A gauche, en France : explosion ou reconstruction ? (Roger Martelli)

dimanche 4 septembre 2016.
 

Les derniers jours ont vu s’allonger la liste des candidats pour 2017. Le hollandisme n’est pas florissant. Mais ses opposants se dispersent. Décryptage d’une désagrégation.

Après Jean-Luc Mélenchon, Marie-Noëlle Lienemann, Girard Filoche, Philippe Poutou, Nathalie Arthaud, voilà que Cécile Duflot, Benoit Hamon et Arnaud Montebourg sont en lice pour 2017. Pendant ce temps, le PCF hésite, la primaire citoyenne de toute la gauche ou de la gauche de gauche s’est enlisée et une part de la gauche radicale se met à penser que l’abstention est la seule solution pour « pirater » 2017. Onze ans après la victoire du Non au référendum sur le Traité constitutionnel européen et quatre ans après la percée de Mélenchon à la précédente présidentielle, la gauche de gauche est dans le brouillard.

Cécile Duflot ou l’incertitude écologiste

La candidature de Cécile Duflot est la conséquence immédiate d’un échec prématuré, celui de la candidature salvatrice de Nicolas Hulot. Le « Monsieur transcourant » par excellence s’étant retiré, EE-LV étant au bord du gouffre, il ne reste plus aux amis de Duflot que de s’engager dans une nouvelle tentative en solo, sous la bannière EE-LV. Cécile Duflot a pour elle d’avoir dirigé son organisation pendant une période exceptionnellement longue (2006-2012), d’avoir acquis une stature nationale en participant au gouvernement Ayrault et de s’être dégagée de la logique gouvernementale avant nombre de ses concurrents à gauche. Elle considère que sa force est d’être un point d’équilibre au sein d’une organisation désorientée par les départs multiples, essentiellement venus de sa « droite » (Jean-Vincent Placé, François de Rugy, Emmanuelle Cosse). Elle peut aussi escompter sur sa singularité en temps de discours martial et sécuritaire. Elle sera sans doute une des très rares à contester cette logique guerrière.

Cette candidature est en même temps à haut risque. L’image des Verts s’est considérablement dégradée dans la dernière période, alors même que la thématique écologiste se généralise dans l’ensemble du paysage politique à gauche. En outre, l’élection présidentielle n’est pas la plus favorable aux écologistes. Les précédentes consultations, avec Dominique Voynet en 2007 et Eva Joly en 2012, ont été calamiteuses, seul Noël Mamère ayant su tirer son épingle du jeu lors de l’atypique élection de 2002 (5,25 %). De façon plus générale, les écologistes ne sont pas sortis de l’incertitude quasi originelle qui est la leur. Depuis le début des années 1990, quand ils décident avec D. Voynet de s’ancrer à gauche, les Verts oscillent entre deux tentations : être la relève d’une social-démocratie engagée dans une difficile mutation, ce qui peut les pousser aux lisières du « social-libéralisme » ou de l’esprit « libéral-libertaire » ; pousser le plus loin possible la logique de l’antiproductivisme et du libéralisme sociétal, ce qui tourne l’écologie politique plutôt du côté de la gauche « radicale ». Force est de constater que les deux dernières années, de participation gouvernementale en crise interne, n’ont pas clarifié le positionnement d’une organisation de plus en plus éclatée. La marge de manœuvre écologiste risque donc d’être bien étroite, dans le contexte d’une offre politique déjà surchargée. Cécile Duflot fait le pari d’articuler la demande sociale, le paradigme écologiste et l’exigence éthique et « sociétale ». Elle aura du mal à rassembler sur ces trois terrains à la fois.

Benoît Hamon ou la relance social-démocrate ?

L’engagement de Benoît Hamon est d’une autre nature. Il se place ouvertement dans une logique interne à la famille socialiste. Hollande et Valls ont choisi d’engager le PS dans une voie prolongeant l’expérience du « social-libéralisme » britannique, allemand, espagnol et italien. Ils rompent ainsi brutalement avec l’histoire de la social-démocratie européenne du XXe siècle. Comme c’est le cas partout en Europe, cette option déchire des partis socialistes plongés dans une violente crise doctrinale et organisationnelle.

Le pari de Benoit Hamon est donc double. À court terme, il espère fédérer l’opposition socialiste au couple Hollande-Valls, obtenir un sursaut militant, battre le futur candidat de l’exécutif à la primaire et, sur cette base, agréger dès le premier tour une partie de la gauche de gauche, y compris dans l’électorat communiste. À plus long terme, il tourne les yeux vers l’expérience britannique. L’exercice du pouvoir, à suivre cet exemple, favorise conjoncturellement une option sociale-libérale jugée plus réaliste, ce qui joue plutôt en faveur du Président sortant. En revanche, le retour à l’opposition peut provoquer un sursaut à gauche, comme celui qui a porté Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste au Royaume-Uni. Or, même si l’exécutif au pouvoir gagne la bataille des primaires, le plus vraisemblable est que la droite radicalisée l’emportera en 2017. Auquel cas, Hamon se présente d’ores et déjà comme une relève possible, un chef de file crédible pour la future gauche d’opposition.

Sur le papier, le calcul du responsable socialiste n’est pas absurde. Il se heurte pourtant à une triple difficulté :

- Il lui faut en premier lieu convaincre la totalité de l’opposition socialiste de gauche qu’il a l’étoffe et le charisme suffisants pour rassembler la famille socialiste.

- Par ailleurs, son parcours erratique, de l’entrée dans le gouvernement Valls jusqu’à son départ non désiré ni maitrisé, fait douter de la solidité de sa détermination.

- Enfin, de façon plus générale, il n’est pas sûr qu’un retour vers une logique social-démocrate traditionnelle soit pertinente et attractive, notamment face à la radicalisation d’une droite aiguillonnée par un Front national en expansion.

Au fond, l’option prônée par la gauche du PS ne se distingue guère des formules prudentes du Lionel Jospin de 1997 (« l’économie de marché oui, la société de marché non »). Or ce modèle de gestion, entre 1997 et 2002, a coïncidé avec la plus cuisante défaite du socialisme et la plus forte poussée du Front national.

La tentation Montebourg

Reste le dernier candidat en lice, le tonitruant Arnaud Montebourg. Il a soigneusement mis en scène sa candidature depuis quelques mois. Il a peaufiné l’image d’un homme dynamique, sans complexe mais assagi, capable d’endosser le costume présidentiel. Il marie l’industrialisme « colbertiste » classique et la vigueur de la « démondialisation », il se dit socialiste mais « pas seulement », fait un clin d’œil au gaullisme historique, cajole un communisme encore sensible au discours national sans aller jusqu’aux thématiques de rupture avec l’Union européenne. En bref, il ne dit pas, comme le Chevènement de 2007 qu’il est au-delà du clivage gauche-droite, mais…

Dans un contexte de délitement des repères fondamentaux, à gauche comme à droite, Montebourg ne manque pas d’atouts lui non plus. Il n’en reste pas moins que l’homme de la « démondialisation » et de la « VIe République » est aussi celui qui a fait le choix de Ségolène Royal dès 2006, qui a soutenu Hollande contre Martine Aubry au second tour de la primaire socialiste de 2011 et qui a tout fait pour que Valls prenne la tête du gouvernement en remplacement de Jean-Marc Ayrault.

Quant à au programme qu’il a présenté à Frangy, s’il énonce ponctuellement des mesures parfaitement acceptables à gauche, il offre une logique globale incertaine. Sur le fond, rien ne le distingue des logiques socialistes antérieures, qui promettent beaucoup, mais sans toucher sur le fond aux logiques lourdes qui structurent notre temps. À quoi bon annoncer un renforcement de l’action étatique, si l’on ne s’attaque pas aux mécanismes financiers structurels qui ont accompagné la mondialisation libérale et précipité le déclin de l’État providence ? Une nouvelle fois, autant de promesses qui n’engageront que ceux qui les croiront.

Pour tout dire, Montebourg contourne les exigences de toute une période historique, qui ne se limite pas aux quatre années de gestion « hollandaise » du pouvoir. De façon générale, l’industrialisme est incompatible avec la nécessité de repenser en profondeur les modes de production, en privilégiant la notion d’utilité sociale, de sobriété, de durabilité. Le colbertisme ne tient pas compte de ce qu’il ne suffit plus de vanter le rôle de l’État, et qu’il faut redéfinir le sens du public autour des notions d’autonomie, de participation des usagers et des agents du service public, en bref qu’il il faut dégager l’espace public de l’étatisme. Le keynésianisme, lui, ignore la nécessité de redéfinir les modalités de création de la richesse et la place du système financier. Quant au nationalisme du discours, il sous-estime la nécessité de penser de façon nouvelle les rapports entre tous les territoires du local au mondial, ce qui suppose de libérer tous les territoires sans exception de la double tutelle de la concurrence de la gouvernance.

En bref, la logique d’une candidature « attrape-tout » ne peut être aujourd’hui celle qui donne corps à une gauche déboussolée par plusieurs décennies de reculs socialistes, qu’Arnaud Montebourg a patiemment accompagnés jusqu’à une période toute récente. Le miroir aux alouettes est toujours tentant ; plus que jamais, il est lourd de périls redoutables. Une pincée de Jaurès, une louche de Chevènement dernière manière et les aromates de la « Gauche populaire » : cela ne fait pas le compte…

Le PCF

Revoilà donc la gauche de gauche placée devant quelques inconnues. Au nom du rassemblement de « toute la gauche », elle peut se trouver une fois de plus à la remorque de variantes sociales-démocrates incertaines, sources de désastres futurs, à court ou à long terme. Pour l’instant, le PCF n’a pas donné le signe qu’il écartait cette option. S’il ne le faisait pas, il porterait un coup meurtrier à la tradition communiste et à l’esprit de gauche conséquent. Il n’en tirerait aucun bénéfice électoral immédiat, notamment à l’occasion des périlleuses législatives de 2017. Et il contredirait toute possibilité, pour la culture communiste, de s’insérer dans la recomposition ambitieuse d’une gauche retrouvant majoritairement le sens de la rupture avec le « système ».

Jean-Luc Mélenchon

Dans le paysage politique tel qu’il est, la position la plus conséquente à la gauche de la gauche demeure celle de Jean-Luc Mélenchon, quoi que l’on pense de tel ou tel de ses propos. À la différence de tous les autres candidats de gauche, il s’est inséré de façon continue, depuis près de quinze ans, dans le courant critique de la gauche française, celui qui a porté l’exigence de l’altermondialisme et de l’option antilibérale, celui qui a irrigué la dynamique du Front de gauche, celui qui, de 2005 à 2012, a incarné l’espérance d’un mouvement social conquérant et d’une gauche retrouvant le chemin de ses valeurs fondatrices.

Or c’est cette portion de l’espace social et politique qui est aujourd’hui capable de relancer l’espérance sociale et démocratique d’une société déboussolée. Que son ambition se doive d’être large, qu’elle ne doive pas se replier sur elle-même et s’abstenir de tout esprit d’exclusion à l’égard de quiconque veut rompre avec l’esprit dominant, voilà qui est évident et qui n’est pas encore acquis. Mais tout cela n’empêche qu’elle demeure pour l’instant l’axe des recompositions nécessaires. Cela exige de sa part beaucoup d’innovation et de rupture avec des habitudes anciennes. Mais tourner le dos à cette histoire commune récente serait une folie.

Les communistes seraient ainsi fidèles à eux-mêmes en s’inscrivant dans cette optique et en se raccordant avec l’effort entrepris par J.-L. Mélenchon. Mais, en contrepartie, celui-ci doit plus que jamais bannir tout ce qui, d’une façon ou d’une autre, peut contredire le retour à la dynamique vertueuse de 2012. Qu’il faille tenir compte de l’épuisement du système partisan est une chose, qu’il faille trouver des formes nouvelles, plus souples, plus fluctuantes, d’associer les individus autonomes, est tout aussi vrai. Mais, surtout dans le cas français, rien ne serait plus contreproductif que d’ignorer que le nouveau et l’ancien continuent de s’entremêler, que des dizaines de milliers d’individus continuent de s’inscrire dans l’univers partidaire, que le Parti communiste, même affaibli, est une force militante, un patrimoine qui n’est pas celui seulement des communistes « encartés ».

On ne peut pas affirmer la continuité du projet qu’exprima hier le programme de « L’humain d’abord » et s’accoutumer à la division de celles et ceux qui le portèrent hier. L’heure est donc à la responsabilité. La multiplication des candidatures critiques à l’égard du « hollandisme » est à la fois une réalité, une chance et un risque. Les forces qui composèrent le Front de gauche ont une responsabilité immense : dans un esprit d’exclusion, elles corsèteraient la possibilité d’un rassemblement large ; dans un esprit de confusion, elles altèreraient la portée subversive des alliances possibles ; en se tournant le dos les unes aux autres, elles nécroseraient ce qui fut et ce qui reste un ferment d’espérance.

À chacun d’en tirer les conséquences.

Roger Martelli


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