langage » du premier ministre, à rebours des convictions qu’elle disait siennes. Cette mainmise de Matignon va jusqu’à la réécriture des réponses de la ministre dans ses interviews dans la presse écrite. À l’instar de l’évocation du recours au 49-3 pour imposer le texte, dès le lendemain de la « fuite » de l’avant-projet de loi, et dont Pierre Jacquemain jure qu’elle est de la main des services de Manuel Valls. Contre l’avis même, à l’époque, de l’Élysée. Les technocrates verrouillent les instances de décision

La ministre, pourtant, accepte tout sans broncher pour demeurer à son poste, couleuvres et humiliations comprises. Un crève-cœur pour Pierre Jacquemain, qui avait « fait le pari El Khomri » lors de son entrée au ministère de la Ville en 2014, en dépit de son « désaccord profond avec l’action politique du gouvernement ». Peut-on lui reprocher d’avoir cru que la jeune secrétaire d’État à la Ville, aux affinités avec la gauche du PS, saurait « peser sur les orientations stratégiques de la fin du quinquennat » en imposant au ministère du Travail « son style et sa voix » – « de gauche », pensait-il  ? « Elle aurait pu. Elle aurait dû », elle en « avait les moyens et la légitimité », persiste Pierre Jacquemain. Ce qui peut faire sourire quand on songe à la manière dont ont été congédiés à l’été 2014 certains ministres récalcitrants. Mais aussi au cap pro-patronal assumé sans complexe dès 2013, avec le vote de l’accord national interprofessionnel (ANI) de flexibilisation du travail et l’annonce du pacte de responsabilité avec les entreprises.

Au final, quelle leçon retient l’auteur du récit de cette « expérience désenchantée »  ? Qu’il faut tout changer dans la politique, à commencer par les institutions, verrouillées par la « classe des technocrates ». « Il faut reprendre le pouvoir. Le disputer. Le limiter aussi. La politique, c’est l’affaire de tous », plaide l’ancien conseiller, qui prône le passage à une VIe République où les simples citoyens auraient enfin voix au chapitre.

Sébastien Crépel journaliste

Comment Hollande, Valls, Macron ont imposé la loi Travail à El Khomri

Source : http://www.lepetitjournal.com/inter...

Une loi travail pilotée par Matignon, rédigée "loin du regard" de Myriam El Khomri ; une ministre qui "renie ses convictions" : l’ex-plume de la ministre du Travail livre un récit acide de la naissance au forceps d’une loi controversée.

Dans "Ils ont tué la gauche" (Fayard), en librairie mercredi, l’ancien conseiller Pierre Jacquemain, qui a démissionné bruyamment fin février, décrit une Myriam El Khomri court-circuitée, dépossédée de ses prérogatives.

Selon lui, le "véritable ministre du Travail", c’est Pierre-André Imbert, le directeur de cabinet, qui quittera ses fonctions en septembre pour l’Inspection générale des finances (IGF). "Le projet de loi travail, c’est lui. C’est lui, à travers l’autorité politique de Manuel Valls et non de sa ministre", écrit M. Jacquemain.

"En bon porte-parole de Matignon", le directeur de cabinet "transmet les recommandations auprès des deux expertes en droit du travail, à savoir la directrice adjointe de cabinet et la conseillère en droit du travail", écrit Pierre Jacquemain. L’une d’elles lui aurait "confié, dépitée, au retour des vacances de Noël, que cette loi ne servirait à rien".

"Le projet de loi avait été rédigé en chambre" par "l’équipe techno", "loin du regard de la ministre du Travail" et sans que la plupart de ses conseillers ne soient consultés, affirme-t-il. Quand Le Parisien dévoile, le 17 février, une version provisoire du texte, c’est la "surprise générale" au sein du cabinet. "Les principaux conseillers concernés par les mesures choc n’avaient pas été sollicités, ne serait-ce que pour avis", raconte l’auteur.

Et selon lui, "dans la coulisse, la ministre du Travail n’adhérait pas aux arbitrages de Matignon, qu’il s’agisse de l’inversion de la hiérarchie des normes, du licenciement économique ou même du plafonnement des indemnités prud’homales", finalement abandonné.

"Ces mesures sont l’œuvre d’Emmanuel Macron", assure-t-il.

Il raconte un déjeuner du cabinet le 14 février, après les arbitrages, où "la ministre faisait grise mine. Presque dévastée". Par la suite, elle lui aurait confié avoir "pensé à démissionner".

Pierre Jacquemain, qui assume son militantisme à la gauche de la gauche, fait de la ministre un portrait au vitriol, l’accusant d’avoir "renié ses propres convictions" et "trahi ses ami-e-s, celles et ceux qui l’ont portée intellectuellement et politiquement".

Elle aurait aussi "progressivement tourné le dos" à François Hollande, "le taxant d’amateur en privé".

"Myriam El Khomri a abandonné la politique. Les idées. La pensée. Et la gauche avec. Elle est devenue la super-cheffe de l’administration du Travail", assène-t-il. Interrogé par l’AFP, le ministère du Travail n’a pas souhaité réagir.


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message