Génocidaire tortionnaire rwandais en procès à Paris

mardi 22 novembre 2016.
 

- B) Pascal Simbikangwa, surnommé « le tortionnaire » dans le premier cercle du génocide (2016)

- A) 20 ans après le génocide au Rwanda, le premier procès en France d’un accusé de complicité de génocide (2014)

B) Dans le premier cercle du génocide

Pascal Simbikangwa, surnommé « le tortionnaire » fait partie des douze personnes qui ont organisé le massacre. En 2014, il a été condamné à vingt-cinq ans de prison pour génocide. Le procès en appel de Pascal Simbikangwa s’ouvre aujourd’hui à Bobigny.

Le 14 mars 2014, au terme d’un procès historique, un génocidaire rwandais était condamné pour la première fois en France. Ce jour-là, la cour d’assises de Paris jugeait Pascal Simbikangwa, ex-capitaine de la garde présidentielle, ancien officier des services de renseignements, coupable de « génocide et complicité de crimes contre l’humanité ». Verdict  : vingt-cinq ans de prison. Son procès en appel s’ouvre aujourd’hui, jusqu’au 9 décembre, à la cour d’assises de Bobigny.

En première instance, l’accusé avait nié avec insistance tous les faits qui lui étaient reprochés. Sans convaincre. Il faut dire que son parcours même en dit long sur la fabrique du génocide. Né en 1959 à Rambura, le village natal de Juvénal Habyarimana, Simbikangwa voue une admiration sans bornes au chef d’État tué le 6 avril 1994 dans l’attentat contre l’avion présidentiel. Passé par l’école supérieure militaire de Kigali, il entre dans la gendarmerie, avant d’intégrer la garde présidentielle, unité d’élite du régime. Mais en 1986, un accident de voiture qui le laisse paraplégique vient briser cette rapide ascension. Il se recycle alors dans le renseignement militaire, prend la tête du service central de renseignements, rattaché à la présidence. Là, il ne se contente pas de collecter des informations pour les transmettre au palais, à Kanombe. En fauteuil roulant, il torture les opposants, intimide les journalistes, fait irruption dans les imprimeries pour exercer lui-même la censure.

Un« état-major secret » chargé d’exterminer les Tutsis

Celui qu’on surnomme « le tortionnaire » sévit aussi au « fichier central », devenu Centre de recherche criminelle et de documentation (CRCD). Il en aurait été écarté à la demande de gendarmes français. « Une rumeur », rétorquait il y a deux ans, à la barre, le colonel à la retraite Michel Robardey, en poste à Kigali à la veille du génocide, cité comme témoin. La cour a pourtant jugé crédibles les témoignages illustrant les « méthodes violentes » de l’accusé à l’égard des opposants. Simbikangwa, qui se présente aujourd’hui comme un agent subalterne des services de renseignements, appartenait en fait au premier cercle du régime extrémiste hutu. Le 27 mars 1992, alors que les Tutsis de Bugesera sont massacrés, l’ambassadeur belge Johan Swinnen transmet à Bruxelles un télex évoquant l’existence d’un « état-major secret » chargé d’exterminer les Tutsis et d’écraser l’opposition hutue. Parmi les membres de ce commandement de l’ombre, le diplomate cite Pascal Simbikangwa… Proche du MRND, l’ancien parti unique et pilier du régime de Juvénal Habyarimana, dont il possède, chez lui, des drapeaux, l’officier est surtout lié à l’Akazu (« petite maison » en kinyarwanda), ce cercle d’extrémistes hutus opposés aux accords d’Arusha sur lequel régnait l’épouse du président, Agathe Habyarimana. C’est là qu’il se fait propagandiste de l’idéologie génocidaire en intégrant le comité de lecture d’Umurava Magazine, un brûlot anti-Tutsis, puis en devenant actionnaire fondateur de la Radio télévision libre des mille collines (RTLMC), dont les appels à la haine et au meurtre ont préparé, attisé, scandé le génocide.Recruteur d’Interahamwe, Pascal Simbikangwa harangue, excite, arme ces milices de tueurs, dans Kigali quadrillée par les barrières. Les rares Tutsis, tous issus comme lui d’unions mixtes, auxquels il offre l’abri conservent « un souvenir particulièrement ambivalent et insécurisant du comportement de leur protecteur », ont relevé les jurés de la cour d’assises de Paris.

Simbikangwa n’est pas le seul génocidaire rwandais à faire appel

Le 22 avril 1994, un communiqué de la Maison-Blanche exhorte les plus hautes autorités politiques et militaires du Rwanda à faire cesser les massacres. Le nom de Pascal Simbikangwa est cité. Un mois plus tard, il apparaît encore, dans un rapport de Human Rights Watch, parmi les douze personnes qui doivent « mettre fin au génocide ». Au mois de juillet 1994, après la victoire du Front patriotique rwandais (FPR), l’ex-militaire s’enfuit à Goma, au Congo voisin, puis rejoint le Kenya ou la Tanzanie et passe, finalement, aux Comores. De là, il gagne Mayotte, département français d’outre-mer, où il dépose une demande d’asile auprès de l’Ofpra. Le génocidaire s’est reconverti dans le trafic de faux papiers, sous le nom de Safari Senyamuhara. Fiché par Interpol, c’est là qu’il est finalement arrêté, le 28 octobre 2008.

Dans ses motifs, la cour d’assises de Paris établit que « Pascal Simbikangwa a apporté un concours actif au fonctionnement des barrières meurtrières de Kigali en fournissant des armes et en donnant directement des instructions pour que les Tutsis soient systématiquement exécutés sur le champ, en vue de la destruction totale de ce groupe ethnique supposé être responsable de la mort du président Habyarimana et représentant en conséquence à ses yeux l’ennemi par nature à exterminer, dans le cadre d’un plan concerté, notamment par l’organisation méticuleuse des barrières quadrillant la ville et par la fouille systématique des maisons pouvant abriter des Tutsis ».

Simbikangwa n’est pas le seul génocidaire rwandais à faire appel. Condamnés le 6 juillet dernier à la réclusion criminelle à perpétuité, Octavien Ngenzi et Tito Barahira, deux anciens bourgmestres de Kabarondo, l’ont imité. « Ces procès en appel sont des épreuves, confie Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Mais l’occasion nous sera donnée de rappeler qu’en 1994, au Rwanda, plus d’un million de personnes ont été exterminées parce qu’elles étaient tutsies. »

Rosa Moussaoui, Mardi, 25 Octobre, 2016, L’Humanité

A) 20 ans après le génocide au Rwanda, le premier procès en France d’un accusé de complicité de génocide

Le 4 février 2014 s’ouvrira devant la Cour d’assises de Paris le premier procès jamais organisé en France d’un ressortissant rwandais accusé de complicité de génocide. Mis en accusation devant la Cour d’assises pour complicité de génocide et de crimes contre l’humanité, Pascal Simbikangwa devra répondre de ses actes devant un jury populaire. 20 ans après le génocide, et alors que de nombreux ressortissants rwandais se sont installés en France, dont certains étaient mis en cause pour avoir participé au génocide, et que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2004 pour la lenteur des procédures judiciaires à leur encontre, nos organisations qui sont parties civiles attendent de ce procès – le premier d’une longue série - que la justice soit enfin rendue en France.

A1) Qui est Pascal SIMBIKANGWA ?

Pascal Simbikangwa, né en 1959 à Rambura, dans la région de Gisenyi, (ouest du Rwanda), a occupé plusieurs postes liés à la présidence du Rwanda. Il intègre la garde présidentielle en 1982 jusqu’en 1986. Victime en 1986 d’un accident de la circulation qui le rend paraplégique, il est affecté l’année suivante au Bureau G2 (chargé du renseignement militaire) de l’État Major de l’Armée. À partir de 1988, il accède au grade de directeur au Service Central du Renseignement, service alors rattaché au Président. En 1992, il est affecté au Bureau de Synthèse et des Données en tant que directeur adjoint.

Pascal Simbikangwa était un proche du Président Habyarimana. Il aurait à ce titre fait partie de l’akazu, cette organisation parallèle regroupant le premier cercle des proches du président Habyarimana et qui œuvrait pour son maintien au pouvoir en utilisant la rhétorique de la « domination Hutu » (« Hutu Power ») et l’extermination des Tutsi si nécessaire.

Il aurait notamment participé dès 1990-1991 à la création de la Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM), station de radio privée de propagande anti-Tutsi, qui a diffusé des messages de haine tout au long du génocide et a été reconnue par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) comme l’un des principaux instruments du génocide.

En raison de son rôle auprès du Président, au sein des services de renseignements et de l’akazu, Pascal Simbikangwa était perçu par les organismes internationaux, par certains États et par la population locale comme une autorité dotée de pouvoirs effectifs.

A2) Quels sont les chefs d’accusation retenus contre lui ?

Pascal Simbikangwa est accusé de complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité.

Dans le contexte du génocide commis en 1994 au Rwanda, des barrages de contrôle ont été mis en place dans la capitale, Kigali, afin d’identifier les Tutsi qui étaient alors considérés comme des ennemis à neutraliser. Pascal Simbikangwa est poursuivi pour avoir fourni des armes au personnel de ces barrages ainsi que pour avoir fourni des instructions et un encouragement moral aux gardiens des barrages, ce qui aurait abouti au massacre de nombreux Tutsi.

FIDH, HRW, « Aucun témoin ne doit survivre : le génocide au Rwanda », Karthala, 1999, pp. 58-59.

A3) Pourquoi ce procès a-t-il lieu en France ?

La compétence des juridictions françaises

La compétence des tribunaux nationaux est habituellement définie par un critère territorial (les infractions commises sur le territoire français) ou personnel (les infractions commises par ou sur une personne ayant la nationalité française).

Il existe toutefois une exception à ces règles de compétence. Selon l’article 689-1 du Code de procédure pénale (instauré par la loi du 16 décembre 1992), il est possible pour les tribunaux français de juger toute personne, si elle se trouve en France, ayant commis hors du territoire français l’une des infractions énumérées par le Code de procédure pénale. Il s’agit de la compétence extraterritoriale des tribunaux français.

Le juge français peut avoir recours à la compétence extraterritoriale dans plusieurs situations et notamment lorsqu’une personne, si elle se trouve en France, a commis des actes de torture au sens de l’article 1er de la Convention contre la torture des Nations unies (article 689-2), si une personne résidant habituellement sur le territoire français s’est rendue coupable de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (article 689-11), ou encore si une personne qui se trouve en France a commis ou s’est rendue complice d’une infraction relevant de la compétence du TPIR, (loi 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies).

L’affaire Simbikangwa est le premier procès en compétence extraterritoriale organisé en France pour des actes commis lors du génocide au Rwanda. D’autres pays de l’Union européenne ont déjà condamné, sur le fondement de la compétence extraterritoriale, des auteurs de crimes internationaux perpétrés dans le cadre du génocide au Rwanda.

Ainsi, en Belgique, quatre affaires ont été menées sur ce fondement, aboutissant à la condamnation de huit individus pour crimes de guerre perpétrés au Rwanda en 1994. Aux Pays Bas, Joseph Mpambara a été condamné à 20 ans d’emprisonnement pour actes de torture perpétrés au Rwanda en 1994.

Les tribunaux français ont déjà eu recours à la compétence extraterritoriale dans différentes affaires initiées par la FIDH et la LDH  : Ely Ould Dah, capitaine de l’armée mauritanienne a été condamné le 1er juillet 2005 par la Cour d’assises de Nîmes à 10 années de réclusion criminelle pour actes de torture commis en Mauritanie entre 1990 et 1991. Khaled Ben Saïd, commissaire de police tunisien, a été condamné le 24 septembre 2010 par la Cour d’assise de Meurthe et Moselle à 12 années de réclusion pour actes de torture commis en Tunisie. D’autres procédures suivies par la FIDH et la LDH sont toujours en cours, notamment l’affaire dite des « disparus du Beach de Brazzaville » (République du Congo)


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