Tour d’horizon avec Danielle Simonnet, élue de Paris, militante actrice, co-coordinatrice du PG

samedi 5 novembre 2016.
 

Élue Parti de gauche au Conseil de Paris, Danielle Simonnet investit de nouvelles manière d’alerter et d’associer les citoyens : sur scène, sur les réseaux sociaux, dans la rue… Elle évoque dans une Interview au mensuel Regards sa démarche, et l’ambition des Insoumis pour 2017.

Regards. Vous êtes la seule élue d’opposition de gauche au Conseil de Paris. Quel est votre rôle dans cette assemblée parisienne dont la majorité est dirigée par les socialistes, les radicaux, les écologistes et les communistes ?

Danielle Simonnet Je suis plus que dans une simple opposition de gauche, je suis dans une opposition citoyenne. Je suis un groupe à moi toute seule. J’interviens sur les combats parisiens. En tant qu’élue, je porte la voix de celles et ceux qui sont en lutte, au cœur de la capitale. Et je ne cesse de pointer les contradictions de cette majorité de "gauche" qui reste engluée dans une logique libérale. Mon rôle consiste donc principalement à mettre en mouvement les citoyens, les informer. Et surtout, les associer.

On vous connaît pour innover sur le plan des pratiques militantes et politique. Quels sont vos outils pour y parvenir ?

Ça n’est pas évident, parce que je ne dispose d’aucun moyen : ni financier, ni humain. Mais finalement, ce n’est pas plus mal parce que cela m’oblige à innover et à associer les citoyens qui m’aident à rédiger des amendements ou des vœux, pour contrer les projets de la majorité parisienne qui apparaissent contraires à l’intérêt général. Par ailleurs, j’ai créé le "service après vote", journal à la fois mural, numérique et distribué comme un tract. Je suis attachée, aussi, à des démarches plus participatives, plus inclusives, comme les porteurs de paroles.

Vous attirez de nouveaux publics ?

Oui, clairement. Plutôt que d’organiser des bilans de mandats, où l’on s’auto-félicite et où l’on parle entre soi, j’organise des apéros citoyens en plein air. J’invite chacun et chacune à prendre la parole pour que les citoyens se rencontrent, partagent leurs luttes et que chacun entende et comprenne les luttes des uns et des autres. Quand des habitants du 15e arrondissement mobilisés contre la Tour triangle, projet anti-écologique, échangent avec des grévistes d’une société de nettoyage sous traitante du 20e, les conscientisations sont mutuelles et bien plus riches ! Souvent, le politique instrumentalise les luttes. Là, je souhaite l’investissement des luttes dans le champ politique.

Vous êtes aussi très présente sur des formats web, avec des vidéos pédagogiques – comme on l’a vu récemment sur la question de la privatisation des contraventions à Paris…

Nous sommes entrés dans l’ère du numérique, depuis longtemps. Le politique doit s’en saisir. Pleinement ! Je lance des alertes : je l’ai fait sur le sable de Paris-plage [1]. La vidéo que j’ai réalisée sur le sujet a été vue par plus de 1,8 millions d’internautes. Cela donne de l’audience à mon combat. En six mois, je suis passée de 5.000 abonnés Facebook à 15.000. Je fais régulièrement des vidéos décalées de deux minutes, tout en publiant sur le même thème des tribunes plus argumentées.

Vous êtes également sur les planches et vous vous apprêtez même à partir en tournée. Qu’en disent vos collègues élus ?

D’abord, je veux dire qu’en me lançant dans le projet, je ne pensais pas toucher aussi largement le public. Il y a même une élue des Hauts-de-Seine, sympathisante LR, qui est venue voir ma conférence gesticulée – où je parle de l’ubérisation de la société. À la fin du spectacle, elle m’a dit qu’elle avait désinstallé l’application Uber. Je ne dis pas qu’elle votera Mélenchon demain, mais c’est déjà une petite victoire. Dix-huit élus de droite m’ont dit avoir déjà pré-réservé leurs places pour le spectacle de décembre. Ce n’est pas faute de les avoir prévenus sur la manière dont je m’en prends à Sarkozy et la droite en général (rires). Ils sont curieux, mais au-delà, il y a une forme de respect de mon engagement pour le renouvellement des pratiques politiques, le ton avec lequel j’aime à casser les codes qui ne sacrifie rien au sérieux avec lequel je pense bosser mes dossiers.

« Nous avons besoin d’éducation populaire, pour rendre les citoyens acteurs, et nous avons aussi besoin d’agitation propagande, de créativité, d’humour pour éveiller les consciences. »

Et à gauche ?

Du Conseil de Paris, peu sont venus. Mais ça m’est égal, je touche un public très divers qui dépasse le cadre militant. Et c’est vrai aussi sur un plan médiatique. J’ai été sollicitée par des médias qui n’auraient jamais parlé des ravages de l’ubérisation, si je n’avais pas fait ce spectacle. Je pense à Télérama ou même à Grazia… D’autres qui n’auraient sans doute pas parlé de féminisme, comme les revues professionnelles des taxis.

Les tracts, les meetings, le porte-à-porte, sont des pratiques d’un autre temps ?

Je ne dis pas ça. Mais aujourd’hui, quand vous faites un tract, à qui s’adresse-t-il ? Le tract, il présélectionne. Il est un repère, mais il est surtout lu par les "déjà convaincus". Nous pensons au Parti de gauche qu’il faut réinterroger nos pratiques militantes et innover. Nous avons besoin d’éducation populaire, pour rendre les citoyens acteurs, et nous avons aussi besoin d’agitation propagande, de créativité, d’humour pour éveiller les consciences. Savoir ne suffit pas. Tout le monde sait que 1% de la planète détient 99% des richesses. Mais ça n’est pas pour autant que l’on fédère les 99%. Il faut organiser la rencontre pour convaincre que l’on peut faire autrement. Et c’est souvent une première expérience de lutte qui donne confiance dans l’engagement collectif.

Comment provoquer cette rencontre ?

Quand je parle dans mon spectacle de ce chauffeur Uber qui est mort d’une crise cardiaque après avoir avalé plusieurs bouteilles de boisson énergisante pour rester en éveil malgré ses 15 heures par jour, c’est plus efficace qu’un long discours. Ça interroge sur nos pratiques au quotidien et sur nos comportements de consommateurs. L’émotion crée de la conscience et peut déclencher l’engagement. C’est l’ambition des conférences gesticulée. Amener à du "savoir froid", de la conscience critique par des anecdotes concrètes, des images et des histoires dans lesquelles on se projette, par le rire et l’émotion.

« Nous avons une chance historique d’être en tête de la gauche et de nous retrouver au second tour. »

Jean-Luc Mélenchon sera-t-il le prochain président de la République ?

C’est une hypothèse plausible. D’abord, on ne nous rit plus au nez quand on évoque cette option. C’est un grand pas. Et puis nombre d’éditorialistes nous expliquent aujourd’hui que c’est possible – notamment parce que ça les inquiète. Certains paniquent. Il est en tête des candidats de gauche dans tous les sondages d’opinion. Il progresse. La question qui se pose à nous aujourd’hui c’est : comment fédérons-nous au-delà ? C’est notre défi dans les mois à venir.

On peut avoir l’impression que vous espérez que le PCF ne vous soutienne pas. Dès que Pierre Laurent ou Olivier Dartigolles prennent la parole, Jean-Luc Mélenchon ne perd pas une minute pour contre attaquer…

Il faut comprendre la chronologie. Ils étaient favorables à la primaire de toute la gauche dès janvier 2016. Nous y étions opposés. On ne peut être compatible avec ceux qui ont supporté la politique de gouvernements que nous combattons ! Nous avons une chance historique d’être en tête de la gauche et de nous retrouver au second tour. Notre point d’appui, c’est Mélenchon et les plus de 140.000 insoumis qui s’engagent. Et à ce moment précis, la direction du PCF tergiverse, son porte-parole nous explique même qu’il attendra a priori fin décembre pour se prononcer, et qu’il pourrait même changer sa stratégie si Montebourg gagnait la primaire du PS en février. Montebourg qui fut ministre et participait activement à l’arrivée de Valls à la tête du gouvernement… Je ne vois pas en quoi ce serait un choix plus opportun que Jean-Luc Mélenchon pour les communistes.

Comment expliquer les fortes réticentes de nombreux communistes envers la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?

Je crois que pour certains, l’enjeu n’est pas – ou plus – de changer le cours de l’histoire dans le pays, mais de préserver des combinaisons électorales illusoires, espérant sauver ainsi la tête de quelques-uns. Mais de nombreux militants communistes s’impliquent d’ores et déjà dans la campagne. D’autres, signataires de l’appel du Front commun, souhaitent également soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon, même si nous devons poursuivre nos échanges sur le cadre de cette campagne-mouvement qu’est la France insoumise. Il y a des indécis, nous fédérons des insoumis, et nous avançons…

« Certains peuvent être tentés par le vote FN. Nous devons sortir de notre zone de confort et les convaincre. »

Justement, ça veut dire quoi "être insoumis" ?

D’abord, c’est un programme d’insoumissions qui ouvre un nouvel horizon, un programme de rupture qui a enrichi celui de 2012, L’Humain d’abord. Refuser la soumission à la monarchie présidentielle qu’est la Ve République et son 49-3 par la convocation de la constituante pour une VIe République. Refuser la soumission au productivisme et engager la planification écologique pour les énergies renouvelables, la sortie du nucléaire, pour une alimentation saine et bio sans pesticides, la relocalisation industrielle. Refuser la soumission à la finance et porter un projet de redistribution des richesses, pour la réduction du temps de travail et l’éradication de la pauvreté. Refuser les diktats des traités libéraux européens et leurs politiques d’austérité, et engager les rapports de forces par un plan A et un plan B pour refonder l’Europe ou rompre unilatéralement, et construire de nouvelles coopérations. Refuser la dépendance à la géostratégie américaine, sortir de l’Otan et défendre un nouvel indépendantisme de la France au service de la paix.

Il faut aussi fédérer les luttes ?

Il y a un peuple qui se fédère autour d’insoumissions multiples. C’est-à-dire celles et ceux qui se sont engagés contre la loi travail, qui se battent contre le TAFTA ou le CETA, qui militent pour la défense des services publics, l’emploi, contre l’invasion de la publicité, contre les fermes usines, contre les grands projets inutiles et imposés, contre le sexisme et toutes les discriminations, ou encore les lanceuses et lanceurs d’alertes… Elles sont si nombreuses nos insoumissions !

Quelle va être votre stratégie face au danger du Front national ?

Faire ce que nous n’avons jamais cessé de faire. Combattre leurs idées, déconstruire leur discours. Le problème, ce n’est ni l’étranger, ni le musulman, mais le financier, le patron du CAC40. Le FN, comme dans les années 30 où l’extrême droite reprenait une partie du programme du mouvement ouvrier en le dénaturant, tente de voler nos mots. Il ne défend néanmoins qu’une orientation capitaliste nationaliste, attisant les haines et les stratégies de boucs émissaires. Personnellement, je continue à mener mon combat aussi auprès des commerçants, des chauffeurs de taxis, des artisans, des indépendants, de toutes ces professions qui ne sont pas au départ notre base sociale, mais qui se retrouvent percutées par l’évolution de l’offensive du capitalisme, de sa financiarisation et de son ubérisation. Certains peuvent être tentés par le vote FN. Nous devons sortir de notre zone de confort et les convaincre.

Vous serez vous-même candidate insoumise aux législatives ?

Je le souhaite dans la sixième circonscription de Paris, si la France insoumise m’investit – ça vaut pour l’ensemble des candidats ! La campagne des législatives doit être menée en cohérence complète avec l’élection présidentielle. Nous aspirons à l’emporter. Et je compte y mettre toute mon énergie.


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